Clement

Clement est l’ami de ma nièce. Un garçon qui est venu passer quelques jours en vacances auprès de la famille, au sens le plus large qui soit. Une présence qui n’est pas passée inaperçue…

Il a juste 17 ans, mais a déjà fait des choix de vie forts. Clément a les cheveux peroxydés; il est ouvertement efféminé et s’amuse avec sa copine à se vernir les ongles de pieds. Quelques gestes et postures traduisent une orientation sexuelle non conforme au choix majoritaire.

Clément est un garçon très doux, bien élevé et paisible. Il s’assume pleinement… Mais ce n’est pas le cas de l’entourage qui se crispe, lui déniant son droit à la différence. Les générations les plus anciennes sont les plus perdues. Comment accepter de telles « simagrées » ?

Ses tenues vestimentaires perturbent. Notamment lors d’un dîner d’anniversaire où il est paru en veste de smoking new age, avec une des deux jambes teinte en bleu royal. Sa chemise blanche était ouverte sur une médaille ostentatoire d’un L et d’un V entremêlés. Je n’ai pas pu m’empêcher de le taquiner, en lui demandant s’il était un fan absolu de Valérie Lemercier. « Non c’est le sigle de Louis-Vuitton » me répondit-il un peu penaud.

J’ai éprouvé d’abord une certaine indifférence pour ce yuppie maniéré, puis devant l’incompréhension qu’il générait, cela s’est transformé en un certaine tendresse. Que cela doit être dur de s’afficher en dehors de la norme ! Surtout quand on a 17 ans…

L’envie de se vernir ses ongles quand on est jeune garçon, montre que l’inné joue pour beaucoup. Comment rejeter des choix de vie qui sont en soi, avant d’être affichés ouvertement ? Cela ne peut conduire qu’à l’ostracisme. Je me suis rendu compte de ce que je savais déjà : je suis plus tolérant sur la chose que ce que je le laisse paraître instinctivement. D’ailleurs, la redécouverte d’un vieux copain célibataire, extrêmement raffiné que je n’avais pas revu depuis trente ans m’a fait toucher du doigt cette réalité. Nous avons parlé à mots couverts de son attirance pour le sexe fort, et j’ai éprouvé de la complicité avec lui à évoquer la chose, sans jugement, ni la moindre animosité.

Mais reste à résister à la tentation de faire un bon mot. Nous avons tous été conditionnés, petits garçons, à plaisanter sur notre virilité et notre capacité à honorer comme il se doit toutes les jeunes filles qui auront le bonheur de nous plaire. Alors, quand un petit canard noir se désolidarise du groupe pour aller mater un jars, il faut se surveiller pour ne pas en faire un sujet de plaisanterie.

J’ai résisté l’autre jour en affichant sur Facebook le produit de ma pêche. Il y avait là, dans le panier de mes trophées, un homard sans pinces, ce qui est très rare ( il a dû les perdre dans une rixe ou à l’occasion d’une précédente sortie de l’eau par un pêcheur ). J’ai été à deux doigts d’écrire que c’était un « homard tarlouze qui se prenait pour une langouste ». Un jeu de mot, certes, mais qui peut mal passer dans le monde très surveillé qui est le nôtre.

J’ai préféré m’abstenir, en l’honneur de Clément et tous ses congénères. Et puis, je n’oublie pas que j’ai perdu une très vieille copine qui a souhaité rompre nos relations pour une plaisanterie de ce type, dont je ne garde hélas pas le moindre souvenir. Quelle époque que celle du politiquement correct !… Cela part de bonnes intentions, certes, mais quelle remise en cause cela nécessite…

Merci à toi, Clément, tu as, à ton insu, oeuvré à ce que je devienne meilleur….