Je suis triste comme un chien battu… L’événement me frappe beaucoup plus que je ne l’aurais imaginé. Je connais toutes les étapes psychologiques d’un témoin de drame : la surprise, la sidération, la colère, l’abattement le plus total… Comment est-ce possible ? Comment un monument qui a traversé les siècles peut-il s’effondrer au moment même de mon court passage sur cette terre ?
J’ai envie de pleurer… Je pleure déjà… La cathédrale Notre Dame, c’est notre Histoire. C’est la France. Un pays qui a plongé ses racines dans la foi chrétienne. Un pays où des milliers de gueux se sont relayés pendant plus d’un siècle pour construire le plus beau monument de Paris. Ils ont voulu montrer leur foi, leur croyance, leur conviction qu’ils n’étaient pas sur terre des bêtes anonymes, mais des êtres humains dotés d’intelligence et d’une âme, une âme qu’ils destinaient à autre chose que de croupir comme leurs os dans un tombeau. Une âme qui s’élevait vers les cieux comme la flèche de leur belle cathédrale. Notre Dame était l’expression de leur foi, de la leur, mais aussi de tous ceux qui leur ont succédé. Un témoin des âges, le souvenir dressé en plein Paris de tous ceux qui ont fait la France. Nous étions dépositaires de leur témoignage; nous devions le conserver pour les générations à venir. Qu’avons-nous fait, pauvres de nous !
En deux générations, nous avons coupé le lien avec Dieu. Nous sommes devenus au mieux agnostiques, au pire athées. Nous avons rompu le fil qui nous liait avec tous nos ancêtres, avec leur conviction et avec leur foi. Nous sommes devenus plus intelligents qu’eux, plus pragmatiques, plus terre à terre. Economes de notre temps au point de ne plus vouloir le perdre dans des églises. Vivre l’instant présent sans souci de l’avenir, semble être le mot d’ordre de tous nos contemporains.
Cet incendie traduit trop bien cette rupture avec notre passé, et je me sens perdu comme un enfant qui aurait été abandonné des siens. J’aime me réfugier dans des églises pour prier, prendre de la hauteur par rapport à mon quotidien, mais aussi pour communier avec l’esprit des lieux. On sent dans ces vieilles églises les foules de croyants dont les prières semblent encore flotter dans les charpentes. Les saints qui vous entourent dans ces lieux, vous rappellent pourquoi vous portez tel prénom ou tel autre. Vous vous surprenez à murmurer parce que vous êtes envoûté par la magie des lieux. J’ai raconté sur ce même blog le choc que m’avait procuré à Barcelone la Sagrada Familia. J’écrivais que c’était la plus belle cathédrale du monde. En fait, je ne le pensais pas vraiment… Ma Notre Dame occupait dans mon esprit toujours la première place.
Il sont des millions à l’avoir encensée. Victor Hugo bien sûr, mais aussi tous les anonymes qui venaient lui rendre visite, faisant d’elle le monument le plus visité de Paris. Depuis mon arrivée à Paris en 1982, elle avait été décrassée, restaurée, embellie… J’en étais fier comme si j’en étais le gardien. Il m’arrivait en vélo de faire le détour pour me rapprocher d’elle. Un tour du propriétaire en somme… Je me souviens de quelques offices là-bas, notamment avec Monseigneur Lustiger, ce cardinal d’origine juive dont les prêches étaient toujours un appel à la réconciliation des peuples. Dans les voutes les plus élevées du lieu, les chants résonnaient et se répondaient d’arches en arches. Pendant les messes, je me surprenais à promener mon regard sur les lieux, en me disant que ces pierres auraient beaucoup de choses à raconter si elles avaient le don de la parole. Combien de rois, de reines, de princes, de grands, mais aussi des petits, des humbles et des démunis avaient hanté ces lieux et prié pour un Dieu d’amour et de miséricorde ? Un Dieu qui hélas ne trouve plus grâce auprès des miens, tous ces gens que j’aime, qui ont été baptisés et ont oublié pourquoi.
Je ne sais si cette perte de repère religieux est liée à la violence de notre époque, à la perte du respect pour l’autre, à l’agressivité latente de tous ceux qui vivent dans mon siècle. J’ose espérer que ce n’est pas lié… Mais c’est certain que la religion apportait du calme, du réconfort et une espérance précieuse dans les périodes de doutes. Et quand je vois tous ces gens perdus qui traînent leur misère, leur désespoir et leur absence de toute confiance en l’avenir, je me demande parfois pourquoi il leur paraît si ringard de pousser la porte d’une église pour se recueillir.
En tout cas, ils ne pourront plus pousser celle de Notre Dame. Et j’en suis atrocement triste…
Merci Bernard pour ce post qui exprime mieux que je ne saurais l’ecrire la tristesse des orphelins que nous sommes devenus. C’est en perdant Notre Dame que nous réalisons combien elle est centrale dans notre imaginaire de Français. Elle a été épargnée par la Commune et par les deux guerres mondiales. Ce miracle aurait il une fin? En tout cas, la mobilisation nationale pour sa restauration m’a fait du bien aujourd’hui, notamment les dons magnifiques de Bernard Arnault et François Pinault.
Oui, tu as raison… La mobilisation fait du bien. Puissions-nous nous retrouver autour d’un projet commun, autour d’un monument qui symbolisait notre confiance en l’avenir…