Le chant d’Achille

Il faut être un peu gonflé(e) pour se mettre devant une feuille blanche et décider de ré-écrire, en toute simplicité, « l’Iliade » d’Homère. C’est pourtant ce à quoi s’est attelée l’universitaire américaine Madeline Miller, avec cet ouvrage, « le Chant d’Achille » qui est plébiscité par les lecteurs de Babelio. Assurément, de quoi susciter la curiosité…

J’ai lu ce livre avec plaisir, mais avec l’esprit perverti par l’image de Brad Pitt en Achille bellâtre et bodybuildé. Une certaine forme de pollution cinématographique qui se révèle pénalisante pour entrer dans la personnalité que nous présente Madeline Miller assez différente de celle du film. L’auteur nous délivre un Achille, plus subtil, bagarreur certes, mais aussi homosexuel, amateur de chant, de lyre et de danse, qui ira jusqu’à se cacher en femme parmi un groupe de danseuses pour échapper à l’enrôlement pour la guerre de Troie.

L’Iliade que j’ai relue pour l’occasion, est, il est vrai, un récit plein de trous.

L’épisode fameux du Cheval ne s’y trouve pas. Pas plus dans le livre de Miller qui l’évacue d’un paragraphe lapidaire. Non, c’est clair, la prise de Troie n’est pas l’objet du livre. L’auteur préfère se concentrer sur la personne d’Achille et de son compagnon Patrocle, auxquels elle prête – pourquoi pas ? – de doux penchants réciproques. A vrai dire, la chose n’est pas impossible. Au cours d’un conflit qui s’éternise dix longues années, la promiscuité de tous ces hommes a pu créer quelques conversions dans une époque très tolérante pour la chose. Sauf qu’en l’espèce, cette découverte sensuelle se fait quelques années plus tôt, à la sortie de l’enfance où les deux jeunes garçons font leurs humanités auprès d’un centaure philosophe.

Madeline Miller imagine le passé d’Achille. Elle le fait avec réalisme, et une érudition hellénique qui impressionne. Mais le récit se traîne longuement , avec une certaine platitude au niveau de l’action, impression renforcée par une écriture très simple, dénuée de toute prétention littéraire. Heureusement, le lecteur est enfin réveillé par le rapt d’Hélène et par une série d’événements qui s’enchaînent et conduisent, comme l’attentat de Sarajevo, à une guerre totale. Imaginez quand même : dix ans de guerre, soit bien plus que la guerre de 14-18, pour une simple histoire d’honneur…. Il aurait été sans doute plus rapide d’affamer la cité assiégée, mais cela n’aurait pas pu remplir les pages d’un récit mythologique. 

La Guerre de Troie, vue par le compagnon du meilleur guerrier grec, guerrier qui se révèle ombrageux et fier, et qui déteste en outre son chef Agamemnon, tel est finalement le récit auquel nous convie l’auteur. Elle fait entrer en scène les Dieux de l’époque, qui prennent fait et cause pour l’un ou l’autre camp. C’est le quotidien guerrier qui nous occupe, avec les chicanes que se font les héros grecs autour de leurs prises de guerre souvent féminines. le récit gagne en proximité ce qu’il perd en épopée. Mais c’est sans doute aussi ce qui en fait tout son sel, l’objectif de démystifier des héros qui ne sont plus que des noms dans nos cours d’histoire.

Le pari est donc gagné. Cet Achille et sa belle histoire d’amour avec son Patrocle sont crédibles et plaisants. Cela donne envie de relire l’IIiade et l’Odyssée pour retrouver l’esprit des origines et voir le défi qu’a représenté cette ambition de nous parler un peu mieux d’une des histoires qui a constitué le socle de notre éducation.