C’est un magicien des mots, un homme médiatique qui s’est mis au service de notre langue de la plus belle des façons. Bernard Pivot est mon maître… Malgré ses 81 ans, il garde toute sa verve. C’est un excellent conteur et un esthète de l’orthographe. Il faut l’entendre parler de l’Académie Française pour déplorer que des mots ne soient pas introduits dans le dictionnaire, comme le savoureux mot africain « girafer » qui veut dire « copier sur son voisin ».
Et la réforme de l’orthographe ? Quelle ineptie… Vous imaginez le mot « coït » perdre son tréma pourtant si imagé ? Ou le féroce rhinocéros sans le « h » qui lui donne toute sa force ? Ou encore le mot femme devenir « fame », ce qui privera tous les petits garçons de cet avertissement sans frais comme quoi avec les femmes, les choses sont loin d’être simples ?
Il est pénible pour un mot de se voir toujours supplanté par un autre. Et ainsi de tomber dans l’oubli… Quand vous pensez à un objet de peu de valeur, vous dites le plus souvent « babiole ». Pourtant « brimborion » correspond aussi à la définition. Il est plus poétique et fait irrémédiablement penser à ces objets que vous laissez dans le vide-poche de l’entrée. Ce sont des brimborions, certes, mais de valeur, puisque vous les conservez précieusement…
Le mot est ancien ( 16ème siècle ), mais il est toujours plein de vie. Une caillette qui est quasi toujours une « jeune caillette » est une personne du beau sexe, un peu frivole et insouciante, qui aime à jacasser à longueur de temps, souvent de manière puérile. Son babil creux et superficiel est assurément un peu saoulant. Mais comment ne pas l’aimer la caillette. C’est la futilité personnifiée…
Ce vieux mot peut remercier Coluche de l’avoir réhabilité dans un ses sketchs, même si c’était pour le torturer un peu. Pat Hibulaire, c’est aussi le méchant chez Mickey, un vieux chat mal rasé et malhonnête. « Patibulaire » fait référence à un individu digne de la potence. Un bonhomme inquiétant et sinistre, en somme… Alors même si le gibet n’est plus de saison, ne laissons pas ce mot délicieux tomber dans les oubliettes. Après tout, les gens sinistres sont encore très nombreux…
Je ne sais pas pourquoi on le conjugue plus volontiers au pluriel, mais ce mot, gourmand en bouche, me fait penser à Fernandel, avec sa diction théâtrale. « Monsieur, ce ne sont là que des fa-ri-bo-les ». Autrement dit, ne me dérangez pas avec des choses vaines et frivoles, des galéjades sans importance… Dans notre époque où la réalité décuplée se conjugue en 3D, on est en manque de ces fariboles. Et puis, le mot est si joli…
La langue française est joliment imagée qu’elle sait, en trois mots, dresser un contexte. Une cousine de vendange est une jeune femme qui ne rechigne pas à partager de fraternelles agapes aux côtés de la gente masculine. Elle sait lever le coude et entonner des chansons de corps de garde. Le contraire d’une chichiteuse, en somme. Mais attention, si elle boit trop, elle changera de registre et deviendra une pocharde, ou pire, une chocaillon…
Ce mot désuet me réjouit particulièrement. On les connaît bien ceux qui ratiocinent. Vous savez, ces bavards à la langue bien pendue qui vous tiennent la jambe, se perdent en raisonnements oiseux, en détails sinueux, en considérations complexes, en observations superfétatoires… Il sont dans l’abstrait, et vous n’avez envie que d’une chose à leur contact : leur claquer le beignet… Maudits ratiocineurs !!!
Le mot s’entend sans le connaître. Un atrabilaire déverse sa bile. C’est un professionnel du mécontentement, un ronchon patenté qui, pour tous les prétextes, prend un malin plaisir à exprimer haut et fort sa mauvaise humeur. Le genre qu’on évite soigneusement en le classant définitivement parmi les cons. Mais un « con atrabilaire », ça le classe plus joliment, non ?
Autrefois, les brigands daubaient leurs victime. Ils les attaquaient violemment avec des coups avant de les dépouiller. Puis le verbe a évolué. Il s’est civilisé, suivant l’exemple de la société dans son ensemble depuis le XVIème siècle. L’attaque n’est plus physique, mais verbale. On daube maintenant pour se moquer; on raille; on médit; on calomnie; on clabaude… Que de mots pour dire du mal !
Ah le joli mot que voilà… Rare et littéraire. Les blandices sont tout ce qui peut flatter le goût, conquérir l’esprit ou exciter les sens. Des éloges, des caresses ou des flatteries en somme. Ainsi, la femme entreprise pourra répondre à l’importun « Au large avec tes blandices, je ne mange pas de ce pain-là… » Une façon élégante de couper court à toute tentative d’approche.
Tout le monde se vante d’avoir des accointances. C’est même un gage de réussite sociale. Mais les accointances ne sont pas des connaissances comme les autres. Ce sont des relations privilégiées, toujours de haut niveau, dont on espère tirer des avantages ou des intérêts divers. Autrement dit : jouez de vos accointances, vous deviendrez leurs obligés… Ah que les relations humaines sont jolies et désintéressées…
Beaucoup de choses peuvent tomber « comme à Gravelotte » : la pluie, les coups ou les ennuis… L’expression provient de la Guerre de 1870, et de la bataille de Gravelotte où le 18 Août 1870, une bataille indécise a eu lieu entre Français et Allemands. Les balles et les obus d’artillerie étaient tellement denses que toute notion de déplaisir intense a été, par la suite, rattachée à Gravelotte. Quand on voit le village de Gravelotte, sur un vaste plateau lorrain au dessus de Metz, on comprend que nos pauvres soldats n’avaient guère moyen de se cacher. Ils n’avaient d’autre choix que de tirer sur l’ennemi, créant de fait une jolie expression populaire.
Une allumette est la lame d’une épée ou d’un couteau. Voilà un mot bien poétique pour désigner un outil qui peut semer la mort. Mais « porter l’estocade de son allumelle » est décidément une jolie périphrase. On peut mourir de ce coup-là. On succombe d’abord à la beauté des mots…
Ce mot du XVIIème siècle sent bon la prose de Dumas, pour définir l’esprit des Mousquetaires. Une foucade est un emportement passager, une impulsion soudaine, un élan irréfléchi… Bref, une réaction très humaine qui mérite qu’on réhabilite ce joli mot.