L’INCONDUITE D’UNE FEMME DEBRIDEE

Je suis passé plusieurs fois devant ce roman affiché parmi les meilleures ventes de la Fnac. Mais un rien m’interdisait de l’acheter, ce côté sulfureux, cette liberté de ton, ce caractère graveleux qui, à mes yeux, apparente ce genre de littérature à des livres à lire d’une seule main, à côté de la boite de Kleenex. Heureusement mon Kobo a levé mes dernières préventions, en m’autorisant un achat purement digital. Je ne l’ai pas regretté…

Emma Becker est une jeune femme affranchie des siècles d’assujettissement des femmes aux règles des bonnes moeurs et de la décence. A la douce dictature aussi de la retenue qui met beaucoup des désirs féminins sous un étouffoir. Cette femme a choisi de passer librement quelques mois dans un bordel, dans cette ville de Berlin qu’elle habite depuis quelques années ( expérience racontée dans un autre livre « la Maison », lecture too much pour moi ). Dans « l’inconduite », elle raconte sa vie d’après, de femme et de mère, vivant en couple, mais libertine et débridée autour des choses du sexe.

Osons le dire tout de suite. Cette lecture est parfois dérangeante, car on ne s’habitue pas toujours à voir une femme rentrer dans les chaussures de Don Juan follâtreurs. A exprimer ses envies avec une telle crudité. Avec un tel naturel. C’est quasi obsessif, dérangeant, et en même temps la quintessence de la liberté gagnée par les femmes dans un domaine où elles étaient le plus souvent soumises. Bien sûr, cette liberté n’est pas cause de bonheur, et les états d’âme sans fin de cette femme montrent que le sexe dévoyé n’assure pas au féminin comme au masculin la plénitude qu’on en attend.

Le livre est déroutant par l’égocentrisme frénétique d’une femme qui fait passer sa sensualité avant tout chose, y compris la maternité qui reste durablement en filigrane. A quoi bon ce déballage, est-on tenté de questionner. Mais elle sait y répondre par des chapitres auto-justificateurs qui secouent le lecteur. Son discours se tient; cette jeune femme est d’une rare homogénéité.

Malgré ses longueurs et ses répétitions, je retiendrai de ce roman la qualité de l’écriture. Elle transcende par la justesse de ses vues, par la révélation de pulsions inexprimables, par la mécanique du désir, par le pouvoir déstabilisant de mots qui sont lâchés subrepticement comme des petites mines anti personnelles explosant dans notre confort de rapport normé entre les sexes. Il y a dans ce livre des moments de grâce, aussi bizarre soit-il.

Le sexe est finalement une terra incognita qui reste à découvrir. Ce livre y contribue, avec les mots d’une talentueuse auteure.