« Le Testament Français », prix Goncourt 1995, est de ces livres qu’on sait d’avance qu’on les aimera. C’est difficile à décrire, une sorte de pressentiment devant la qualité de l’auteur, un Russe écrivant en français et ayant choisi de vivre en France. Un titre également évocateur et plein de promesses; et enfin, un prix Goncourt obtenu chez Mercure de France, maison d’édition peu habituée aux prix littéraires. Un signe imparable que le roman est bon…
Mais il faut être dans de bonnes dispositions pour découvrir « le Testament français ». Il m’a semblé que la période troublée que nous vivons, où la France se cherche et où les Français ne s’aiment plus guère, était un moment opportun. Une quête de ressourcement, peut-être aussi…
Dans ce livre largement autobiographique, Andreï Makine raconte sa grand-mère, Charlotte, française du début du siècle s’étant installée en Russie à la fin de la première guerre mondiale, et qui a connu toutes les vicissitudes de l’ère communiste, sans que cela n’altère son amour pour son pays d’adoption. Une Française très attachée à ses racines, malgré tout, qui va transmettre son amour de la France à ses enfants et petits-enfants, dans un français très pur qui sera leur deuxième patrie.
Le français comme phare littéraire et culturel au sein d’une Russie sauvage et solitaire. Un français que le petit-fils dévore goulûment, les histoires de sa grand-mère constituant le référentiel de son imagination fertile pour vivre pleinement une France lointaine et inaccessible. Le jeune garçon va se construire en lisant des récits de la Belle Epoque, allant jusqu’à découvrir les premiers émois du coeur devant des photos sépias de Françaises plantureuses du gai Paris. Une France romancée et idéalisée, qui paraît drôlement belle, vue des steppes sibériennes.
Le récit de cet amour pour notre France est fait avec une langue de cristal. La maîtrise du français par Makine est absolument exceptionnelle. La langue s’envole comme les notes d’une diva d’Opéra. Des notes très pures. Toujours divinement simples… J’ai été ainsi quasi envoûté par le récit de promenades faites avec sa grand-mère dans les steppes, à la recherche d’un cours d’eau pour se rafraîchir. Jamais depuis Proust, l’amour et le passé n’ont été aussi étroitement mêlés dans un entrelacement de belles lettres, riches d’émotions.
Il faut lire aussi le chapitre où le jeune garçon fait découvrir Victor Hugo à un jeune coureur des bois, totalement hostile à l’école, qui va lui demander à la fin les références du récit du poète. La France et ses auteurs vus comme une étoile scintillante dans le ciel. Un récit doux à entendre… J’ai d’ailleurs souvent pensé à un autre livre, « la Promesse de l’Aube », le récit de la jeunesse de Romain Gary, autre russe de naissance qui apprendra à aimer la France au contact d’une mère francophile acharnée qui ne lui veut pas d’autre destin que celui très improbable « d’ambassadeur de France » ( ce qu’il deviendra ). Un des livres qui se situe en bonne place dans mon Panthéon personnel…
« Le Testament français » est un livre sur l’amour de la France, qui est d’autant plus vibrant quand il est nourri dans une terre étrangère. Il faut donc lire ce livre pour apprendre à nouveau à nous aimer. A défaut de partir s’exiler pour des terres étrangères, comme l’a fait la jeune Charlotte, grand-mère de Makine.