Franz-Olivier Giesbert est un malin. Il écrit chaque semaine de beaux éditoriaux, très profonds, dans le Point. Mais tout le monde ne lit pas ce magazine. Aussi, pour s’adresser au plus grand nombre, rien ne vaut un beau roman, romanesque et historique. « La Cuisinière d’Himmler » étonne déjà avec ce titre inattendu. C’est une histoire fictive, mais qui s’inscrit dans son siècle, avec de nombreux personnages historiques comme protagonistes du récit. L’occasion de revisiter l’Histoire de manière légère, en compagnie d’un personnage attachant, Rose, une femme d’origine arménienne dont on va suivre toute la vie au cours des 360 pages du roman. Et quelle vie !…
Giesbert lui a inventé un destin aux petits oignons. Elle a 105 ans, et a tout connu dans le siècle écoulé : le génocide arménien, la montée de l’anti-sémitisme des années 30, le nazisme dans l’entourage immédiat d’Himmler, les années glorieuses de l’Amérique des années 50, le grand bond en avant de la Chine de Mao, l’émancipation et la libération des femmes des années 70 et la grande vieillesse dans notre époque qui ignore ses anciens. L’accumulation de ces tranches de vie symptomatiques de leur époque, aussi improbable soit-elle, permet tout simplement de parler subrepticement d’Histoire. Giesbert retrouve l’esprit de chaque époque pour rappeler quelques vérités qu’il assène avec la finesse d’un polémiste rompu au débat d’idée. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il déménage !
Les premières pages sur le génocide arménien sont saisissantes. Giesbert rappelle, l’air de rien, la responsabilité totale des Turcs qui, aujourd’hui, contestent encore la chose. On ne parle pas assez de cette première éradication organisée d’un peuple entier, près de 25 ans avant le nazisme. Puis, de retour en France, Rose retrouve un autre conflit, plus souterrain, l’anti-sémitisme purulent qui monte dans le pays, bien avant Hitler. Les périodes s’enchaînent qui donnent lieu à des charges en règle contre des illusions collectives qui ont détruit nos civilisations patiemment construites. Si l’attaque contre la folie nazie est consensuelle, l’ironie grinçante contre les marxistes et maoïstes de tout poil fait mouche. Giesbert distille ses scud avec une passion communicative. Il taille ainsi un costume à Jean Paul Sartre particulièrement savoureux. L’auteur des « Mots » n’a pas ses faveurs, contrairement à Albert Camus qu’il vénère.
Mais ne nous méprenons pas. Au delà du règlement de compte politique, « La Cuisinière d’Himmler » est d’abord une belle histoire, avec une héroïne attachante. L’écriture est enlevée et le récit alerte. Et le moralisme de Giesbert reste en filigrane… Une lecture réjouissante !