Tous les articles par Bernard

De l’or sur le plumard…

Je gère de l’argent, et donc suis fan de l’or. L’or est une valeur qui s’apprécie en elle-même, sans référence à une banque centrale, ni à des niveaux de taux. Elle est là depuis la nuit des temps, et sera encore là dans longtemps. Une valeur sûre et durable…

La course pour l’or est une activité humaine qui se poursuit invariablement, même quand des bitcoins essaient – sans succès – de faire diversion. Des Pharaons jusqu’à Albert Spaggiari, des pionniers du Klondike jusqu’aux arpenteurs contemporains avec leur poêle à frire, d’Harpagon à l’Oncle Picsou, du FMI jusqu’aux banques centrales, ils vénèrent tous le veau d’or, même s’ils s’en défendent. L’appât du gain, la valeur immuable du métal jaune, le caractère irrésistible de ce qui brille, et de ce qui fait briller les yeux des femmes, tels sont les moteurs collectifs de l’espèce humaine. Une matière première jouissive à exploiter pour un romancier.

Mes deux polars sont donc des histoires d’ors. Deux histoires différentes, à vingt années d’écart, mais dans la même région, et avec les mêmes personnages. La quête de l’or dans des mines hypothétiques ou dans le magot d’un fuyard maudit, offre un canevas réjouissant pour broder une poursuite haletante qui emportera le lecteur loin dans les montagnes ou dans les neiges éternelles. Car si la course derrière les lingots permet de découvrir des paysages majestueux aux éclats éblouissants de naturel, les certitudes peuvent bien être amenées à s’effriter au long du parcours : Et si la vraie richesse sur cette basse-terre se trouvait ailleurs ?

Profitez de l’été pour vous faire une opinion… L’été est une période propice pour laisser vagabonder son esprit dans le plumard ouaté qui vous offre sa douceur sans le tic tac horripilant d’un réveil. Lisez mes deux ors, « L’Or du Paradis » le premier roman dans la chronologie ( années 30 ), puis « L’Or du Maudit » ( années 50 ), tous deux disponibles sur le site des Editions AO.

Ils vous feront voyager, et ce n’est pas une promesse en l’air.

Un Monte-Cristo plus noir

Un ami qui randonnait à pied au coeur de l’Ouzbékistan, a rencontré un paysan qui, interrogé sur ce que représentait la France pour lui, répondit instantanément : « le Comte de Monte Cristo ! »…

On comprend qu’avec un rayonnement planétaire, la tentation ait été grande de dépoussiérer les nombreuses versions filmées d’un des meilleurs romans d’aventure jamais édité. Grande réussite de ce point de vue, avec un Pierre Niney qui incarne très bien l’Edmond Dantes de nos lectures lointaines. Le film est tendu comme un arc autour de cette vengeance sublime d’un pauvre hère devenu extrêmement riche par un coup du destin que seul Alexandre Dumas sait nous tricoter. On passe un excellent moment de cinéma avec des acteurs parfaits dans leur partition et un scénario assez fluide, malgré les différents chapitres de l’histoire. Tout au plus, peut-on regretter quelques ellipses qui nous font passer à côté de l’origine de certains personnages. Il faut dire aussi que le roman est un pavé, un pavé qu’on déguste à petits feux sur une durée bien supérieure aux près de 3h du film.

Hélas, le réalisateur a cédé à la mode de la violence, en changeant les ingrédients de la vengeance. Dumas avait été pourtant parfait, avec des vengeances bien agencées où Dantes ne faisait qu’exploiter les défauts de ses ennemis, un peu comme ces lutteurs asiatiques qui exploitent simplement le mouvement de l’adversaire. Du cousu main de l’auteur, mais peut être moins visuel que le parti pris du film.

Le film est donc magnifique, mais il s’éloigne trop de l’esprit de Dumas. Le Dantès d’origine est un personnage très charismatique qui attire les regards et en profite pour tirer les ficelles. Niney est plus sombre, plus englué dans son désir de vengeance. Et plus violent… Un reflet de notre époque, certes, mais ce n’est pas l’homme qui a fait rêver des millions de lecteurs, jusqu’aux confins de l’Ouzbékistan.

Relisons le roman, nous ne perdrons pas notre temps….

Le tableau volé

Le cinéma a le pouvoir de nous déplacer dans des univers inconnus et de nous faire rêver à d’autres destins que ceux que nous avons choisis. « Le Tableau volé » est un film sans autres ambitions que de nous plonger dans le monde de l’Art, de ses professionnels, de ses clients, et de toute la galaxie qui l’entoure.

Reconnaissons qu’il le fait très bien, avec un scénario bien huilé et parfaitement crédible : quand une situation héritée devient une source d’émerveillement. Un tableau connu qui refait surface, après la disparition des accapareurs issus de la guerre. Une avalanche d’argent qui tombe sur un jeune garçon incrédule qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Mais avant cette fin, il y a un savoureux préambule : le commissaire-priseur blasé joué avec brio par un Alex Lutz cinglant ( très loin de ses one-man shows comiques ) ; ses relations tendues avec une jeune assistante mystérieuse ( troublante Louise Chevillotte ) ; l’ex-femme Lea Drucker détachée et complice qui ne veut pas renoncer à l’état amoureux ; l’avocate apporteuse d’affaires qui reste fidèle à son éthique…

Bref, un petit monde qui s’agite autour d’un tableau qui peut donner un formidable coup de boost à la carrière de chacun. Mais il faudra avant cela échapper aux peaux de bananes et aux coups tordus, car le milieu n’est pas, à proprement parler, un monde d’enfants de coeur. Le film est plaisant par ce côté instructif. Mais il va plus loin grâce à la jeune actrice Chevillotte très impénétrable dans ses relations compliquées avec son père, joué par l’inattendu Alain Chamfort. Les acteurs sont tous parfaits et le spectateur en sort conforté dans l’envie de fréquenter davantage les salles de ventes. Ne serait-ce que pour s’initier aux plaisirs des beaux objets… C’est là un des atouts incontestables de ce joli film.

Callipyge

Un mot qui fait aimer la langue française. Une langue qui a réponse à tout, y compris pour raconter la propension des hommes à se retourner sur les fesses des femmes. Des fesses charnues, bien équilibrées, attirantes en diable et voilà leur maîtresse aussitôt qualifiée d’un mot bien évocateur, callipyge. Un mot bien pratique pour dissimuler les attirances masculines.

Voyage dans l’Iran du Shah

Une pièce qui tient l’affiche depuis près de 350 représentations ne peut que susciter l’intérêt. Le bouche à oreille est, en outre, un puissant stimulant, surtout quand la pièce revient à Paris, après un périple dans nos provinces. Avec les trois acteurs d’origine, et trois petits nouveaux qui sont tellement impliqués qu’on les croit associés de la première heure.

Cette pièce est un vrai tour de force de mise en scène. Les plans s’enchaînent comme au cinéma, avec des jeux de scènes absolument géniaux. Il faut dire que l’histoire se passe sur deux temps : en Iran de 1974 à 1979, période de fin de règne du Shah, puis d’émergence d’une autre dictature, celle des Mollahs ; dans les Alpes enfin, à Avoriaz au tournant du siècle dans un chalet de villégiature…

Ils sont six sur scène, et passent d’un rôle à l’autre avec brio. C’est tellement vrai que j’ai cru jusqu’à la fin, qu’ils étaient sept. Six personnages pour raconter l’histoire d’une famille francophile qui vit mal les années de dictature d’un pays auquel elle est fondamentalement attachée. Cela parle persan, cela chante persan et l’humour se blottit dans quelques scènes intimes pour donner au récit une belle authenticité. Le tourbillon des scènes emporte le spectateur dans les destin de ces personnages, où les moindres circonstances font fi des contraintes liées au manque d’espace d’une scène de théâtre par des jeux de lumière ou des trouvailles scénaristiques qui donneraient le sourire même au plus blasés d’entre nous.

C’est au final une aventure extrêmement humaine à laquelle nous convie l’auteur Aïda Asgharzadeh. Elle conte avec chaleur l’émigration des siens, l’acclimatation au pays d’adoption, mais aussi la profonde tendresse qu’elle ressent pour tous les Iraniens d’ici et de là-bas. Tout cela est très loin des images agressives dont nous submergent les médias. Rien que pour cela, ces « Poupées persanes » méritent le détour. Elles ont provoqué, en tout cas, l’enthousiasme collectif du groupe de cinq que nous étions. Assurément, un très bon spectacle….

Un brouillard délicat

Un premier livre chez Gallimard. La chose est assez rare pour éveiller l’intérêt. L’éditeur réputé se penche rarement sur des manuscrits d’inconnus ( j’en sais quelque chose ! ). Dans ces circonstances, le bon livre est sûrement au programme. Bingo !… Le livre de cette jeune Bretonne « Banc de Brume » est un livre délicat, finement ciselé, qui parle de la notion de continuité familiale, ce maillage entre les générations qui nous précèdent, qui nous a constitués dans les sentiments et l’adn et dont nous sommes les héritiers, autrement dit les poursuivants de l’aventure humaine. Ce fil fragile qui nous relie à nos proches, parents, grands-parents, oncles et tantes, est le plus souvent négligé par les jeunes générations plus tournées vers l’avenir. D’ailleurs, cette quête d’Alice et de son frère Etienne, n’est pas partagée par les deux autres membres de la fratrie qui haussent les épaules. Le passé ne conditionne pas l’avenir pour tous. Mais, pour certains qui se reconnaîtront dans les deux enquêteurs du livre, cette connaissance des « anciens » peut prendre une dimension démesurée, quasi mystique.

L’histoire commence, comme souvent, dans les greniers à feuilleter les vieux albums de photos. Pour y découvrir un oncle et une tante tragiquement décédés quelques jours après leurs mariages. Alice et Etienne ne les ont pas connus. Non seulement ils sont morts avant leur naissance, mais leur vie a été quasi occultée, cachée, mise sous silence, comme un vieux secret trop douloureux pour être évoqué. Le récit est donc la recherche des deux disparus, Olivier et Yvonne, décédés dans le krach de leur petit avion un jour de janvier 1976. Une recherche un peu dérisoire, quelque quarante années après l’événement, mais le covid est là, qui laisse du temps pour enquêter et pour gamberger.

Sophie Berger, l’auteur, réussit à nous embarquer dans ce cheminement intérieur avec brio. Par petites touches, des avancées subtiles, des témoignages inattendus et des conjonctions de bonnes volontés, elle arrive à lever le brouillard savamment entretenu par les anciens sur les circonstances du drame. En 1976, internet était dans les limbes. Aussi la recherche est essentiellement physique, avec des moments d’incertitude, surtout quand il s’agit de retrouver le lieu même du krach, ou le lotissement occupé par le jeune couple avant son accident. La volonté farouche d’Alice se heurte à l’oubli et un cri intérieur qui résonne à toutes les étapes de l’enquête : à quoi bon !!!

La personnalité chaleureuse de l’oncle Olivier apparaît lentement, comme sous le pinceau d’un peintre. Le lecteur se prend à vouloir en savoir plus. Pourquoi ont-ils pris cet avion ? Comment se sont-ils rencontrés ? Pourquoi les images du mariage étaient-elles un peu figées ? Fort opportunément, le récit se déplace en 1976, les quatre à cinq jours qui ont suivi le mariage, avec Olivier et Yvonne qui rayonnent de joie lors des plus beaux ( et des derniers ) jours de leurs vies. Divers témoins apportent chacun des morceaux pour reconstituer le puzzle. Les deux mariés revivent sous nos yeux…

Le livre est une vraie réussite. C’est une immersion profonde dans le monde des sentiments, des ressentis, des conditionnements de l’enfance et des relations familiales compliquées face à un drame inexplicable. Sophie donne à partager toutes les pensées d’Alice dans un style précis, subtil et immergé de mots délicats. Comme des papillons posés sur des souvenirs, ils rivalisent de légèreté. C’est merveilleux d’humanité.

Oui assurément Gallimard ne s’est pas trompé. L’exploration de la famille et de ses secrets est un exercice qui parle à beaucoup. En particulier à tous les sensibles attachés à leurs racines qui se considèrent comme le maillon d’une chaine, et non pas l’individu ultime et égocentré qu’est souvent le dernier rejeton. Quand cet exercice est fait avec une telle grâce, cela touche au sublime…

Dussollier génial en de Funès…

L’outrance : beaucoup de comédies reposent sur ce concept. Mais c’est un exercice périlleux qui doit être mené par un artiste chevronné. Louis de Funès était parfait dans ces personnages déjantés. Ce n’est cependant pas à la portée de tout le monde.

André Dussollier, acteur réputé sérieux, sachant être piquant et joyeux drille dans certaines circonstances, pouvait-il relever le défi ? Devenir ce militaire à la retraite, portant haut ses oeillères et ses principes, pour qui la découverte de l’ancienne infidélité de sa femme va tout bouleverser, comme une boule folle dans un jeu de quilles.

Au final, mission réussie sur toute la ligne. Notre Dédé national, souvent réservé aux rôles de falot maladroit et distingué, comme dans « les enfants du Marais » nous fait un véritable festival. Il accapare l’écran dans une franche partie de rigolade. Le personnage est odieux, mais par sa pureté et son caractère décalé dans une période aux principes plutôt chahutés, il est touchant et fait rire. L’histoire est certes exagérée, mais pas plus que dans « Oskar » avec son de Funès survolté. L’inattendu tandem Lhermitte-Azema qui l’accompagne est complice, de même que les trois enfants aux caractères très typés. Un assaisonnement favorable pour permettre à cet automate galonné, remonté jusqu’à son dernier ressort, de parcourir l’écran de droite à gauche, puis de gauche à droite jusqu’à épuisement du mécanisme. Le spectateur hoquète de plaisir, avec parfois une petite anxiété que le récit tourne court. Mais non, il y a toujours un nouveau pétard qui éclate pour nous remettre dans la partie.

Le film n’est, certes, pas de ceux qui marqueront les annales, mais je suis sûr qu’il fera partie de ceux qu’on aura plaisir à voir et à revoir, le dimanche soir à la télévision. Ne serait-ce que pour voir un grand acteur au sommet de son Art qui sort de sentiers qu’il a bien battus, et semble nous dire avec son air rigolard « elle est bien bonne, celle-là…. » Merci Dédé, tu es le plus grand.

La pouponnière d’Himmler

Ce roman m’a dérouté… L’idée de raconter le curieux programme Lebensborn d’amélioration de la race aryenne – obsession d’Hitler – étonnamment confié à Himmler et ses SS, plus enclins à distiller la mort qu’à cultiver la vie, est assurément une bonne trame de roman. La chose n’est pas si connue, et cet eugénisme forcené renvoie aux positions extrêmes de quelques contemporains voyant dans l’étranger une tâche sur leur blason. Et puis, à l’heure où les vainqueurs des conflits ont tous les droits, notamment de déflorer les filles chez l’adversaire vaincu, l’idée de confier les enfants nés de ces unions sans lendemain à des pouponnières censées faire germer ses rejetons de seigneurs en puissance a un côté tellement saugrenu que le récit promettait du piquant.

Point de cela dans le roman de Caroline de Mulder, une universitaire belge qui a étudié le sujet très sérieusement et nous fait le récit de bribes de moments de guerre, vécus par des femmes. Au niveau même de petits êtres vagissants dans leurs berceaux qui sont loin d’imaginer l’honneur suprême qui est le leur d’être issus de semences de conquérants. Le récit, croqué dans des mots croustillants, très bien choisis, baigne dans des odeurs de nourrissons. Les maisons d’accueil, en particulier ce Heim bavarois ultime refuge en cette fin de guerre, sont de véritables oasis de sérénité et d’opulence, au milieu d’un conflit brutal et destructeur.

Au dehors, c’est la sauvagerie totale, avec Renée, jeune Française qui se fait tondre pour collaboration horizontale. Ou plus proche, avec Marek ce prisonnier Polonais, jardinier du Heim, qui se nourrit d’épluchures de patates pour survivre. Alors qu’Helga, infirmière du Heim reste imperturbable dans ses convictions d’oeuvrer au service du bien.

L’auteure nous fait passer de l’un à l’autre, en essayant de trouver un lien dans ces trois destins ballotés dans un conflit qui les dépasse. Elle y réussit plus ou moins, car la trame est si légère qu’elle retient difficilement l’attention, autrement que sous l’angle historique. En revanche, là où Caroline de Mulder réussit parfaitement son coup, c’est dans son style littéraire précis, puissant et percutant qui retranscrit la chute d’un rêve collectif au service du Reich millénaire. Ces pouponnières censées construire les vainqueurs de demain, et qui vont se résumer au final à créer des milliers de déracinés ayant perdu toutes trace de leur généalogie, voire même de leurs patronymes. Des milliers de berceaux sans parents qui embarrasseront les troupes Américaines sans doute davantage que les prisonniers de camp de concentration. Car contrairement aux premiers, les seconds savaient où rentrer chez eux….

Pour rester dans ce misérabilisme, l’auteur brode une fin improbable. Comme si la détresse psychologique était éminemment supérieure au fait de survivre à un conflit destructeur qui aura causé au monde les pires tourments. Sauf dans ces Heims, coupés des horreurs de la guerre, de la faim et de la douleur qui ont, partout ailleurs, fait leur travail de destruction…

Etats d’âme d’une femme remarquable…

Quelle femme merveilleuse !… Une femme rabbin qui ose élever la voix à un moment où la parole des juifs est inaudible. Elle le fait avec une sensibilité incroyable en puisant dans son inconscient de petite fille juive qui place sa voix, mais aussi celle de tous ses ancêtres, morts depuis longtemps, avec qui elle aime échanger, débattre, ergoter…

Son propos est une petite musique intime qui trahit une richesse de coeur, mais aussi surtout une sourde angoisse. Une angoisse partagée par tout un peuple qui, depuis le sixième siècle d’avant notre ère, n’arrive pas à se faire accepter, se faire oublier, se noyer dans la masse du vulgus pecus. Non un juif sera toujours à part dans les yeux des autres. Avec tact, humour et légèreté, elle nous renvoie le miroir de nos ostracismes qui se cachent à eux-mêmes, de cet antisémitisme latent qui puise ses racines tellement loin que son rejet est nécessairement un acte de rébellion contre ce qui nous détermine.

Le silence qui a suivi les attaques du 7 octobre a été étourdissant, au regard du charivari qui a accompagné la réaction d’Israel. Une subjectivité généralisée qui n’est pas née ce jour-là. Cela remonte à loin, très loin… Delphine n’est pas là pour accuser, ni défendre ce qui n’est pas défendable. Elle se place au niveau de l’humain, des réactions instinctives et émotionnelles qui naissent de ces drames. Une communauté sous le choc qui se cache, dissimule ses signes ostentatoires, et se serre les coudes face à ce présent détestable et honni, mais aussi surtout face à l’avenir. Un avenir qui inscrit ses pas hélas trop facilement dans la boue du passé, et ses marécages qui ensevelissent.

J’ai eu de la pitié à ce récit, notamment face à cette femme qui ne vit plus de voir son fils jouer au foot avec son étoile de David à la poitrine. Une cible bien trop ostensible dans une société qui a décidé de s’affranchir d’une partie des siens…. Qu’ils sont touchants tous ces juifs dont elle éveille le souvenir ! Un grand-père amoureux de la langue française qui se défend de parler yiddish. Une grand-mère au français écorché qui trouve dans le chanteur Claude François des acquaintances lointaines avec son peuple, pour ne pas parler d’un passé très lourd qu’elle préfère garder pour elle. Delphine parle joliment de la condition juive, sans jamais évoquer la Shoah, pour échapper à l’accusation de victimisation dont les siens sont crédités.

Elle parle du coeur et de ses nuits sans sommeil depuis un certain jour d’octobre. Ce livre est merveilleux. Il fait réfléchir sur la vision que nous avons de nos voisins, si proches, si intégrés, mais aussi si différents dans leur volonté de poursuivre ce qui est leur nature intime. Un livre nécessaire pour ouvrir les yeux, simplement, sans préjugés, ni condamnations préalables.

« Hors Saison », sortie de piste d’une dépression…

Le film est du réalisateur Stéphane Brizé, mais c’est un film que Guillaume Canet aurait pu faire, tellement il lui ressemble. L’exploration des troubles et des tensions liés à chaque âge est du « pur Canet » dans le texte et les motivations. Cette fois-ci, ce n’est pas une bande de potes trentenaires comme dans « les Petits Mouchoirs », mais les questionnements métaphysiques de la cinquantaine, quand l’âge se fait sentir et qu’il provoque chez les perfectionnistes comme l’est notre fringant acteur, des sentiments dépressifs.

Voilà donc un film au public ciblé qui ne passera pas le filtre des plus jeunes. Et pourtant quelle justesse de ton !… Le film est lent, laborieux, plein de moments de silence; la Bretagne y est austère, peu engageante. Matthieu, notre dépressif a choisi l’endroit le moins naturel pour se ressourcer. D’ailleurs, son séjour de Thalasso est marqué par l’ennui et un détachement à toute épreuve… Les images s’étirent dans un grand bâillement du spectateur. Jusqu’à l’arrivée du personnage d’Alice ( Alba Rohrwacher merveilleuse de justesse ), une ancienne maitresse abandonnée qui apparaît comme un rayon de soleil dans un ciel d’orage. Tout s’articule ensuite autour de cette femme, pudique, peu sûre d’elle, qui brave les souvenirs douloureux du passé pour retisser du lien. Face à elle, il reste mutique, peu ouvert, mais se laisse finalement séduire par la générosité de cette femme qui fait du bien dans un hospice de vieux. Elle l’invite dans la célébration d’un mariage entre deux résidents de la maison, autour d’une soirée où les yeux du dépressif retrouvent l’étincelle de la vie. La soirée est d’une grande puissance émotionnelle, comme le témoignage d’une vieille femme, passée à côté de sa vie, et bien décidée à rattraper le temps perdu.

Comme l’espérait le spectateur, les deux amants finissent par se retrouver pour une étreinte qu’on imagine furtive. Ainsi, c’est dans un pays hostile, entouré de vieux proches de la fin, que Matthieu va retrouver une certaine envie de vivre. Alice n’en sortira pas indemne, car le mal-être peut sauter d’un individu à l’autre. Foutue déprime des bilans quinquagénaires !… Finalement, seul l’amour est un ciment qui tient pour traverser ces moments difficiles.

Un beau film, léger, et sans doute pas tous publics. Qu’importe, l’esprit est là, et il parlera à beaucoup…

Il reste encore demain

Le cinéma est d’abord une affaire de passion, avant d’être une affaire de gros sous. La production a un peu gâté le tableau, en parlant du film « aux cinq millions d’entrée » en Italie. Elle nous a ainsi privés de l’effet de surprise qui aurait immanquablement accompagné ce petit film italien en noir et blanc, très intimiste et sans aucun acteur connu au générique. J’imagine le bouche à oreille se répandant comme une traînée de poudre. Cela aurait été mille fois plus efficace que les rodomontades de l’affiche.

Car de la surprise, il y en a, je vous prie de le croire !… Et surtout du cinéma pur, esthétique, percutant. Une caméra désinvolte qui capte des bribes d’une italienneté désopilante ; l’intimité d’une famille à la sortie de la guerre; des gens simples, fiers, volubiles, qui s’affrontent dans un déluge de cris, de tensions et de disputes entre voisins; un clin d’oeil appuyé aux comédies italiennes en noir et blanc des années 60, mais sans la légèreté habituelle. Car le père est un homme brutal qui a la mauvaise habitude de frapper sa femme, la stoïque Delia, et de tyranniser ses enfants. Delia serre les dents, protège sa fille et essaie de canaliser ses deux fils hyper-turbulents, mais elle n’a pas la tentation de se révolter. Elle accepte sa condition, jusqu’au moment où elle perçoit de la pitié dans les yeux de sa fille. Dans le même temps, cette dernière s’engage dans un mariage sur le papier très valorisant, avec un élu de son coeur qui, cependant, montre vite des vélléités de patriarcat absolu, comme le père de famille. L’histoire se répètera-t-elle ? Delia peut-elle accepter que sa fille soit condamnée à connaître le même destin ?… Pour traverser l’épreuve, Delia se console dans une grande amitié avec le garagiste local, mais ce dernier qui crève la faim, décide de partir vers le nord de l’Italie. Va-t-elle le suivre, en abandonnant tous les siens ? Une lettre adressée de manière rarissime à Dalia-même semble provoquer un déclic…

Sur ce canevas, la réalisatrice Paola Cortellesi qui tient elle-même le rôle de Dalia avec une justesse absolue, nous brode une histoire superbe, dont l’émotion perce à chaque scène dans les yeux perdus de cette femme battue. La scène où elle se fait rosser par son mari, devient une danse poignante où les coups pleuvent entre les étreintes. A certains moments, des chansons italiennes accompagnent le drame pour donner un goût aigre-doux aux images et désamorcer la tension. La technique de cette jeune réalisatrice excelle, au-delà du choix esthétique et bien trouvé du noir et blanc. Le spectateur vibre intensément avec cette femme qui résiste vaillamment à sa condition misérable. Jusqu’à la pirouette finale, le dénouement inattendu qui donne au film une tout autre connotation.

C’est alors une illumination qui donne un large sourire. Le spectateur sort heureux. Ce film mérite ses 5 étoiles. Un vrai bonheur…

Le défi de Jérusalem

C’est le huitième livre d’Eric-Emmanuel Schmitt que je lis, toujours avec le même plaisir. Cet auteur prolifique enchaîne les ouvrages et poursuit tranquillement le chemin qui le conduira, sans doute, vers le Nobel de littérature. Ce ne serait que justice, car l’homme explore son imaginaire de deux façons très différentes : par la fiction avec des romans pleins d’émotions ( « Oskar et la Dame en rose » ) ou foncièrement originaux ( « la Part de l’Autre » ) pour ne citer que ces deux-là parmi la quinzaine d’ouvrages que je suis loin de tous connaître ; par l’exploration également des mystères de la Foi où il se met en scène pour raconter sa conversion à la foi chrétienne, alors qu’il était à l’origine carrément athée.

Avec les talents d’un conteur hors pair, il a ainsi raconté sa rencontre avec Dieu (« la Nuit de Feu » ). Mais aussi, il a eu la folle audace dans « l’Evangile selon Pilate » de mettre en scène Jésus à la première personne du singulier. Quelques années plus tard, il se permettait dans un roman complètement fou de faire une interview de Dieu ( « l’Homme qui voyait à travers les visages » ).

Cette deuxième collection est diablement attractive, car il est sur un registre philosophique et humaniste répondant à des questions existentielles. Il démystifie et rend abordable l’approche de la religion, alors même que beaucoup de nos contemporains la rejettent ou ne s’y reconnaissent plus. Un rejet collectif, tout en étant parallèlement troublés par le vide qu’elle laisse, l’espérance n’étant plus là en rempart du spleen et des interrogations métaphysiques. Schmitt apparaît donc comme une sorte de prophète. Mais un prophète qui ne parle que de son expérience personnelle, avec des mots qui transcendent.

« Et vous, qui dites-vous que je suis ? » demandait Jesus. Schmitt aura usé de tous ses talents d’écrivains pour raconter, au fil de ses livres, son cheminement qui lui aura fait donner quatre réponses, au fil de sa vie, à cette question : « un mythe », réponse de l’athée d’origine ; « un prophète », réponse du jeune de vingt ans; « un philosophe » intuitif qui exprime ses pensées de manière fulgurante ou sous forme de paraboles, dit le jeune Schmitt étudiant ; et enfin « le fils de Dieu » répond enfin l’écrivain mature après un voyage en Terre Sainte.

« Le défi de Jérusalem » est le récit de ce voyage. Un récit passionnant car Schmitt le fait avec détachement, sans passion excessive, avec sa curiosité d’homme libre et d’honnête homme pour seul viatique. Muni aussi d’une bonne connaissance des Evangiles. Et aussi – c’est sa force – une sensibilité exacerbée qui lui fait voir au-delà des apparences.

Le résultat est tout en nuances, avec des déceptions, des emportements divers sur l’exploitation commerciale des lieux, mais aussi une plongée dans les écritures, les églises de Bethleem et de Jérusalem, le mont des Oliviers, et enfin un émerveillement olfactif à la visite du Saint Sepulcre. Schmitt se laisse envahir par une force externe qui emporte ses derniers soubresauts agnostiques.

Le livre se lit comme un récit de voyage, accessible à tous. Sa genèse sur le conflit israélo-palestinien donne des clefs de compréhension de ce qui se passe dans ce proche Orient explosif. Il apporte le témoignage d’un Chrétien qui ne rougit pas de sa religion. Une religion qui met en avant la vertu de « l’amour » alors que les autres religions sont sur un autre registre : la vertu du « respect » chez les Juifs, la vertu de « l’obéissance » pour les musulmans et la vertu de « la compassion » pour le bouddhistes.

Un joli voyage qui vient clore des années d’introspection fructueuse. S’arrêtera-t-il là ? Rien n’est moins sûr avec cet homme surprenant toujours sur la brèche. Il nous fait tellement avancer qu’on ne peut que l’inciter à poursuivre sa quête. Un livre à recommander à tous ceux qui doutent…

Une vie ?… Vraiment ?

Quel manque de culture que de nommer ce film « une vie », avec le risque de confusion avec le chef d’oeuvre de Maupassant! Nos diffuseurs n’ont décidément plus d’originalité. Soit ils conservent le titre anglais abscon, soit ils traduisent bêtement, sans égards pour la culture locale. L’époque où « The deer hunter » devenait en français le mythique « Voyage au bout de l’enfer » est hélas bien révolue !… En plus, ce titre simpliste ne rend pas justice à un beau film qui célèbre un « Juste » dans l’histoire, Nicholas Winton, un peu tombé dans les oubliettes de nos mémoires.

Voilà, en tout cas, une injustice réparée, mais à l’image du titre un peu fade, cet hommage n’est guère appuyé. Le film est léger, tout en humilité, peut-être pour être conforme à la personnalité du héros. Cet homme ordinaire qui, dans une période troublée, s’est senti obligé de monter en première ligne pour sauver de jeunes vies. Des jeunes Juifs tchèques menacés par la grande machine à broyer nazie. Il n’en tirera aucune gloire, sinon la bonne conscience de l’honnête homme. Et si son histoire n’avait pas touché Robert Maxwell, magnat britannique de la presse, d’origine tchèque, peut-être n’aurait-il pas été honoré de son vivant.

La scène est touchante. Tout le film repose sur cette émission de télévision qui a dû être un sommet d’émotion avec tous ces survivants célébrant leur sauveteur. Anthony Hopkins est parfait. Il n’a pas besoin de forcer son talent pour jouer ce vieil homme maniaque qui a du mal à replonger dans ce fait de gloire de ses années de pré-guerre.

Il manque quand même au film un peu de souffle. La copie est trop parfaite, sans originalité et sans vitalité profonde. Qu’importe !… Ce film a le mérite d’exister. Il rappelle que l’émigration humanitaire est une grâce. De ce point de vue, le film est militant. Mais résumer la vie de cet homme à son action pendant quelques mois, me semble réducteur. Encore une fois, le titre est mal choisi….

Du doux métier d’enseigner…

Dieu, que le métier d’enseigner est difficile !… C’est la réflexion qui vient à l’esprit à la vue de ce film tendu comme un arc, qui dégage une tension forte dans ce qui devrait être un lieu de concorde et de paix, à savoir une école. Un film allemand avec cette belle langue de Goethe trop rare sur nos écrans, au message cependant universel. Les instituteurs sont aujourd’hui challengés par des élèves ayant acquis un haut niveau de conscience de leur place dans la société et qui en usent, en bravant parfois l’autorité. Il faut donc une bonne dose de stoïcisme du corps enseignant pour résister à cette déferlante citoyenne et revenir aux fondamentaux.

Comme souvent, l’étincelle vient d’un petit rien, des vols dans l’établissement et une jeune enseignante qui croit bien faire, en laissant la caméra de son ordinateur en veille pour disculper avant de mettre en accusation. Ce qui va donner lieu à une série d’événements en chaîne… Le spectateur se laisse happer par cette histoire au réalisme stupéfiant, avec des jeunes élèves plus vrais que nature. La jeune actrice, Leonie Benesch, est impressionnante dans le rôle d’une enseignante débordant de bonne volonté, qui se révèle pugnace dans l’adversité. On a cependant mal pour elle… L’unité de lieu du récit ne laisse aucun temps mort. Cette école vous secoue comme une machine à laver, laissant le spectateur essoré et pantelant…

Comment a-t-on pu en arriver là ? Nos enfants sont-ils devenus des citoyens ultimes, comme le rêvaient les manifestants des années 68 ? Ou la perte de soumission et l’esprit de révolte, qu’on retrouve à tous les étages de la société, s’opposent-ils au partage du savoir qui est, à la base, un acte de confiance intime entre sachant et novice du savoir ?…

J’avoue avoir éprouvé un peu d’anxiété face à cette perte du respect dû au porteur de l’autorité. Surtout dans un pays comme l’Allemagne qui ne s’illustre pas par son esprit frondeur. Cela doit être bien pire chez nous, pays aux ferments révolutionnaires… Oui assurément, nos enseignants ont du mérite….

Heureusement, il y avait Judith…

La grande fête du cinéma est toujours un spectacle. Entre les pitreries des présentateurs, les robes incandescentes des actrices, les petits jeux de chacun durant la cérémonie, les tirades des uns et des autres, voire les tribunes libres de ceux qui profitent de ces projecteurs pour divaguer sur l’actualité, c’est parfois le cirque… Assurément, le spectateur en a pour son argent d’abonné à Canal +.

L’édition 2024 a été un peu plus terne. Illuminé seulement par le discours subtile et émouvant de Judith Godreche. Quelle émotion ! Cette femme magnifique, avec des yeux candides derrière des grandes lunettes, a effleuré son histoire tout en douceur. Avec l’assurance d’une femme équilibrée, elle a évoqué le hiatus entre la beauté d’un divertissement qui fait rêver et les « mains sales sur des seins de 15 ans » de quelques professionnels dévoyés. L’exploitation de jeunes actrices par leur mentor est une tâche honteuse sur la création artistique. Le cinéma qui élève l’âme devant les caméras, ne peut se prêter aux pires turpitudes en arrière-cuisine.

On pouvait craindre, comme l’a fait Jerome Seydoux, le Président de Pathé, que cette intervention soit déplacée, en portant sur la scène ce qui relève des prétoires de tribunal. Et le risque était aussi celui d’un nouveau grand déballage, aux côtés souvent obscènes, comme la tribune scandaleuse de la Palmée Justine Triet au dernier Festival de Cannes. Mais Judith a mis toutes les craintes dans sa poche. Sans stigmatiser, d’une voix fluette où perçait son amour de la vie et toute absence de rancoeur, elle a appelé le cinéma à ses devoirs. Tellement plus percutant que la vulgarité d’une Corinne Masiero déboulant nue sur la scène en 2021 !

L’édition 2024 a donné lieu à un hommage appuyé au réalisateur Christopher Nolan, glorieux architecte de ce monument de l’image et du cinéma qu’est le film « Inception ». Et le César d’honneur offert à Agnès Jaoui a paru tellement mérité, pour cette femme de tous les combats qui nous a donné beaucoup d’émotions par ses films autour de son compagnon Jean-Pierre Bacri.

Quant au palmarès, il a été horriblement consensuel avec le film un peu surfait de Justine Triet « Anatomie d’une chute » qui raffle tout. Certes, ce film a des qualités que j’ai su mettre en avant sur ce blog, mais il ne mérite, certes, pas cette avalanche de trophées après Cannes. « Le Règne animal » que je ne connais pas, a aussi beaucoup engrangé, traduisant cette tentation du « tout ou rien » que je trouve très contestable au sein des milieux du cinéma. Car on laisse ainsi sur le bord du chemin d’excellents films. La déception de Jeanne Herry, auteur du formidable « Je verrai toujours vos visages » faisait de la peine. Son film méritait amplement le Cesar du meilleur film.

Dernier enseignement de cette édition : la découverte de la révélation masculine Raphaël Quenard. Un nom qui va se faire entendre dans un proche avenir, je suis prêt à le parier. Son discours de remerciements après son Cesar a été merveilleux de justesse et d’entrain.

Veiller sur elle…

Un Goncourt, cela se déguste. On le dépiote comme un crustacé, en savourant chaque mot, en grignotant l’histoire, en cassant la carapace pour aller gratter et extraire la métaphore, en se laissant emporter enfin par la juxtaposition de mots improbable… le dernier opus de Jean-Baptiste Andréa a déjà un titre évocateur « Veiller sur elle« . Il se présente comme un gros pavé de 580 pages devant lequel on salive comme devant un beau tourteau. Gagné !..

L’édition 2023 est d’une belle espèce. de celles qui vous emportent à la suite d’un personnage extraordinaire durant quasiment sa vie entière. Il y a du souffle épique au programme, en plus sur des chaleureuses terres italiennes. La montée du fascisme est évoquée par petites touches, mais cela reste un fonds sonore. le récit se concentre sur Mimo, un pauvre hère nain, doué pour la sculpture qui va tirer son épingle du jeu pour connaître une ascension sociale inespérée. Son moteur dans la vie est depuis l’enfance Viola, une fille d’aristocrate avec laquelle il noue une amitié forte, mais asexuée. Viola est un esprit libre, idéaliste, pleine de mépris pour ses origines, qui traverse l’existence avec détachement. Mimo court après elle, joue les protecteurs, se laisse envoûter, et revient immanquablement à elle, après avoir folâtré dans les draps de filles de passage.

Que cherchent ces deux-là ? Peut-être simplement à prolonger la complicité de l’enfance. Grâce à la famille de Viola dont il a fini par se faire accepter, Mimo va connaître un destin exceptionnel de sculpteur, sollicité de toutes parts, y compris par cet état fasciste qu’il ne rejette pas. Une vie pleine et entière. Mais quand sa Viola va disparaître prématurément, le petit homme va perdre le goût de la vie, et se replier dans un monastère. 

Ce livre est d’une belle densité. Avec une langue plutôt simple qui vous réserve parfois des décharges littéraires et sémantiques. L’auteur connaît visiblement l’Italie dans toutes ses dimensions. Il nous appelle à un beau voyage géographique et historique. Dans le dernier tiers, peut-être, l’histoire trottine avec nonchalance, mais comment en vouloir à l’auteur : une vie ne peut être faite que de coups d’éclat. L’important est de conduire à bon port, dans cet éclat final où le héro vieillissant va à nouveau se consumer pour son amie Viola. Une femme qui aura été son guide, sans qu’il ne l’ait jamais touchée. Puissant !….

Les années Disco : remise en mémoire

Formidable documentaire de France 3, « Disco, la révolution française » qui nous plonge dans les années Disco et cette frénésie de danse qui a agité toute la planète à la fin des années 70. Une période magnifique que j’ai eu la chance de vivre. Intensément… Ce documentaire a agi sur moi comme une madeleine de Proust. Un bain de jouvence au son de la basse et de batteries déchaînées… Quel plaisir !

Ce reportage est passionnant du début à la fin. Il explique comment un Français obscur, chanteur sans succès sur le point de tout arrêter, Patrick Hernandez, reprend une de ses vieilles chansons pour la re-rythmer et en faire un succès international, « Born to be alive ». C’est quasi le début d’une vague déferlante qui va tout bousculer au grand dam des rockers classiques, et qui va bientôt se concrétiser avec « La Fièvre du Samedi soir » et le succès planétaire des Bee Gees, groupe de rock en panne qui écrira, en une semaine, quatre tubes au rythme endiablé. L’album le plus vendu, « Saturday night fever » avant que Michael Jackson remette les pendules à l’heure quatre années plus tard.

Le parti-pris du reportage est de montrer l’apport précieux qu’a apporté la France à cette révolution. Et ce fut une surprise pour moi de voir que cette musique au rythme irrépressible a été, en large partie, lancée par des Européens. Des Allemands avec Donna Sommer et Boney M, mais aussi des Français avec Patrick Hernandez et Cerrone, bientôt secondés par le Suisse Patrick Juvet. La vieille Europe qui montre la voie au pays de l’oncle Sam, ce n’est pas si courant !….

Le disco a tout inondé, en faisant danser toute la planète dans des discothèques où les paillettes étaient de mises. Avec une soif de faire la fête, dans une débauche d’extravagance, d’énergie et de sexe. Une période sans freins avant que le Sida vienne bouleverser le jeu et cette belle liberté gagnée dans l’insouciance.

Ce que montre bien le reportage, c’est que le disco portait en lui les germes du rejet brutal dont il a été ensuite la victime. C’est le seul style musical qui a été détruit au début des années 80 pour connaître un purgatoire de près de dix années. En effet, le disco était moins une affaire d’interprètes que d’impresarios futés flairant la bonne affaire et lançant des groupes comme des produits de supermarché. Ainsi le groupe « Village People » qui a marqué, à jamais, la culture populaire, est une création de toutes pièces avec un casting pour former le groupe. Surprise, cette initiative est 100% française… Ainsi le groupe qui a sorti les homosexuels de leur ghetto, qui a dynamité l’Amérique puritaine et dont le tube « In the navy » a été adopté par la marine américaine comme son hymne ( avant un retour en arrière sous l’effet des ligues de vertu ), ce groupe a été lancé par deux Français…. Incroyable !

Le reportage fourmille de plein de détails qui montrent que la France a toujours été en première ligne de cette révolution. Il est vrai que nos compatriotes aiment bien monter sur les barricades. Surtout, et c’est réconfortant, il montre le réveil du disco avec Daft Punk, puis plus récemment avec les envoûtantes Juliette Armanet et Clara Luciani.

Le disco, il est de bon ton de le démonter, de critiquer son rythme de grosse caisse et ses interprètes aux destins parfois de météorites. Force est de constater, quand même, qu’il continue à rassembler tous les danseurs sur la piste. C’est un appel impérieux à se déhancher pour vibrer de tous les pores de la peau. Reconnaissons-le honnêtement, on n’a guère fait mieux depuis, pour faire la fête et se lâcher dans un grand oubli de son corps. J’ai donc beaucoup aimé cette réhabilitation.

En plus, j’ai exprimé de l’émotion, avec quasi des larmes aux yeux lors du générique de fin. Certes je regrettais là un peu de ma jeunesse évanouie. Mais le souvenir de ses rythmes et de la douce complicité collective qu’il provoquait, a supplanté tout le reste. Les années 80 ont assurément été une période bénie, avec une liberté totale qui restera sans doute un sommet dans l’histoire humaine. Vive le disco ! « Le Freak c’est chic »

PS : Difficile de donner son tube préféré, mais j’ai deux chansons qui provoquent des démangeaisons irrépressibles dans les jambes : « You should be dancing » des Bee Gees et surtout « Lady’s night » de Kool & the Gang ( parfait pour un rock-essuie glace comme au bon vieux temps ).