« Les loyautés », la dentelle de Delphine…

Un nouveau roman de Delphine de Vigan, cela interpelle. Forcément… Après deux  derniers romans étincelants, on reste en alerte. J’ai en mémoire « Rien ne s’oppose à la nuit », petit bijou d’analyse publique. Un roman très personnel. Mais ce petit dernier, « les Loyautés », semble différent. Un roman court, concis, qui s’éloigne visiblement de l’univers éditorial de l’auteur. Serait-ce un vrai récit inventé ?

Ce roman dénonce un mal public qui ronge notre société, à savoir l’indifférence. Un mal d’autant plus cruel quand il s’applique sur des adolescents perdus, en manque d’autorité parentale. Des ados qui essaient de donner le change et l’illusion de la normalité. Des ados pourtant sur la mauvaise pente si parents et éducateurs démissionnent de leurs responsabilités.

C’est l’histoire de deux garçons d’une douzaine d’années, Théo et Mathis, de Cécile, la mère de Mathis et d’Hélène, une professeur du collège. Quatre personnages qui se battent pour éviter l’arrivée inexorable d’un drame. Des personnages tous englués dans leur quotidien, incapables de s’en extraire et de briser le cercle des loyautés, ces règles de solidarités instinctives qui laissent le couvercle sur la marmite qui bouillonne.

En dehors de Frédéric, personnage secondaire chez les profs, les hommes n’ont pas le bon rôle dans « les loyautés ». Une constante chez Delphine, et cela peut se comprendre au souvenir de quelques pages de sa « nuit ». Mais ces hommes faibles, déresponsabilisés, porteurs de haine ou de désespérance, privent les deux garçons d’un modèle à suivre, d’une complicité masculine, d’un tuteur sur lequel s’appuyer. Tous les hommes ne sont pas comme cela, Dieu merci, mais tellement de femmes élèvent seules leurs enfants que le message reste audible. D’où l’importance du rôle des éducateurs.

Hélène, la prof, est porteuse de la flamme de l’espoir. Elle a connu les mauvais traitements dans son enfance, et on ne l’a lui fait pas. Elle repère que Théo ne tourne pas rond. Mais comment aller à son secours, quand ce n’est qu’un ressenti personnel. L’infirmière et l’assistante sociale font le minimum, mais avec détachement, sans l’envie d’aller au delà des apparences. Mathis, le meilleur ami de Théo, lui aussi, veut venir en aide à son pote, mais sans le trahir. Quant à Cécile, en guerre souterraine avec son mari qui est un autre homme violent et abject sur internet, elle perçoit que les deux garçons filent un mauvais coton, pense à préserver son fils d’abord, et entreprend sans entrain de prévenir l’école. Mais il est déjà trop tard…

Par ce roman percutant, Delphine de Vigan dénonce nos lâchetés pour sortir des rails dans lesquels la société nous confine. Les faiblesses d’ados en situation de détresse sont prises sans le sentiment de l’urgence que ces situations requièrent. Beaucoup de catastrophes seraient évitées si nous étions tous plus vigilants. Mais cela passe par une cassure des loyautés, ces petites compromissions bien pratiques qui nous évitent de nous intéresser aux autres. Cela passe surtout par une société plus humaine, plus ouverte sur autrui.

Encore une fois, Delphine a touché juste avec ce livre. Ce livre, tout inventé qu’il soit, trouve sans doute un peu de résonance dans sa propre histoire. Elle continue donc à creuser son sillon en extrayant de son extrême sensibilité des enseignements puisés à la source de ses expériences personnelles. Le tout formulé dans une langue qui reste de la dentelle. Elle est toujours au sommet !…