Elle porte bien son nom. C’est la terre de France le plus à l’ouest. Celle qui profite de la dernière lumière du jour, avant de voir sombrer le soleil dans une immensité liquide. Le Finistère dans son expression ultime de bout du monde.
L’île d’Ouessant est un lieu qui attire. Elle exerce sur le visiteur une forme d’envoûtement. L’idée d’aller jusqu’au bout de la route, cap à l’ouest, tant que la terre nous porte. Mais l’île se mérite… Elle ne se donne pas au premier venu. Mieux vaut regarder la météo marine avant d’entreprendre le voyage. Pour l’avoir négligé, nous avons dû nous y prendre à deux fois. La première fois, lors d’une journée pourtant ensoleillée, notre ferry avait dû rebrousser chemin à deux cent mètres de l’arrivée, à cause d’une forte houle qui rendait l’accostage dangereux. Nous avions réalisé ce jour-là que le bras de mer entre Ouessant et le continent était comme le Cerbère des enfers. Parfois docile, parfois menaçant, il peut d’un coup de langue vous engloutir. Mieux vaut oublier son arrogance quand on s’approche d’Ouessant. D’ailleurs, les marins craintifs avaient coutume de dire : « qui voit Ouessant, voit son sang ».
Une réputation non usurpée. L’île est sans doute le plus grand cimetière marin avec le Cap Horn. Le nombre de naufrages ayant eu lieu autour de l’île est inimaginable. Cela arrivait avec une fréquence de métronome, certaines années, tous les deux mois. Le plus illustre est assurément celui du paquebot Drummond Castle en juin 1896. Un bateau avec 361 personnes qui sombrera corps et biens, laissant trois seuls rescapés, sauvés par les îliens.
C’est fort de cette histoire chargée que vous abordez l’île un jour de grand soleil. Le débarcadère est à l’est, face au continent, mais il ne donne sur rien. Il faut tout de suite louer un vélo, ou un bus de touristes pour rejoindre le moindre lieu habité, notamment Lampaul, le village principal. Pas d’excès d’aucune sorte dans ce coin de France. Ils ne sont que 840 personnes à vivre à l’année sur l’île, parfois coupées du monde et ravitaillées par le seul petit aérodrome.
Comment ne pas céder aux sirènes de cette finis terrae ? Il s’en dégage un charme magnétique. Les maisons sont disséminées tout autour de l’île et rassemblées en grapes de hameaux solidaires. Les maisons sont basses pour ne pas tendre le flanc aux vents dominants ; les jardins sont souvent entourés de murets de pierres.
Le visiteur reste bouche bée devant l’harmonie de ces paysages, notamment dans le sud de l’île. La moindre maisonnette bénéficie le plus souvent d’une vue sur mer à couper le souffle, vue qui est au demeurant parfois traversante. Sous le soleil caressant d’un jour d’été, les maisons sont toutes ouvertes pour faire entrer cette chaleur inhabituelle. Des fenêtres ouvertes sur des intérieurs simples et coquets. Des jardins constellés de jolies fleurs, des pierres apparentes, des couleurs vives dans les encadrements… On dirait que toutes ces maisons se sont donnés le mot pour attirer les regards. Et essayer de faire oublier le spectacle qui les entoure d’une nature sauvage, brute, extatique…
Le visiteur pédale aux quatre coins de l’île pour profiter de points de vue tous plus étonnants les uns des autres. Il passe aussi de phare en phare, car ils sont nombreux à veiller sur le destin des marins qui croisent au large : la Jument ( lieu de tournage du magnifique film « L’Equipier » qui nous a donné des envies d’Ouessant ) ; le massif Créac’h ; le pacifique Stiff…
Au final, on se dit que la nature est bien faite. Le lieu est inaccessible, justement pour préserver la majesté tranquille d’une île qui n’a guère changé depuis des siècles. Tout y est tranquille, loin de la furia de la vie moderne. Seuls les touristes d’un jour qui sillonnent l’île à vélo de 11 h 10 à 17 h 15 en profitant de l’aller-retour du ferry, viennent troubler la quiétude du lieu. La prochaine fois, c’est entendu, nous viendrons y passer la nuit. Pour profiter un peu plus de la sérénité d’Ouessant et y être totalement à l’ouest…