Littérature dolorosa…

« My absolute Darling » : derrière un joli titre se cache un livre qui ne vous épargnera pas. Un livre coup de poing qui traite d’un dernier tabou, l’inceste. « My Absolute Darling » est un grand succès d’édition. C’est un grand livre, à n’en pas douter… Mais quelle douleur de poursuivre cette lecture ! Jamais je n’ai suivi le pourcentage de lecture de mon E-Book avec tant d’attention. J’étais pressé d’en finir, et en même temps, je ne pouvais pas en lire plus de quelques pages par session. Une vraie douleur…

L’histoire de Turtle, cette jeune ado, est pénible. Elle vit seule avec son père dans une maison déglinguée en rase campagne, près du bord de mer. Son grand-père vit lui dans un mobil home un peu plus loin. Le père est un salaud qui abuse de sa fille, tout en maintenant sur elle une emprise psychologique terrible. Turtle ne peut sortir de ses griffes, partagée entre un dégoût de ce qu’il lui impose et des vieux relents d’amour filial. Le grand-père offre un peu de réconfort, mais on se doute qu’il n’est pas étranger à la névrose de son fils. Jusqu’au jour où le père ramène à la maison Cayenne, une jeune fille encore plus jeune qu’il a trouvée Dieu sait où…

Ce livre est embarrassant. Il est très américain dans son scénario, dur, extrême, outrancier, avec un face-à-face final sanglant qui donne l’impression de rechercher une prochaine adaptation cinématographique, avec deux protagonistes qui ne se feront aucun cadeau. Mais en même temps, il a une écriture européenne, dense, foisonnante, qui se gargarise de mots jusqu’à l’excès. Le style est un peu proustien à certains moments, surtout dans la description d’une nature exubérante qui semble reprendre ses droits sur le monde des hommes. De manière générale, tout le roman baigne dans une atmosphère de déclin de l’humanité, au sens de perte de toutes les valeurs qui font cette humanité. L’inceste est d’ailleurs ce qui fait voler le dernier ciment de notre société. Avec lui, tout part à vau-l’eau, et c’est la désespérance qui prend le dessus, surtout chez cette gamine confrontée à la violence de son propre père. Une violence psychologique, mais aussi physique car ce père est aussi un vrai sadique. Un personnage odieux qui raisonne et donne des leçons de vie. Un comble…

Cette impression de fin du monde est renforcée par le caractère très américain du livre, avec cette quasi vénération pour les armes à feu. Pas un de leurs gestes n’est accompagné d’une armada de concours. Turtle et son père tirent pour passer le temps. On en apprend plus sur les différents calibres que dans le catalogue Manufrance. C’est oppressant… Bien entendu, des actes contre-nature qui interviennent dans une poudrière ne laissent guère de doutes sur le dénouement final. On attend donc avec résignation l’étincelle qui mettra le feu à ce théâtre d’ombres. Mais, avant d’en arriver là, il faudra subir la déchéance, la dérive lente et consternante d’une jeune fille qui est une survivante acharnée, mais n’a pas la force morale de se révolter.

Une lecture où il faut se munir d’une bonne dose de stoïcisme, mais qui réussit toujours à surprendre. L’auteur a le sens de la formule ; ses métaphores improbables émaillent le récit de pépites littéraires qui sont le signe d’un grand écrivain. Surtout, le récit prend parfois des chemins de traverse, moments imprévus qui peuvent paraître comme des pertes de temps dans une histoire. Mais la vie elle-même est-elle une trajectoire rectiligne ? Les personnages vivent sous nos yeux ; ils se démènent, se battent et s’agitent comme des bactéries sous l’œil de notre microscope. Des personnages sous la pression du crime le plus odieux…

On est content de refermer ce livre. Troublé et mal à l’aise par le côté racoleur de l’exercice. Dire l’indicible dans de multiples descriptions n’est-il pas une certaine façon de le justifier ? La littérature est le plus souvent une évasion dans notre quotidien. Ici, c’est une prison mentale. Intéressant, mais juste pour le plaisir de passer après à autre chose…