Quel manque de culture que de nommer ce film « une vie », avec le risque de confusion avec le chef d’oeuvre de Maupassant! Nos diffuseurs n’ont décidément plus d’originalité. Soit ils conservent le titre anglais abscon, soit ils traduisent bêtement, sans égards pour la culture locale. L’époque où « The deer hunter » devenait en français le mythique « Voyage au bout de l’enfer » est hélas bien révolue !… En plus, ce titre simpliste ne rend pas justice à un beau film qui célèbre un « Juste » dans l’histoire, Nicholas Winton, un peu tombé dans les oubliettes de nos mémoires.
Voilà, en tout cas, une injustice réparée, mais à l’image du titre un peu fade, cet hommage n’est guère appuyé. Le film est léger, tout en humilité, peut-être pour être conforme à la personnalité du héros. Cet homme ordinaire qui, dans une période troublée, s’est senti obligé de monter en première ligne pour sauver de jeunes vies. Des jeunes Juifs tchèques menacés par la grande machine à broyer nazie. Il n’en tirera aucune gloire, sinon la bonne conscience de l’honnête homme. Et si son histoire n’avait pas touché Robert Maxwell, magnat britannique de la presse, d’origine tchèque, peut-être n’aurait-il pas été honoré de son vivant.
La scène est touchante. Tout le film repose sur cette émission de télévision qui a dû être un sommet d’émotion avec tous ces survivants célébrant leur sauveteur. Anthony Hopkins est parfait. Il n’a pas besoin de forcer son talent pour jouer ce vieil homme maniaque qui a du mal à replonger dans ce fait de gloire de ses années de pré-guerre.
Il manque quand même au film un peu de souffle. La copie est trop parfaite, sans originalité et sans vitalité profonde. Qu’importe !… Ce film a le mérite d’exister. Il rappelle que l’émigration humanitaire est une grâce. De ce point de vue, le film est militant. Mais résumer la vie de cet homme à son action pendant quelques mois, me semble réducteur. Encore une fois, le titre est mal choisi….
Dieu, que le métier d’enseigner est difficile !… C’est la réflexion qui vient à l’esprit à la vue de ce film tendu comme un arc, qui dégage une tension forte dans ce qui devrait être un lieu de concorde et de paix, à savoir une école. Un film allemand avec cette belle langue de Goethe trop rare sur nos écrans, au message cependant universel. Les instituteurs sont aujourd’hui challengés par des élèves ayant acquis un haut niveau de conscience de leur place dans la société et qui en usent, en bravant parfois l’autorité. Il faut donc une bonne dose de stoïcisme du corps enseignant pour résister à cette déferlante citoyenne et revenir aux fondamentaux.
Comme souvent, l’étincelle vient d’un petit rien, des vols dans l’établissement et une jeune enseignante qui croit bien faire, en laissant la caméra de son ordinateur en veille pour disculper avant de mettre en accusation. Ce qui va donner lieu à une série d’événements en chaîne… Le spectateur se laisse happer par cette histoire au réalisme stupéfiant, avec des jeunes élèves plus vrais que nature. La jeune actrice, Leonie Benesch, est impressionnante dans le rôle d’une enseignante débordant de bonne volonté, qui se révèle pugnace dans l’adversité. On a cependant mal pour elle… L’unité de lieu du récit ne laisse aucun temps mort. Cette école vous secoue comme une machine à laver, laissant le spectateur essoré et pantelant…
Comment a-t-on pu en arriver là ? Nos enfants sont-ils devenus des citoyens ultimes, comme le rêvaient les manifestants des années 68 ? Ou la perte de soumission et l’esprit de révolte, qu’on retrouve à tous les étages de la société, s’opposent-ils au partage du savoir qui est, à la base, un acte de confiance intime entre sachant et novice du savoir ?…
J’avoue avoir éprouvé un peu d’anxiété face à cette perte du respect dû au porteur de l’autorité. Surtout dans un pays comme l’Allemagne qui ne s’illustre pas par son esprit frondeur. Cela doit être bien pire chez nous, pays aux ferments révolutionnaires… Oui assurément, nos enseignants ont du mérite….
La grande fête du cinéma est toujours un spectacle. Entre les pitreries des présentateurs, les robes incandescentes des actrices, les petits jeux de chacun durant la cérémonie, les tirades des uns et des autres, voire les tribunes libres de ceux qui profitent de ces projecteurs pour divaguer sur l’actualité, c’est parfois le cirque… Assurément, le spectateur en a pour son argent d’abonné à Canal +.
L’édition 2024 a été un peu plus terne. Illuminé seulement par le discours subtile et émouvant de Judith Godreche. Quelle émotion ! Cette femme magnifique, avec des yeux candides derrière des grandes lunettes, a effleuré son histoire tout en douceur. Avec l’assurance d’une femme équilibrée, elle a évoqué le hiatus entre la beauté d’un divertissement qui fait rêver et les « mains sales sur des seins de 15 ans » de quelques professionnels dévoyés. L’exploitation de jeunes actrices par leur mentor est une tâche honteuse sur la création artistique. Le cinéma qui élève l’âme devant les caméras, ne peut se prêter aux pires turpitudes en arrière-cuisine.
On pouvait craindre, comme l’a fait Jerome Seydoux, le Président de Pathé, que cette intervention soit déplacée, en portant sur la scène ce qui relève des prétoires de tribunal. Et le risque était aussi celui d’un nouveau grand déballage, aux côtés souvent obscènes, comme la tribune scandaleuse de la Palmée Justine Triet au dernier Festival de Cannes. Mais Judith a mis toutes les craintes dans sa poche. Sans stigmatiser, d’une voix fluette où perçait son amour de la vie et toute absence de rancoeur, elle a appelé le cinéma à ses devoirs. Tellement plus percutant que la vulgarité d’une Corinne Masiero déboulant nue sur la scène en 2021 !
L’édition 2024 a donné lieu à un hommage appuyé au réalisateur Christopher Nolan, glorieux architecte de ce monument de l’image et du cinéma qu’est le film « Inception ». Et le César d’honneur offert à Agnès Jaoui a paru tellement mérité, pour cette femme de tous les combats qui nous a donné beaucoup d’émotions par ses films autour de son compagnon Jean-Pierre Bacri.
Quant au palmarès, il a été horriblement consensuel avec le film un peu surfait de Justine Triet « Anatomie d’une chute » qui raffle tout. Certes, ce film a des qualités que j’ai su mettre en avant sur ce blog, mais il ne mérite, certes, pas cette avalanche de trophées après Cannes. « Le Règne animal » que je ne connais pas, a aussi beaucoup engrangé, traduisant cette tentation du « tout ou rien » que je trouve très contestable au sein des milieux du cinéma. Car on laisse ainsi sur le bord du chemin d’excellents films. La déception de Jeanne Herry, auteur du formidable « Je verrai toujours vos visages » faisait de la peine. Son film méritait amplement le Cesar du meilleur film.
Dernier enseignement de cette édition : la découverte de la révélation masculine Raphaël Quenard. Un nom qui va se faire entendre dans un proche avenir, je suis prêt à le parier. Son discours de remerciements après son Cesar a été merveilleux de justesse et d’entrain.
Un Goncourt, cela se déguste. On le dépiote comme un crustacé, en savourant chaque mot, en grignotant l’histoire, en cassant la carapace pour aller gratter et extraire la métaphore, en se laissant emporter enfin par la juxtaposition de mots improbable… le dernier opus de Jean-Baptiste Andréa a déjà un titre évocateur « Veiller sur elle« . Il se présente comme un gros pavé de 580 pages devant lequel on salive comme devant un beau tourteau. Gagné !..
L’édition 2023 est d’une belle espèce. de celles qui vous emportent à la suite d’un personnage extraordinaire durant quasiment sa vie entière. Il y a du souffle épique au programme, en plus sur des chaleureuses terres italiennes. La montée du fascisme est évoquée par petites touches, mais cela reste un fonds sonore. le récit se concentre sur Mimo, un pauvre hère nain, doué pour la sculpture qui va tirer son épingle du jeu pour connaître une ascension sociale inespérée. Son moteur dans la vie est depuis l’enfance Viola, une fille d’aristocrate avec laquelle il noue une amitié forte, mais asexuée. Viola est un esprit libre, idéaliste, pleine de mépris pour ses origines, qui traverse l’existence avec détachement. Mimo court après elle, joue les protecteurs, se laisse envoûter, et revient immanquablement à elle, après avoir folâtré dans les draps de filles de passage.
Que cherchent ces deux-là ? Peut-être simplement à prolonger la complicité de l’enfance. Grâce à la famille de Viola dont il a fini par se faire accepter, Mimo va connaître un destin exceptionnel de sculpteur, sollicité de toutes parts, y compris par cet état fasciste qu’il ne rejette pas. Une vie pleine et entière. Mais quand sa Viola va disparaître prématurément, le petit homme va perdre le goût de la vie, et se replier dans un monastère.
Ce livre est d’une belle densité. Avec une langue plutôt simple qui vous réserve parfois des décharges littéraires et sémantiques. L’auteur connaît visiblement l’Italie dans toutes ses dimensions. Il nous appelle à un beau voyage géographique et historique. Dans le dernier tiers, peut-être, l’histoire trottine avec nonchalance, mais comment en vouloir à l’auteur : une vie ne peut être faite que de coups d’éclat. L’important est de conduire à bon port, dans cet éclat final où le héro vieillissant va à nouveau se consumer pour son amie Viola. Une femme qui aura été son guide, sans qu’il ne l’ait jamais touchée. Puissant !….
Formidable documentaire de France 3, « Disco, la révolution française » qui nous plonge dans les années Disco et cette frénésie de danse qui a agité toute la planète à la fin des années 70. Une période magnifique que j’ai eu la chance de vivre. Intensément… Ce documentaire a agi sur moi comme une madeleine de Proust. Un bain de jouvence au son de la basse et de batteries déchaînées… Quel plaisir !
Ce reportage est passionnant du début à la fin. Il explique comment un Français obscur, chanteur sans succès sur le point de tout arrêter, Patrick Hernandez, reprend une de ses vieilles chansons pour la re-rythmer et en faire un succès international, « Born to be alive ». C’est quasi le début d’une vague déferlante qui va tout bousculer au grand dam des rockers classiques, et qui va bientôt se concrétiser avec « La Fièvre du Samedi soir » et le succès planétaire des Bee Gees, groupe de rock en panne qui écrira, en une semaine, quatre tubes au rythme endiablé. L’album le plus vendu, « Saturday night fever » avant que Michael Jackson remette les pendules à l’heure quatre années plus tard.
Le parti-pris du reportage est de montrer l’apport précieux qu’a apporté la France à cette révolution. Et ce fut une surprise pour moi de voir que cette musique au rythme irrépressible a été, en large partie, lancée par des Européens. Des Allemands avec Donna Sommer et Boney M, mais aussi des Français avec Patrick Hernandez et Cerrone, bientôt secondés par le Suisse Patrick Juvet. La vieille Europe qui montre la voie au pays de l’oncle Sam, ce n’est pas si courant !….
Le disco a tout inondé, en faisant danser toute la planète dans des discothèques où les paillettes étaient de mises. Avec une soif de faire la fête, dans une débauche d’extravagance, d’énergie et de sexe. Une période sans freins avant que le Sida vienne bouleverser le jeu et cette belle liberté gagnée dans l’insouciance.
Ce que montre bien le reportage, c’est que le disco portait en lui les germes du rejet brutal dont il a été ensuite la victime. C’est le seul style musical qui a été détruit au début des années 80 pour connaître un purgatoire de près de dix années. En effet, le disco était moins une affaire d’interprètes que d’impresarios futés flairant la bonne affaire et lançant des groupes comme des produits de supermarché. Ainsi le groupe « Village People » qui a marqué, à jamais, la culture populaire, est une création de toutes pièces avec un casting pour former le groupe. Surprise, cette initiative est 100% française… Ainsi le groupe qui a sorti les homosexuels de leur ghetto, qui a dynamité l’Amérique puritaine et dont le tube « In the navy » a été adopté par la marine américaine comme son hymne ( avant un retour en arrière sous l’effet des ligues de vertu ), ce groupe a été lancé par deux Français…. Incroyable !
Le reportage fourmille de plein de détails qui montrent que la France a toujours été en première ligne de cette révolution. Il est vrai que nos compatriotes aiment bien monter sur les barricades. Surtout, et c’est réconfortant, il montre le réveil du disco avec Daft Punk, puis plus récemment avec les envoûtantes Juliette Armanet et Clara Luciani.
Le disco, il est de bon ton de le démonter, de critiquer son rythme de grosse caisse et ses interprètes aux destins parfois de météorites. Force est de constater, quand même, qu’il continue à rassembler tous les danseurs sur la piste. C’est un appel impérieux à se déhancher pour vibrer de tous les pores de la peau. Reconnaissons-le honnêtement, on n’a guère fait mieux depuis, pour faire la fête et se lâcher dans un grand oubli de son corps. J’ai donc beaucoup aimé cette réhabilitation.
En plus, j’ai exprimé de l’émotion, avec quasi des larmes aux yeux lors du générique de fin. Certes je regrettais là un peu de ma jeunesse évanouie. Mais le souvenir de ses rythmes et de la douce complicité collective qu’il provoquait, a supplanté tout le reste. Les années 80 ont assurément été une période bénie, avec une liberté totale qui restera sans doute un sommet dans l’histoire humaine. Vive le disco ! « Le Freak c’est chic »
PS : Difficile de donner son tube préféré, mais j’ai deux chansons qui provoquent des démangeaisons irrépressibles dans les jambes : « You should be dancing » des Bee Gees et surtout « Lady’s night » de Kool & the Gang ( parfait pour un rock-essuie glace comme au bon vieux temps ).
C’est une course qui date de près de quatre-vingt dix ans, le Paris-Mantes à la marche, de nuit. En fait, il s’agit plus du Versailles-Mantes, car le circuit a été raccourci en 2013. Une épreuve mythique à laquelle je me suis joint, sans vraie préparation, du fait de mon appétence à arpenter les chemins de France.
Une grosse étape des Chemins de St Jacques, c’est 30 kilomètres de marche dans la journée. Alors, que penser de 54 kms, soit 75% de rab, sinon que c’est un peu dément de soumettre son corps à une telle épreuve ?… Autant le dire tout de suite, je ne suis pas allé au bout. J’ai calé au 39ème kilomètres, soit avec les deux kilomètres entrepris de nuit pour aller à la gare RER, une marche sur 41 kilomètres. Mon record personnel…
C’est assurément une expérience. 5000 personnes qui s’élancent par une nuit froide proche des zéro avec des tenues fluorescentes et des loupiotes au front, deux conditions impératives pour participer. C’est visuellement très beau que cette longue chenille humaine lumineuse cheminant au plus profond de la forêt de Marly. Des femmes et des hommes de tous horizons, majoritairement jeunes, avec de belles conditions physiques, car le rythme donné par le groupe est très soutenu. Au départ de Versailles, alors que je suis bon marcheur, ils sont des milliers à nous dépasser, des garçons tendus comme des arcs vers l’objectif, des filles qui cavalent d’un pas loin d’être menu, mais aussi des vieux remontés comme des horloges, des couples qui se donnent la main, des copines qui papotent, tout ce petit monde poursuivant un train d’enfer. Qui veut aller loin, ménage sa monture, pense-t-on au fond de soi pour se consoler, tout en découvrant que cette marche est avant tout une course. L’idée est d’arriver au bout de neuf heures de marche, si possible avec un meilleur score que l’année précédente.
Un univers assez lointain de mon horizon de marcheur hédoniste appréciant les paysages et peu hostiles aux haltes permettant la récupération. Des étapes, l’organisation en dispense trois, durant le parcours, avec des boissons, du pain d’épice et du chocolat. Mais, malgré les muscles qui crient souffrance et les courbatures qui se cramponnent, point question de s’attarder. Les camionnettes de la sécurité civile qui circulent, le bus ramasse-faibles qui patiente, et la dictature du collectif abrègent toute compassion pour soi-même. On est là pour en baver, pour ne pas dire plus…
Le froid est intense et la nuit pleine d’étoiles. Mais le chemin est monotone dans des kilomètres de chemins forestiers rectilignes. Et puis, c’est ensuite le bitume sur des petites routes sans grand charme. Ce parcours est déprimant, et les lignes droites où l’on aperçoit, quelque kilomètre devant, la longue file éclairée des marcheurs qui vous précèdent n’aident pas au moral.
Au bout de la trentaine de kilomètres, la fatigue est là, bien ancrée. Les muscles se font lourds, les mollets crient de douleur. Le pas est devenu celui d’un automate. Le seuil de l’endurance est dépassé et il y a encore 19 kms devant soi pour remporter cette victoire sur soi, et pouvoir pavaner le lendemain au bureau, tout en marchant en canard avec une semaine de récupération, comme le déclarent les habitués de l’épreuve. Qu’est-on venu faire dans cette galère ?
La finition est affaire de mental. Mais aussi de préparation… Une nourriture idoine avant l’épreuve semble un must. Quant à l’hydratation, elle est indispensable, alors que le froid fait que la soif ne se fait pas sentir. Ma gourde est restée pleine pourtant !… Erreurs de débutant. Au-delà de ce manque de préparation, mon mental n’est pas clairement celui de ce genre d’épreuves. Pourquoi mettre son corps à ses limites pour atteindre un objectif sans grand intérêt ? Rejoindre un pic argenté ou un col alpestre, cela vaut de mettre ses tripes sur la table. Mais la cité riante de Mantes la Jolie n’est pas de ces objectifs qui font rêver… Et j’ai trop de respect pour ma charpente de chair et d’os pour la mettre en danger, si bien que je suis, par exemple, toujours resté à l’écart de la mode des marathons, alors que j’aime courir.
Se mettre minable pour le plaisir de l’accomplissement personnel n’est pas dans mon ADN. La compétition non plus, à vrai dire… Pour autant, ce fut une belle expérience. Le collectif est toujours une belle aventure. Merci à Manu de m’avoir convié à l’épreuve avec ses potes. J’ai fait bonne figure sur les trois quarts de l’épreuve… C’est déjà bien…
Un film d’atmosphère… Il est rare d’avoir des histoires arides qui vous plongent à ce point dans une ambiance lourde, sans grande échappatoire. Les duels pour l’honneur sont, il est vrai, des moments de forte intensité émotionnelle. Un monde d’hommes où chacun fait assaut de testosterone pour défendre l’expression d’un égo exacerbé. L’outrage subi est souvent un prétexte pour s’étalonner dans le maniement de l’épée.
Mais, c’est aussi, nous dit le réalisateur Vincent Perez, une occasion d’essayer d’oublier l’humiliation de la défaite de 1870, en montrant par son courage que cette défaite est d’abord l’affaire des autres. A l’actif du film, il y a une reconstitution historique très léchée, notamment dans le jeu des lumières, les bougies et les lampes à pétrole prêtant aux images un côté crépusculaire. La France rumine sa défaite dans un engagement forcené lors d’entraînements à l’épée dans des clubs souvent rattachés, comme ici, à un journal. On affûte ses armes et son corps, tout en claironnant par voie de presse son patriotisme. Les ingrédients du cataclysme de 1914 se construisent lentement, près de trente ans avant les faits.
Un monde bien sûr où les femmes n’ont pas voie au chapitre. Elles sont quantité négligeable, mais cela ne les empêche pas de copier leurs compagnons en croisant le fer dans des salons plus mondains. Le personnage de Doria Tillier s’efforce de faire bouger les frontières, avec un féminisme d’avant-garde et provocateur. Mais c’est d’abord une affaire d’hommes, l’honneur masculin étant infiniment plus précieux que l’honneur des femmes.
Comme le dit un galonné, l’honneur était d’abord un actif au service du roi, mais depuis quelques décennies il est devenu essentiellement attaché à la personne. Surtout dans un pays affecté par la déroute contre les Prussiens. Hélas, ces hommes se laissent ronger par leur fierté, et un duel en appelle un autre. Dans un pays déshonoré, c’est le seul moyen de tenter d’émerger. Ce qui donne lieu à quatre duels, à l’épée, au pistolet et au sabre qui sont tous superbement chorégraphiés, avec parfois une vraie sauvagerie dans l’assaut. C’est intense, et les films de cape et d’épée à la Jean Marais apparaissent, en comparaison, comme d’aimables jeux d’enfant.
La tension est là, et le jeu intériorisé de Roschdy Zem rajoute à la chose. Un vrai film d’ambiance….
Rencontré au Salon du Livre de Boulogne, l’auteur a réussi à me convaincre que son livre valait le détour. Déjà son titre provocateur m’avait fait de l’oeil au milieu de tous les livres présents. Le récit d’une bourgeoise dans la force de l’âge, abandonnée pour une plus jeune par son mari volage et qui se venge de manière machiavélique avait un côté particulièrement réjouissant. On aime tous bien les histoires de vengeance depuis Monte-Cristo.
Mais tout ici est un peu retors, le lecteur prend le parti de la criminelle qui semble une petite souris entre les pattes de matous policiers plutôt coriaces. Cette femme tranquille se laisse convaincre lentement par l’idée d’un crime, alors qu’elle a une réputation de petit oiseau sans cervelle. Pourquoi ne pas profiter de cette image de sotte embéguinée pour commettre un crime parfait contre un ex-conjoint détestable et odieux ?
Le défi est de taille… Car tout est nouveau. Il faut se préparer lentement à l’exercice et penser à tout. Le récit est un vrai manuel de toutes les ficelles policières pour coincer un coupable. Mais sous le couvert d’une image de femme sans imagination, tout est finalement possible. D’autant que l’idée à la base du meurtre est géniale. Un petit travail de chimiste pour constituer une bombe à retardement qui permet de se constituer un alibi de cristal. Sauf qu’une femme fraîchement et salement divorcée est une coupable naturelle dans un meurtre. La futée Orane de Lavallière saura-t-elle résister à la pression et aux pièges nombreux qu’on lui tend ?
Pour raconter cette histoire, Guillaume Clicquot réussit brillamment à se mettre dans la peau d’une catho un peu coincée qui brise un plafond de verre. Son style est direct, imagé, avec quelques pensées pleines d’humour de la suspecte face aux policiers qui l’interrogent. L’humour est d’ailleurs à toutes les pages, notamment dans la prise de conscience par cette femme qu’elle a été conne, et que tout son entourage la perçoit comme telle. Ce qui est un bon stimulant pour se révolter, n’est-il pas ? Le récit est chaleureux et le scénario du crime parfait se révèle plein de chausse-trappes. On prend plaisir à la voir se défendre avec une finesse psychologique qui épate.
Bravo à Guillaume Clicquot pour ce livre original.
Quelle tristesse !… Je l’adorais. Guy Marchand était un homme protéiforme, un acteur de télévision, de cinéma, mais aussi un crooner à la voix veloutée qui vous emportait sur ses territoires de prédilection, le jazz, le tango, la guimauve de concours pour des soirées à l’ancienne. Il avait une étincelle dans le regard qui en faisait un séducteur redoutable. Il était notre Julio Iglesias à nous. En plus léger, plus rigolard, avec le détachement de celui qui ne se prend pas trop au sérieux. D’ailleurs, comment prendre au sérieux, l’auteur du « Destinee » qui était la bande annonce des « Sous-Doués en vacances »…
A côté de cela, il savait rendre hommage aux maîtres du temps passé, ces jazz-men qui avaient tracé la voie qu’il essayait d’emprunter avec modestie. C’est aussi l’interprète savoureux du « Moi je suis Tango » qui restera à jamais sa signature, celle d’un homme touche-à-tout qui se retrouvait aussi bien dans les mélodies sud-américaines que dans les grands refrains de Paname.
Au cinéma, il était celui qu’on adorait voir jouer, avec sa désinvolture naturelle. Comment ne pas penser à « Coup de Torchon » où il est absolument génial en colon exubérant. Il a fait des grands films dans des petits rôles où il était absolument irremplaçable : « Mortelle randonnée », « Garde à vue », « Tendre Poulet », « L’Hotel de la plage »… Comment se passer de lui et de sa façon quasi unique de traverser la vie ? Et puis, il y a eu aussi les Nestor Burma qui ont été son bâton de maréchal. Une série qu’on aimerait davantage revoir sur les écrans…
Mais il était avant tout chanteur. On sent qu’il exultait dans les petites salles de jazz, seul devant un micro. Si vous ne le connaissiez guère, écoutez d’une traite « Moi je suis Tango », « Delirium », « le dernier bal des GI », « Mémoire d’un con » et « Mister Bing »… Vous partirez dans un nuage de nostalgie, avec une parfaite résurrection du passé et de ses bons moments.
L’hommage à Bing Crosby, un crooner américain qui était son modèle, a des paroles qui sonnent étrangement au jour de la disparition de Guy : « Dites, Monsieur Bing, Mister Crosby, vous qui êtes parti loin de la vie, au paradis des mélodies, dans les étoiles… Dites à Louis… Sans lui, le monde s’ennuie. Mister Crosby, dans les étoiles... »
Oui, sans lui aussi, le monde s’ennuie… Guy, tu nous manques déjà…
Quel joli film !… Je n’avais pas autant vibré à un film intimiste américain depuis Green Book. Un condensé d’humain comme on n’en trouve plus guère dans le grand barnum du cinéma américain qui a pourtant inventé Capra et « la vie est belle ».
Certains feront le lien avec « le cercle des Poètes disparus », mais je n’adhère pas à cette référence. Si le décor est bien celui d’une école comme son illustre prédécesseur, Winter Break est moins démonstratif. Le film est fait de petites touches de couleurs comme un tableau impressionniste. Et au fil du récit, des petits événements légers comme des émulsions de peinture construisent le tableau d’une histoire subtile, touchante et pleine de sens. Ce Noël des laissés-pour-compte au sein d’une école bourgeoise est d’une humanité incroyable. Ces délaissés vont oublier leurs différences pour trouver le plus petit commun dénominateur de leur condition humaine.
Avec des ingrédients aussi disparates, la mayonnaise n’était pas garantie. Mais au final, c’est un moment de douce complicité qui émerge entre le professeur bougon, l’étudiant mal dans sa peau, et la cuisinière inconsolable.
Pour incarner ce conte de fée moderne, Paul Giamatti est absolument étonnant de véracité en professeur misanthrope qui se cache derrière des citations latines pour cacher un vrai désarroi. Il mérite l’Oscar dix fois pour ce rôle plus subtil que son côté brut de fonderie ne le laisse à entendre. C’est un rôle tellement intériorisé que l’homme suscite la pitié. Et face à lui la tête à claques d’étudiant révèle une personnalité d’écorché vif, évoluant positivement au fil d’une expérience de vie.
Finalement, à l’image du Cercle des Poètes, le spectateur pourrait être amené à tirer du film une leçon de vie : ne jamais porter des jugements définitifs sur les autres; ne pas mettre les autres dans des boites, car ils risquent d’en sortir comme des polichinelles…. J’aime ce cinéma américain-là. Il pulvérise les images de sagesse, et non de violence. Cela fait du bien….
Mon dernier bébé : un troisième roman, « l’Or du Maudit », après « le Collectionneur Amoureux » et « l’Or du Paradis »… Ce nouveau polar fait écho au précédent avec un titre comparable. Normal ! C’est une forme de suite avec les mêmes personnages, les mêmes lieux, vingt ans après… Une nouvelle déclaration d’amour à une région, l’Oisans, qui est le berceau de mes souvenirs d’enfance.
« L’Or du Maudit » est un retour dans les années d’après-guerre, les années 50 où chacun pansait ses plaies après cinq années de folies meurtrières. Même dans une région de montagne, plutôt préservée par la violence des années de guerre, les conséquences du conflit mondial peuvent apparaître là où on ne les attend pas. Le commissaire Lambert qui jouit d’une retraite bien méritée, va replonger dans les tensions d’une enquête policière particulièrement ardue. Une expérience qui va lui faire découvrir l’essence rebelle et résistante d’une région qu’il a adoptée pour sa beauté et pour la force d’âme de ses habitants.
Ce livre s’inspire d’événements réels ayant marqué la région. Cela reste une histoire fictive qui n’a pas d’autres buts que de magnifier la force intime de l’Oisans. Une région oubliée qui a su se relever grâce à sa géographie d’exception et son potentiel considérable dans l’exploitation de l’or blanc. Une neige omniprésente qui coiffe toute la région au point parfois de l’étouffer. Un contexte de confinement qui se prête bien à une intrigue angoissante…
Les années 50 en montagne ont été une période de fort bouleversement. L’exode rural en accélération ; la montée concomitante des promesses de l’or blanc et d’une société de loisir ; des moyens de communication encore défaillants ; des hommes et femmes enracinés qui s’interrogent sur leur avenir. Un contexte troublé propice à broder une belle histoire d’amitié et de résilience face à l’adversité.
« L’Or du Maudit » est le fruit d’une longue maturation. Le point final m’a ému comme aucun de mes deux précédents ouvrages. La dernière pièce du puzzle de l’intrigue s’est emboitée comme par enchantement. Un sentiment d’apaisement s’est emparé de moi : j’avais réussi à raconter une histoire extraordinaire dans un paysage qui ne l’est pas moins. En plus, comme dans « l’Or du Paradis » sorti en 2014, les montagnards sortent gagnants de la bataille. Ce n’est que justice ! Ces gens sont des combattants du quotidien… Ils ont toute mon admiration.
Dupontel a un talent inimitable. Ses intrigues ont le pouvoir renouvelé de surprendre le spectateur. Ses scénarios partent couramment dans tous les sens à l’image de son récent « Adieu les cons ». Avec ce « Second Tour », la surprise est aussi au rendez-vous. Elle concerne un candidat bien placé pour une élection présidentielle. Un truc énorme !!!…
Il est difficile d’aller plus loin sans déflorer le scénario, mais voilà le spectateur balloté dans un récit incroyable qui semble être la griffe du réalisateur. Si on le prend pour ce qu’il est, à savoir une fable, ce film est plaisant, léger et plein d’humour. Il véhicule un message alternatif bon enfant, qui repose sur des convictions écologistes maintenant couramment partagées, pour lesquelles seule la vitesse d’exécution et l’implication personnelle de chacun diffèrent d’un candidat à l’autre. Les messages induits sur l’immigration heureuse sont plus sarcastiques et tombent dans l’anecdote ironique. Le film, si on prend ce parti, ne donne pas de leçons et dénonce juste avec le sourire, avec un Dupontel excellent dans un double rôle.
Hélas, certains iront au-delà de la fable, en y voyant un manifeste politique avec ses outrances ( la violence politique qui va jusqu’au meurtre ) et l’affrontement des modernes contre tous ceux qui ne veulent pas bouger et s’accrochent au pouvoir de l’argent. Une vision très manichéenne des problèmes et des acteurs qui ne permet guère la réconciliation autour des objectifs ( difficile, en effet, de composer avec des assassins et des enragés proches du « Trumpisme » ). Ce type de dénonciation aurait, en outre, peut-être du sens aux Etats Unis, mais en France, pays avec une longue tradition de modération, la chose paraît moins crédible.
Finalement, je préfère la première interprétation de ce film. Une farce énorme qui n’en prête pas moins à la réflexion et à un relativisme de circonstances face à toutes les positions tranchées trop suspectes. Et cela vaut dans les deux sens…
J’ai failli passer à côté de ce film. La sortie intempestive de Justine Triet la réalisatrice lors de la cérémonie de remise de la Palme d’Or à Cannes m’avait passablement énervé. Quand on détourne les micros qui se tournent vers vous pour un autre usage, c’est de l’abus de confiance. Surtout quand on mord la main qui vous a aidée au travers des nombreuses subventions publiques à la création artistique. Il est vrai que l’élégance se perd…
Cela dit, la critique étant bonne, le bouche à oreille positif, j’ai bravé mes réticences. Au final, c’est un bon film, avec une forte densité du scénario et un cheminement de l’histoire parfaitement travaillé. J’ai lu que ce scénario avait été trituré, maturé et repris des dizaines de fois. Le résultat est là, le spectateur se laisse happer par l’histoire, dans un environnement de montagnes qui dépayse. L’ajout de la langue anglaise, dans de larges parties du film, participe à une certaine forme d’enfermement du spectateur, comme un miroir de la lutte de cette Anglaise obligée de se défendre dans une langue qui n’est pas la sienne.
La tension va crescendo, malgré le côté apaisant de l’avocat. Le procès s’ouvre pour juger une femme de meurtre, sans qu’on ait appréhendé la personnalité de la victime, le mari. Tout tourne autour de ce procès, et de l’attaque frontale du procureur contre une étrangère déboussolée. Les jeux sont-ils faits ?
Non. La réalisatrice montre de la compassion pour cette femme, et va la sortir de ce mauvais pas par quelques révélations. Le personnage du mari s’éclaire petit à petit. Il n’est pas reluisant. Un homme mal dans sa peau, jaloux des succès de son épouse. et surtout dépressif. A-t-il mis fin à ses jours ? Le procès donne lieu à des considérations intéressantes sur la création et l’écriture. Une grâce ou une peine selon le cas. Enfin arrive le point culminant, la dispute enregistrée et donc reprise en flash-back, entre les époux qui est d’autant plus percutante qu’elle s’opère sans hausse de voix excessive. Les deux amants affutent leurs griefs à coups de lames de rasoir. La scène est impressionnante de virtuosité. La femme s’y montre plus convaincante et le sentiment se retourne. Le jugement arrive bientôt, conforme aux attentes. La femme retourne à sa vie d’avant, avec son fils, et son avocat plus que complice.
Au-delà de l’histoire bien léchée, le message du film n’est pas très clair. C’est un peu fade, à mes yeux. Heureusement, il y a cette formidable scène de la dispute qui suinte d’authenticité. Reste que les acteurs sont falots. L’homme est hélas sans nuances, ce qui le condamne très vite. Quant à la femme, peut-être est-ce du à sa qualité d’étrangère maitrisant mal la langue française, elle est sans chaleur et laisse le spectateur indifférent à son sort. Je suis sûr qu’un autre choix d’acteurs aurait pu davantage porter le film. En créant un phénomène d’identification d’un côté ou de l’autre qui manque ici cruellement… Au final, une bonne Palme d’Or, mais un film imparfait qui ne mérite pas de donner à sa réalisatrice la tribune politique qu’elle s’est indécemment arrogée.
J’ai débusqué ce livre dans la petite librairie de Conques, en Aveyron. Une librairie de campagne dans un village de 90 âmes à l’année, cela mérite au moins un petit soutien… Cette déclaration d’amour d’un fils pour son père m’a fait de l’oeil, car ce genre d’écrit me parle. L’hommage à ses géniteurs est toujours en littérature un exercice subtil où un auteur met sur la table ses entrailles et un coeur palpitant. Je ne connaissais pas plus que cela Marc Dugain, mais la photo de couverture m’a fait penser à mon père. Alors, bien sûr, banco !!!…
J’ai été très dérouté par le récit. C’est superbement écrit, dans un style court, dense, tout en tension. L’histoire de cet homme est tellement pleine de péripéties qu’elle aurait pu être un roman. Un roman du siècle, avec un grand-père capitaine au long court ayant combattu aux côtés des Américains pendant la seconde guerre mondiale, un beau-père gueule cassée de la première guerre s’astreignant à une vie normale, une femme ambitieuse ayant fait carrière dans un grand groupe à une époque où la gente féminine était réduite aux fourneaux. Enfin, un père handicapé suite à une poliomyélite qui, à force de volonté, réussit à marcher, pour réussir sa vie d’ingénieur qui le conduira dans des destinations lointaines, jusqu’à être un peu espion au service de la France. Une vie trépidante au coeur du siècle qui fait penser un peu à « la promesse de l’aube » de Romain Gary, autre écrivain qui a su rendre grâce aux générations qui l’ont précédé.
Mais la référence s’arrête très vite. Car là où Gary déborde de vie, de sentiment et d’affect, Dugain raconte ses proches avec une distance qui est parfois totalement sidérante. Quand dans son récit, il en arrive à parler des enfants, de lui-même et de son frère, il parle à la troisième personne du singulier et ne donne jamais les prénoms, se contentant de parler de l’aîné et du cadet. Son père qu’il honore et dont il parle avec empathie dans les premières pages poignantes évoquant la maladie, apparaît au fil de l’histoire davantage comme un personnage de roman.
Ce détachement est troublant, même si l’auteur l’explique en avançant « avoir failli passer à côté de lui ». Il y a certainement beaucoup de pudeur de la part de Marc Dugain, comme s’il s’était attaché à cet exercice de mémoire uniquement pour lui-même et qu’il nous autorisait exceptionnellement à lire par dessus son épaule. En tout cas, cet hommage au père manque de chaleur. Cela m’a troublé…
J’ai eu une autre zone d’inconfort à cette lecture qui est, je le répète, d’une grande puissance. Dugain distille tout au long de ses pages des considérations politiques, certes intéressantes, mais qui ne semblent là que pour disculper ses proches de suspicions le plus souvent anachroniques. Par exemple, ses parents vont vivre en Nouvelle Calédonie et en Afrique et ils ont eu des domestiques, mais l’auteur s’ingénie à vanter leur progressisme, leur anticolonialisme et leur ouverture humaine de gens de gauche. Un courant de pensée qui refait souvent surface dans le récit, mais c’est là l’auteur, plus que son héros, qui exprime ses opinions face aux événements qui ont marqué la vie de son père.
Je respecte, pour ma part, toute forme d’opinion, mais ces digressions m’ont gêné car elles étaient souvent inopportunes. Ses parents exceptionnels n’avaient certes pas besoin d’un brevet de bien-pensance pour paraître très sympathiques au lecteur. Au lieu de cela, j’aurais préféré des élans du coeur plus généreux, des souvenirs intimes, des éclats de rire, des émotions fortes, bref tout ce qui fait le quotidien d’une famille quand on se met en tête de la mettre en scène. Marc Dugain le fait tout en retenue, comme ces hommes silencieux qui n’aiment pas se dévoiler. C’est beau, mais un peu froid. Et je n’attends pas d’un écrivain d’être un taiseux.
La France, pays avec une agriculture forte, a su développer des champions de l’agro-industrie. Fleury Michon en fait assurément partie. Société familiale avec une approche responsable, de bons produits, une part de marché élevée face au concurrent Herta, jusqu’à peu filiale du très capitaliste groupe suisse Nestlé, le roi du jambon blanc Fleury Michon était une marque qui avait tout pour elle. Certes, le jambon sous blister n’aura jamais les faveurs des écolos, des gastronomes, sans parler des véganes. Il n’empêche, ce jambon est bon, pratique, et rend des services appréciables au célibataire d’un soir ou pour compléter un petit déjeuner.
Hélas, l’explosion de l’inflation a provoqué une perte des valeurs de cette entreprise. Le jambon est, en effet, un produit très concurrentiel, et peu de choses différencient les produits d’une marque à l’autre. Face à la hausse des coûts, les producteurs sont sous la pression des distributeurs. La guerre est totale… Fleury Michon a perdu sa sérénité. Pour garder un peu de pricing power, ils n’ont pas trouvé mieux que de se fournir très largement auprès de l’Espagne. Les porcs français qui constituaient le coeur de l’offre, se sont vus supplantés par les porcs espagnols, élevés intensivement par une agro-industrie qui est prête à toutes les turpitudes pour gagner des parts de marché.
Ainsi Fleury Michon qui revendiquait son soutien à nos agriculteurs, a transformé son modèle en catimini, pour devenir inféodé à l’Espagne. La société a quand même l’honnêteté de l’afficher, puisque tous ses produits rappellent l’origine de la viande. Une transparence cependant sans conséquence puisque beaucoup de Français ne regardent plus que le prix, et rarement l’origine des produits.
Ce n’est pas mon cas, et je viens de le signifier à l’entreprise. Ma fidélité très ancienne à la marque est remise en question. Quand on voit tous ces agriculteurs qui abandonnent leur métier, on ne peut pas ne pas se sentir concerné. L’équilibre de nos campagnes en dépend.
Je n’ai jamais oublié ce slogan, jugé obsolète pour beaucoup : nos emplettes font nos emplois…
Le Grand Rex, salle mythique…. Pour un retour dans ce lieu magnifique, le groupe Pink Martini en concert m’a semblé la parfaite adéquation. Un groupe indéfinissable de musique métissée pour une salle à nulle autre pareille !… Bonne pioche ! La soirée fut magnifique…
Une musique veloutée avec un groupe éminemment sympathique. Deux cantatrices plutôt que des chanteuses, tellement leurs voix montent dans les tours ; des hommes qui ne sont pas en reste quand il s’agit de prendre le relais, alors que les deux femmes redeviennent de simples choeurs ; des musiciens absolument épatants, avec des numéros ébouriffants de batterie, de tam tam ou de contrebasse.
Et des chansons ! Plein de chansons qui ont envouté le public de la grande salle de spectacle !… Notamment le fameux « je ne veux pas travailler » qui est une création du groupe, sur un poème d’Appolinaire, excusez du peu… Mais aussi beaucoup de reprises. C’est la signature du groupe qui a un vrai savoir-faire pour reprendre le meilleur du meilleur de notre vécu musical. Dans toutes les langues…
Les tubes s’égrènent en français, en anglais, en espagnol, en portugais… Un vrai camaïeu de mots, de langues, de rythmes. De la belle guimauve subtile et poétique. Jamais je ne me suis senti autant européen qu’à cette musique qui mixe avec bonheur toutes nos origines. Ce soir-là, ces langues diverses se répercutaient sur le toit du Grand Rex dont les étoiles scintillantes évoquaient irrésistiblement notre drapeau européen…
Avant de découvrir, en fin de concert, que ceux qui nous ont fait vibrer sont presque tous Américains !!!… Une délicieuse captation de notre héritage par des money-makers talentueux.
Les Américains sont sans complexe. Après avoir célébré leur héros, ils s’attaquent aux personnes plus sombres de la mythologie US. Oppenheimer en est une assurément. L’inventeur de la bombe A qui a transformé en confettis les villes d’Hiroshima et de Nagasaki n’est pas vraiment le personnage qu’on a envie d’aimer. Il n’est pas non plus rentré dans l’inconscient collectif au point que son patronyme fait davantage penser à une marque de spiritueux. Pourquoi alors magnifier pendant trois longues heures ce tueur de masse ? C’est avec ces préventions liminaires que l’amoureux fou du Japon que je suis, a abordé ce film ambitieux qui jouit d’une forte adhésion de la communauté cinéphile. Après tout, un film de Christopher Nolan, cela ne se manque pas, ne serait-ce que pour ne pas passer à côté d’une pépite comme le fut l’inénarrable « Inception ».
Le film est long, un peu bavard. Mais il est précis dans la montée de tension qui a présidé à la fabrication de la bombe. La responsabilité très lourde que des scientifiques de haut vol ont très vite senti tomber sur leurs épaules, s’immisce dans le succès technologique, au point de finir par le vampiriser. Cillian Murphy au regard bleu si expressif rend bien le désarroi d’un homme devenu pantin du pouvoir. Il ne saura pas orienter l’usage de la bombe, comme il l’entendait. Après le premier essai « terrifiquement » concluant, le bébé lui est enlevé, laissé entre les mains de militaires sans scrupules.
Malgré son récit ingrat, ce film a fini par me séduire. Certaines scènes sont si puissantes qu’elles explosent dans le champ de la caméra comme des mini-bombes d’humanité bafouée. La scène avec Truman est réfrigérante, comme le procès en miniature que subit le créateur, trop suspect d’accointances communistes. Le groupe de savants ayant accouché de l’arme la plus destructrice de toute notre histoire humaine ne pouvait pas ne pas finir par se détester copieusement. Surtout que les espions rodent, et avec eux, la paranoïa portée à son paroxysme.
Certains passages du film marqueront à jamais les rétines. Comme l’essai lumineux et éminemment brutal de la bombinette en plein désert. La joie obscène des protagonistes est filmée avec une pointe de vitriol. C’est du grand art de scénariste… Le film excelle dans les effets de la suite, quand chacun prend conscience du monde horrible qu’il a contribué à créer. Un monde de peurs, de dissuasion pernicieuse, de paranoïa non plus humaine, mais à la tête même de nos sociétés.
Bref, au-delà de l’exercice de style parfaitement maîtrisé, « Oppenheimer » ne révèle pas le bon côté de l’humanité. En ce sens, je m’interroge toujours de savoir s’il était vraiment nécessaire de faire ce film.