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Gladiator 2, plaisant et fade…

Le premier Gladiator avait marqué les esprits avec une évocation de la Rome Antique déchirée par les jeux de pouvoirs, la corruption et l’abandon des valeurs ayant construit la prééminence de la grande cité sur son époque. La puissance de jeu de Russell Crowe, alors jeune comédien peu connu, avait contribué à un succès mérité du film, le consacrant comme péplum le plus réussi de l’histoire.

Une suite, près de 24 ans après , avait-elle un sens ? Un intérêt commercial, en tout cas, au vu du budget faramineux de ce Gladiator 2 qui vise à nous en mettre plein les yeux. Objectif atteint de ce point de vue, car les scènes de combat et de luttes dans l’arène sont d’une belle intensité.

Hélas, la surprise n’est plus au rendez-vous, le film donne une impression de « redite » par rapport à son illustre prédécesseur, sans apporter grand chose de neuf. On découvre quand même ce tandem d’empereurs, Geta et Caracalla, qui n’a fonctionné que pendant la seule année 211 ap JC. Deux êtres falots, mais d’une cruauté sans nom. La mère Lucilla joue sans passion la femme ballotée par les événements entre un mari général victorieux et un fils perdu qu’elle retrouve dans les troupes de gladiateurs appelées à se faire hacher menu. Quant au personnage de Macrinus, le négociant d’esclave, il occupe tout l’espace avec l’abattage souriant d’un Denzel Washington sans limites. Il s’est donné sans doute un vrai plaisir d’acteur, au prix d’une crédibilité du personnage sans doute un peu écornée. Pour ce qui est du jeune Lucius, esclave et combattant de l’arène, il se dépense sans compter, mais Paul Mescal n’a pas le charisme de Russell CroweLe film divertit bien, malgré tout, surtout quand on repère subrepticement des légionnaires romains noirs dans les troupes d’élite de la garde prétorienne. Le wokisme s’autorise décidément toutes les audaces.

Qu’importe !… Le spectateur est là pour se distraire; le film est une vraie réussite. Pas sûr, cependant, qu’il entre dans les annales des meilleurs films autour d’une époque romaine qui continue à nous épater. Les ambitions humaines y sont tellement fortes que cela rassure sur la moindre nocivité de notre vie contemporaine

Quand Cannes s’amuse…

Un film étrange… Il attire l’attention par sa Palme d’Or à Cannes. Il joue de l’iconoclasme avec un récit décalé, du sexe, et des paillettes. Il est à moitié en russe, une langue moins en cours depuis les événements d’Ukraine. Il est totalement dans l’outrance, comme son jeune héros. Un jeune immature qui vit au crochet de son père milliardaire. Il nous emporte dans les délires de jeunes oisifs qui dépensent sans compter, et ont une vie dorée sur tranche qu’ils brûlent par toutes les chandelles.

« Anora » est assurément un film qui ne ressemble à rien, sinon à ces vidéos pimentées qu’on trouve sur les réseaux sociaux pour attirer l’oeil blasé de l’internaute. Son récit est aussi futile, sa débauche d’images frôle la provocation, l’excès, l’overdose de mauvais goût… Pourtant le spectateur se fait happer par cette outrance et par un récit à cent à l’heure, sans temps mort, surtout quand la famille russe et ses représentants arméniens se mêlent du conte de fée à la « pretty woman ». Le délire s’installe, et avec lui, les rires des spectateurs. Cela vire à la comédie loufoque, avec des personnages qui se lâchent et deviennent incontrôlables.

Après tout, pourquoi pas ? Le Festival de Cannes devait s’ennuyer et a donné une prime au film le plus déjanté. Celui qui rappelle sous certains aspects la Palme d’or 2019, autrement dit le film coréen « Parasite ». Ici comme là, les parasites sont à l’oeuvre dans leur vie grand-guignolesque.

Y-a-t-il seulement une morale dans tout cela, ou simplement un fil conducteur ? Non, pas vraiment…. Le mauvais goût et l’absence de tous principes sont la norme, et le spectateur exulte devant ces frasques. Au final, au-delà de la bonne poilade, on sort un peu vide de cette forme de cinéma. Le cinéphile reconnaîtra quand même au réalisateur Sean Baker, un vrai talent. Il nous cuisine avec des ingrédients un peu lourds une choucroute bien garnie qui tient bien à l’estomac.

Dernière leçon du vieux Clint

Le voilà le film-testament du vieux Clint !

Le plus prolifique réalisateur américain. Un homme qui nous a fait rêver en tant qu’acteur, avant de nous emporter dans ses propres histoires souvent bien ficelées. Clint Eastwood a un vrai talent pour saisir l’air du temps, cette poussière invisible qui conditionne nos vies et nos comportements, quand ce n’est pas nos emportements.

Avec « Juré n°2 », il aborde notre envie irrépressible de justice, et en même temps notre propension à parfois nous arranger avec elle. C’est connu, la recherche du bien-être personnel est l’alpha et omega de nos contemporains, quel qu’en soit le prix. Quel qu’en soit le prix, vraiment ? nous interroge le vieil homme de 94 printemps. L’illustration de cette question est lumineuse, avec un scénario d’une simplicité confondante. Le fait divers paraît tellement peu alambiqué qu’on se demande comment un scénario peut tenir sur cette trame. Mais c’est sans compter sur les ficelles d’un réalisateur roué qui introduit des petits rebondissements, tenus mais suffisamment prégnants pour faire monter la pression.

Tout serait plus facile, si l’homme n’était pas doté d’une conscience. Bonne ou mauvaise, elle fait son travail de sape, solidement secondée par les remords d’un côté, et l’envie d’aller au bout des choses, de l’autre. L’étau se resserre donc inexorablement, comme un noeud coulant autour de la jolie tête du héros, joué subtilement par l’acteur inconnu Nicholas Hoult. Il est tellement sympathique que le spectateur prend un peu fait et cause pour lui.

Mais la justice ne se mégote pas. La procureur jouée par une Toni Collette ambitieuse et expéditive, avant de se raviser, se révèle une menace grandissante. Qui va gagner ce jeu du chat et de la souris ?

Le dernier ( vraiment ? ) film de Clint nous renvoie l’image d’une société de compromissions qui a perdu ses repères et ses idéaux. Ce n’est certes pas son meilleur film, mais il met joliment un point final à une filmographie ambitieuse qui nous a toujours dérangés dans nos petits conforts. Un grand Monsieur… Il va nous manquer. Nous avons diablement besoin de Jeremy Cricket dans nos mondes très égoïstes….

Un hommage majuscule

Sa musicalité, sa verve et ses paroles scintillantes ont illuminé son époque. Et toute la postérité derrière elle.  « Monsieur Aznavour », le film, rend un hommage vibrionnant au plus grand compositeur de chansons françaises à parité avec Brel et Brassens.

Un film si touchant qu’il se laissera voir et revoir plusieurs fois, tant il est enchanteur pour replonger dans la douce insouciance du Paris des années 50 et faire revivre des monstres sacrés : Edith Piaf bien sûr ( époustoufflante partition de l’actrice Marie Julie Baup qui éclipse toutes celles passées avant elle dans le rôle ), Trenet, Bécaud, Halliday… Le mimétisme est si total que le passé est brusquement réveillé sous nos yeux émerveillés, avec un Tahar Rahim qui ne joue pas Aznavour ; il est Aznavour. Gestuelle, mimiques, voix suave s’emballant parfois dans les tours, tout y est, pour notre plus grand plaisir…  

La folle exigence du « petit » Charles – petit pour ne pas le confondre avec l’Autre qui dirigeait le pays – pour monter toutes les marches de son rêve, au point de s’y perdre parfois un peu, ce travail insensé, cette volonté de rencontrer toujours son public, tout cela a créé simplement du sublime, de l’humanité brute et désespérée dans des rôles divers de docker rêveur, de vieux chanteur désabusé, de saltimbanques colorés ou d’homo triste. Le film synchronise chaque parole avec les expériences de vie de l’auteur, donnant une genèse à chaque tube. Du grand Art !…

Bravo à Grand Corps Malade, prince du récit parlé, il nous emporte vraiment très loin avec cette histoire. Le meilleur biopic, le plus émouvant, le plus incarné, le plus respectueux… j’en garde les larmes aux yeux pour pouvoir les reverser à l’écoute de Charles Aznavour, le Grand….      

Un film dont on tombe amoureux…

« L’Amour ouf » est un drôle de titre pour un film de 2 h 40 qui se veut très ambitieux et a eu l’honneur d’être sélectionné à Cannes. Un titre un peu racoleur, à destination du jeune public vers lequel il lorgne ostensiblement.

Honnêtement le film n’avait pas besoin de ce subterfuge en verlan. Il se déguste facilement comme une version « à la French » de « Il était une fois en Amerique », le chef d’oeuvre de Sergio Leone. Beaucoup de similitudes avec ce grand classique : le long passage sur l’enfance, une histoire d’amour vibrante, la guerre des gangs, la violence, une image qui imprime la rétine, une musique très prégnante… Et une plongée dans le passé, celui-là pas si lointain puisqu’il s’agit des années 90 avec tous leurs marqueurs ( téléphones, cassettes-audio, voitures, etc… ) qui feront bien rire les ados d’aujourd’hui.

Autant le dire, pour le public un peu âgé, il y a a beaucoup de jouissance à retrouver une époque, l’esprit d’une époque où tout semblait plus léger, avec notamment une pègre fréquentant les églises, des boites de nuit à paillettes, et des jeunes désoeuvrés faisant les 400 coups. L’histoire d’amour naissante est touchante avec deux jeunes acteurs très expressifs. La prison va, cependant, vite séparer les tourtereaux. Pendant douze longues années, ce qui permet ensuite de mettre en selle, que dis-je, sur orbite, François Civil et Adèle Exarchopoulos. Le charisme de ces deux-là n’est pas étranger au succès du film. Ils sont parfaits, incandescents et le spectateur n’a plus que les yeux de Chimène pour leur love-affair. François est ténébreux et Adèle a un naturel fou, comme d’ailleurs dans tous ses films. Le petit truand se laissera-t-il emporter par l’amour ou par le côté obscur de la force ?

Gilles Lelouche réussit parfaitement son coup avec un film fédérateur dont on parlera encore dans vingt ans. La qualité de l’image est, en plus, époustouflante. Bref, un film-fleuve, épopée enjouée du siècle passé. 2h40 de film où on ne voit guère le temps passer. Un succès ? Oui, mais il y a là aussi les constituants d’un éventuel triomphe.

Le Fil, du grand Auteuil

Comme les bons vins, Auteuil se bonifie avec l’âge. Il n’excelle jamais autant lorsqu’il montre sa fragilité, ses faiblesses, ses doutes. Un acteur donc impeccable pour endosser le rôle d’un avocat pénaliste qui, par humanité, se laisse tenter par la défense en avocat d’office d’un père de famille débonnaire soupçonné du meurtre de sa femme. L’intime conviction comme moteur de l’engagement. Une combativité démultipliée pour atteindre une issue désirée intensément.

L’accusé, joué avec sobriété par un Gregory Gadebois, une fois de plus excellent, est tellement touchant. L’avocat réputé mouille donc sa chemise pour défendre son bonhomme qui ne l’aide guère. Les accusés sont souvent de piètres défenseurs de leur cause. Du dur métier d’avocat d’assise.

Le film est une belle plongée dans la justice du quotidien, laborieuse et parfois ingrate. Auteuil qui est aussi à la réalisation, nous emmène dans un procès relevé autour d’une histoire toute simple. Trop simple ? Le dénouement à double détente est assez inattendu. Mais ce n’est pas le plus important. L’histoire se termine. On aura vécu les atermoiements d’un acteur au jeu très habité qui confirme la première place qui est la sienne dans notre cinéma national.

Le Roman de Jim

La paternité est-elle une affaire de gênes ou une affaire d’actes ? Telle est la question que pose ce très joli film qui offre un rôle en or à Karim Leklou. Le rôle d’Aymeric, un homme débonnaire, un gentil, un velléitaire qui se laisse emporter par les événements, sans tentative de les maîtriser. Un bon gros nounours capturé par Florence, femme fantasque qui le prend comme compagnon, alors qu’elle est très enceinte d’un autre. Il se laisse faire, subjugué par ce corps déformé qu’il apprivoise au travers de son appareil-photo. Il mitraille, comme s’il voulait retenir l’instant. L’intimité est si fugace !…

Plus que d’amour, c’est de complicité qu’il s’agit, un confort face aux aléas de la vie. Contre toute attente, c’est une situation qui dure et qui permet au nounours de devenir papa auprès du petit Jim. Un papa attentif, serviable, aimant qui travaille à faire grandir cette jeune pousse. Jusqu’au jour, où le père génétique, Christophe, refait surface, ravagé par la disparition des siens…. Florence se laisse happer par la détresse du père de son fils. Et Aymeric se voit rétrogradé à plus grand chose….

Ce qui peut choquer et déplaire dans ce film est la passivité d’Aymeric, un homme qui subit sans se révolter. Plus que la perte de sa femme, il souffre de l’éloignement de « son fils ». Mais que pèse une paternité affective face à la dictature du sang ? Heureusement Aymeric va se consoler auprès d’Olivia ( Sara Giraudeau ), une femme solaire qui lui fera oublier les coups vaches de Florence.

« Le Roman de Jim », adapté d’un livre à succès, traite avec légèreté du trio amoureux autour du sort d’un enfant. Grâce notamment à la personnalité effacée du personnage joué avec justesse par Karim Leklou. Face à lui, Laetitia Dosch est inconséquente, puis un brin machiavélique, et Bertrand Belin, joyeusement découvert dans « Tralala » joue bien l’homme à terre. Les hommes sont faibles dans ce film. Les femmes y paraissent plus solides, à l’image de Sara Giraudeau, toujours parfaite dans son rôle.

Au final, un petit film qui fait réfléchir sur le rôle fragile du père adoptif dans les couples recomposés..

Un Monte-Cristo plus noir

Un ami qui randonnait à pied au coeur de l’Ouzbékistan, a rencontré un paysan qui, interrogé sur ce que représentait la France pour lui, répondit instantanément : « le Comte de Monte Cristo ! »…

On comprend qu’avec un rayonnement planétaire, la tentation ait été grande de dépoussiérer les nombreuses versions filmées d’un des meilleurs romans d’aventure jamais édité. Grande réussite de ce point de vue, avec un Pierre Niney qui incarne très bien l’Edmond Dantes de nos lectures lointaines. Le film est tendu comme un arc autour de cette vengeance sublime d’un pauvre hère devenu extrêmement riche par un coup du destin que seul Alexandre Dumas sait nous tricoter. On passe un excellent moment de cinéma avec des acteurs parfaits dans leur partition et un scénario assez fluide, malgré les différents chapitres de l’histoire. Tout au plus, peut-on regretter quelques ellipses qui nous font passer à côté de l’origine de certains personnages. Il faut dire aussi que le roman est un pavé, un pavé qu’on déguste à petits feux sur une durée bien supérieure aux près de 3h du film.

Hélas, le réalisateur a cédé à la mode de la violence, en changeant les ingrédients de la vengeance. Dumas avait été pourtant parfait, avec des vengeances bien agencées où Dantes ne faisait qu’exploiter les défauts de ses ennemis, un peu comme ces lutteurs asiatiques qui exploitent simplement le mouvement de l’adversaire. Du cousu main de l’auteur, mais peut être moins visuel que le parti pris du film.

Le film est donc magnifique, mais il s’éloigne trop de l’esprit de Dumas. Le Dantès d’origine est un personnage très charismatique qui attire les regards et en profite pour tirer les ficelles. Niney est plus sombre, plus englué dans son désir de vengeance. Et plus violent… Un reflet de notre époque, certes, mais ce n’est pas l’homme qui a fait rêver des millions de lecteurs, jusqu’aux confins de l’Ouzbékistan.

Relisons le roman, nous ne perdrons pas notre temps….

Le tableau volé

Le cinéma a le pouvoir de nous déplacer dans des univers inconnus et de nous faire rêver à d’autres destins que ceux que nous avons choisis. « Le Tableau volé » est un film sans autres ambitions que de nous plonger dans le monde de l’Art, de ses professionnels, de ses clients, et de toute la galaxie qui l’entoure.

Reconnaissons qu’il le fait très bien, avec un scénario bien huilé et parfaitement crédible : quand une situation héritée devient une source d’émerveillement. Un tableau connu qui refait surface, après la disparition des accapareurs issus de la guerre. Une avalanche d’argent qui tombe sur un jeune garçon incrédule qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Mais avant cette fin, il y a un savoureux préambule : le commissaire-priseur blasé joué avec brio par un Alex Lutz cinglant ( très loin de ses one-man shows comiques ) ; ses relations tendues avec une jeune assistante mystérieuse ( troublante Louise Chevillotte ) ; l’ex-femme Lea Drucker détachée et complice qui ne veut pas renoncer à l’état amoureux ; l’avocate apporteuse d’affaires qui reste fidèle à son éthique…

Bref, un petit monde qui s’agite autour d’un tableau qui peut donner un formidable coup de boost à la carrière de chacun. Mais il faudra avant cela échapper aux peaux de bananes et aux coups tordus, car le milieu n’est pas, à proprement parler, un monde d’enfants de coeur. Le film est plaisant par ce côté instructif. Mais il va plus loin grâce à la jeune actrice Chevillotte très impénétrable dans ses relations compliquées avec son père, joué par l’inattendu Alain Chamfort. Les acteurs sont tous parfaits et le spectateur en sort conforté dans l’envie de fréquenter davantage les salles de ventes. Ne serait-ce que pour s’initier aux plaisirs des beaux objets… C’est là un des atouts incontestables de ce joli film.

Dussollier génial en de Funès…

L’outrance : beaucoup de comédies reposent sur ce concept. Mais c’est un exercice périlleux qui doit être mené par un artiste chevronné. Louis de Funès était parfait dans ces personnages déjantés. Ce n’est cependant pas à la portée de tout le monde.

André Dussollier, acteur réputé sérieux, sachant être piquant et joyeux drille dans certaines circonstances, pouvait-il relever le défi ? Devenir ce militaire à la retraite, portant haut ses oeillères et ses principes, pour qui la découverte de l’ancienne infidélité de sa femme va tout bouleverser, comme une boule folle dans un jeu de quilles.

Au final, mission réussie sur toute la ligne. Notre Dédé national, souvent réservé aux rôles de falot maladroit et distingué, comme dans « les enfants du Marais » nous fait un véritable festival. Il accapare l’écran dans une franche partie de rigolade. Le personnage est odieux, mais par sa pureté et son caractère décalé dans une période aux principes plutôt chahutés, il est touchant et fait rire. L’histoire est certes exagérée, mais pas plus que dans « Oskar » avec son de Funès survolté. L’inattendu tandem Lhermitte-Azema qui l’accompagne est complice, de même que les trois enfants aux caractères très typés. Un assaisonnement favorable pour permettre à cet automate galonné, remonté jusqu’à son dernier ressort, de parcourir l’écran de droite à gauche, puis de gauche à droite jusqu’à épuisement du mécanisme. Le spectateur hoquète de plaisir, avec parfois une petite anxiété que le récit tourne court. Mais non, il y a toujours un nouveau pétard qui éclate pour nous remettre dans la partie.

Le film n’est, certes, pas de ceux qui marqueront les annales, mais je suis sûr qu’il fera partie de ceux qu’on aura plaisir à voir et à revoir, le dimanche soir à la télévision. Ne serait-ce que pour voir un grand acteur au sommet de son Art qui sort de sentiers qu’il a bien battus, et semble nous dire avec son air rigolard « elle est bien bonne, celle-là…. » Merci Dédé, tu es le plus grand.

« Hors Saison », sortie de piste d’une dépression…

Le film est du réalisateur Stéphane Brizé, mais c’est un film que Guillaume Canet aurait pu faire, tellement il lui ressemble. L’exploration des troubles et des tensions liés à chaque âge est du « pur Canet » dans le texte et les motivations. Cette fois-ci, ce n’est pas une bande de potes trentenaires comme dans « les Petits Mouchoirs », mais les questionnements métaphysiques de la cinquantaine, quand l’âge se fait sentir et qu’il provoque chez les perfectionnistes comme l’est notre fringant acteur, des sentiments dépressifs.

Voilà donc un film au public ciblé qui ne passera pas le filtre des plus jeunes. Et pourtant quelle justesse de ton !… Le film est lent, laborieux, plein de moments de silence; la Bretagne y est austère, peu engageante. Matthieu, notre dépressif a choisi l’endroit le moins naturel pour se ressourcer. D’ailleurs, son séjour de Thalasso est marqué par l’ennui et un détachement à toute épreuve… Les images s’étirent dans un grand bâillement du spectateur. Jusqu’à l’arrivée du personnage d’Alice ( Alba Rohrwacher merveilleuse de justesse ), une ancienne maitresse abandonnée qui apparaît comme un rayon de soleil dans un ciel d’orage. Tout s’articule ensuite autour de cette femme, pudique, peu sûre d’elle, qui brave les souvenirs douloureux du passé pour retisser du lien. Face à elle, il reste mutique, peu ouvert, mais se laisse finalement séduire par la générosité de cette femme qui fait du bien dans un hospice de vieux. Elle l’invite dans la célébration d’un mariage entre deux résidents de la maison, autour d’une soirée où les yeux du dépressif retrouvent l’étincelle de la vie. La soirée est d’une grande puissance émotionnelle, comme le témoignage d’une vieille femme, passée à côté de sa vie, et bien décidée à rattraper le temps perdu.

Comme l’espérait le spectateur, les deux amants finissent par se retrouver pour une étreinte qu’on imagine furtive. Ainsi, c’est dans un pays hostile, entouré de vieux proches de la fin, que Matthieu va retrouver une certaine envie de vivre. Alice n’en sortira pas indemne, car le mal-être peut sauter d’un individu à l’autre. Foutue déprime des bilans quinquagénaires !… Finalement, seul l’amour est un ciment qui tient pour traverser ces moments difficiles.

Un beau film, léger, et sans doute pas tous publics. Qu’importe, l’esprit est là, et il parlera à beaucoup…

Il reste encore demain

Le cinéma est d’abord une affaire de passion, avant d’être une affaire de gros sous. La production a un peu gâté le tableau, en parlant du film « aux cinq millions d’entrée » en Italie. Elle nous a ainsi privés de l’effet de surprise qui aurait immanquablement accompagné ce petit film italien en noir et blanc, très intimiste et sans aucun acteur connu au générique. J’imagine le bouche à oreille se répandant comme une traînée de poudre. Cela aurait été mille fois plus efficace que les rodomontades de l’affiche.

Car de la surprise, il y en a, je vous prie de le croire !… Et surtout du cinéma pur, esthétique, percutant. Une caméra désinvolte qui capte des bribes d’une italienneté désopilante ; l’intimité d’une famille à la sortie de la guerre; des gens simples, fiers, volubiles, qui s’affrontent dans un déluge de cris, de tensions et de disputes entre voisins; un clin d’oeil appuyé aux comédies italiennes en noir et blanc des années 60, mais sans la légèreté habituelle. Car le père est un homme brutal qui a la mauvaise habitude de frapper sa femme, la stoïque Delia, et de tyranniser ses enfants. Delia serre les dents, protège sa fille et essaie de canaliser ses deux fils hyper-turbulents, mais elle n’a pas la tentation de se révolter. Elle accepte sa condition, jusqu’au moment où elle perçoit de la pitié dans les yeux de sa fille. Dans le même temps, cette dernière s’engage dans un mariage sur le papier très valorisant, avec un élu de son coeur qui, cependant, montre vite des vélléités de patriarcat absolu, comme le père de famille. L’histoire se répètera-t-elle ? Delia peut-elle accepter que sa fille soit condamnée à connaître le même destin ?… Pour traverser l’épreuve, Delia se console dans une grande amitié avec le garagiste local, mais ce dernier qui crève la faim, décide de partir vers le nord de l’Italie. Va-t-elle le suivre, en abandonnant tous les siens ? Une lettre adressée de manière rarissime à Dalia-même semble provoquer un déclic…

Sur ce canevas, la réalisatrice Paola Cortellesi qui tient elle-même le rôle de Dalia avec une justesse absolue, nous brode une histoire superbe, dont l’émotion perce à chaque scène dans les yeux perdus de cette femme battue. La scène où elle se fait rosser par son mari, devient une danse poignante où les coups pleuvent entre les étreintes. A certains moments, des chansons italiennes accompagnent le drame pour donner un goût aigre-doux aux images et désamorcer la tension. La technique de cette jeune réalisatrice excelle, au-delà du choix esthétique et bien trouvé du noir et blanc. Le spectateur vibre intensément avec cette femme qui résiste vaillamment à sa condition misérable. Jusqu’à la pirouette finale, le dénouement inattendu qui donne au film une tout autre connotation.

C’est alors une illumination qui donne un large sourire. Le spectateur sort heureux. Ce film mérite ses 5 étoiles. Un vrai bonheur…

Une vie ?… Vraiment ?

Quel manque de culture que de nommer ce film « une vie », avec le risque de confusion avec le chef d’oeuvre de Maupassant! Nos diffuseurs n’ont décidément plus d’originalité. Soit ils conservent le titre anglais abscon, soit ils traduisent bêtement, sans égards pour la culture locale. L’époque où « The deer hunter » devenait en français le mythique « Voyage au bout de l’enfer » est hélas bien révolue !… En plus, ce titre simpliste ne rend pas justice à un beau film qui célèbre un « Juste » dans l’histoire, Nicholas Winton, un peu tombé dans les oubliettes de nos mémoires.

Voilà, en tout cas, une injustice réparée, mais à l’image du titre un peu fade, cet hommage n’est guère appuyé. Le film est léger, tout en humilité, peut-être pour être conforme à la personnalité du héros. Cet homme ordinaire qui, dans une période troublée, s’est senti obligé de monter en première ligne pour sauver de jeunes vies. Des jeunes Juifs tchèques menacés par la grande machine à broyer nazie. Il n’en tirera aucune gloire, sinon la bonne conscience de l’honnête homme. Et si son histoire n’avait pas touché Robert Maxwell, magnat britannique de la presse, d’origine tchèque, peut-être n’aurait-il pas été honoré de son vivant.

La scène est touchante. Tout le film repose sur cette émission de télévision qui a dû être un sommet d’émotion avec tous ces survivants célébrant leur sauveteur. Anthony Hopkins est parfait. Il n’a pas besoin de forcer son talent pour jouer ce vieil homme maniaque qui a du mal à replonger dans ce fait de gloire de ses années de pré-guerre.

Il manque quand même au film un peu de souffle. La copie est trop parfaite, sans originalité et sans vitalité profonde. Qu’importe !… Ce film a le mérite d’exister. Il rappelle que l’émigration humanitaire est une grâce. De ce point de vue, le film est militant. Mais résumer la vie de cet homme à son action pendant quelques mois, me semble réducteur. Encore une fois, le titre est mal choisi….

Du doux métier d’enseigner…

Dieu, que le métier d’enseigner est difficile !… C’est la réflexion qui vient à l’esprit à la vue de ce film tendu comme un arc, qui dégage une tension forte dans ce qui devrait être un lieu de concorde et de paix, à savoir une école. Un film allemand avec cette belle langue de Goethe trop rare sur nos écrans, au message cependant universel. Les instituteurs sont aujourd’hui challengés par des élèves ayant acquis un haut niveau de conscience de leur place dans la société et qui en usent, en bravant parfois l’autorité. Il faut donc une bonne dose de stoïcisme du corps enseignant pour résister à cette déferlante citoyenne et revenir aux fondamentaux.

Comme souvent, l’étincelle vient d’un petit rien, des vols dans l’établissement et une jeune enseignante qui croit bien faire, en laissant la caméra de son ordinateur en veille pour disculper avant de mettre en accusation. Ce qui va donner lieu à une série d’événements en chaîne… Le spectateur se laisse happer par cette histoire au réalisme stupéfiant, avec des jeunes élèves plus vrais que nature. La jeune actrice, Leonie Benesch, est impressionnante dans le rôle d’une enseignante débordant de bonne volonté, qui se révèle pugnace dans l’adversité. On a cependant mal pour elle… L’unité de lieu du récit ne laisse aucun temps mort. Cette école vous secoue comme une machine à laver, laissant le spectateur essoré et pantelant…

Comment a-t-on pu en arriver là ? Nos enfants sont-ils devenus des citoyens ultimes, comme le rêvaient les manifestants des années 68 ? Ou la perte de soumission et l’esprit de révolte, qu’on retrouve à tous les étages de la société, s’opposent-ils au partage du savoir qui est, à la base, un acte de confiance intime entre sachant et novice du savoir ?…

J’avoue avoir éprouvé un peu d’anxiété face à cette perte du respect dû au porteur de l’autorité. Surtout dans un pays comme l’Allemagne qui ne s’illustre pas par son esprit frondeur. Cela doit être bien pire chez nous, pays aux ferments révolutionnaires… Oui assurément, nos enseignants ont du mérite….

Heureusement, il y avait Judith…

La grande fête du cinéma est toujours un spectacle. Entre les pitreries des présentateurs, les robes incandescentes des actrices, les petits jeux de chacun durant la cérémonie, les tirades des uns et des autres, voire les tribunes libres de ceux qui profitent de ces projecteurs pour divaguer sur l’actualité, c’est parfois le cirque… Assurément, le spectateur en a pour son argent d’abonné à Canal +.

L’édition 2024 a été un peu plus terne. Illuminé seulement par le discours subtile et émouvant de Judith Godreche. Quelle émotion ! Cette femme magnifique, avec des yeux candides derrière des grandes lunettes, a effleuré son histoire tout en douceur. Avec l’assurance d’une femme équilibrée, elle a évoqué le hiatus entre la beauté d’un divertissement qui fait rêver et les « mains sales sur des seins de 15 ans » de quelques professionnels dévoyés. L’exploitation de jeunes actrices par leur mentor est une tâche honteuse sur la création artistique. Le cinéma qui élève l’âme devant les caméras, ne peut se prêter aux pires turpitudes en arrière-cuisine.

On pouvait craindre, comme l’a fait Jerome Seydoux, le Président de Pathé, que cette intervention soit déplacée, en portant sur la scène ce qui relève des prétoires de tribunal. Et le risque était aussi celui d’un nouveau grand déballage, aux côtés souvent obscènes, comme la tribune scandaleuse de la Palmée Justine Triet au dernier Festival de Cannes. Mais Judith a mis toutes les craintes dans sa poche. Sans stigmatiser, d’une voix fluette où perçait son amour de la vie et toute absence de rancoeur, elle a appelé le cinéma à ses devoirs. Tellement plus percutant que la vulgarité d’une Corinne Masiero déboulant nue sur la scène en 2021 !

L’édition 2024 a donné lieu à un hommage appuyé au réalisateur Christopher Nolan, glorieux architecte de ce monument de l’image et du cinéma qu’est le film « Inception ». Et le César d’honneur offert à Agnès Jaoui a paru tellement mérité, pour cette femme de tous les combats qui nous a donné beaucoup d’émotions par ses films autour de son compagnon Jean-Pierre Bacri.

Quant au palmarès, il a été horriblement consensuel avec le film un peu surfait de Justine Triet « Anatomie d’une chute » qui raffle tout. Certes, ce film a des qualités que j’ai su mettre en avant sur ce blog, mais il ne mérite, certes, pas cette avalanche de trophées après Cannes. « Le Règne animal » que je ne connais pas, a aussi beaucoup engrangé, traduisant cette tentation du « tout ou rien » que je trouve très contestable au sein des milieux du cinéma. Car on laisse ainsi sur le bord du chemin d’excellents films. La déception de Jeanne Herry, auteur du formidable « Je verrai toujours vos visages » faisait de la peine. Son film méritait amplement le Cesar du meilleur film.

Dernier enseignement de cette édition : la découverte de la révélation masculine Raphaël Quenard. Un nom qui va se faire entendre dans un proche avenir, je suis prêt à le parier. Son discours de remerciements après son Cesar a été merveilleux de justesse et d’entrain.

Une affaire d’honneur

Un film d’atmosphère… Il est rare d’avoir des histoires arides qui vous plongent à ce point dans une ambiance lourde, sans grande échappatoire. Les duels pour l’honneur sont, il est vrai, des moments de forte intensité émotionnelle. Un monde d’hommes où chacun fait assaut de testosterone pour défendre l’expression d’un égo exacerbé. L’outrage subi est souvent un prétexte pour s’étalonner dans le maniement de l’épée.

Mais, c’est aussi, nous dit le réalisateur Vincent Perez, une occasion d’essayer d’oublier l’humiliation de la défaite de 1870, en montrant par son courage que cette défaite est d’abord l’affaire des autres. A l’actif du film, il y a une reconstitution historique très léchée, notamment dans le jeu des lumières, les bougies et les lampes à pétrole prêtant aux images un côté crépusculaire. La France rumine sa défaite dans un engagement forcené lors d’entraînements à l’épée dans des clubs souvent rattachés, comme ici, à un journal. On affûte ses armes et son corps, tout en claironnant par voie de presse son patriotisme. Les ingrédients du cataclysme de 1914 se construisent lentement, près de trente ans avant les faits.

Un monde bien sûr où les femmes n’ont pas voie au chapitre. Elles sont quantité négligeable, mais cela ne les empêche pas de copier leurs compagnons en croisant le fer dans des salons plus mondains. Le personnage de Doria Tillier s’efforce de faire bouger les frontières, avec un féminisme d’avant-garde et provocateur. Mais c’est d’abord une affaire d’hommes, l’honneur masculin étant infiniment plus précieux que l’honneur des femmes.

Comme le dit un galonné, l’honneur était d’abord un actif au service du roi, mais depuis quelques décennies il est devenu essentiellement attaché à la personne. Surtout dans un pays affecté par la déroute contre les Prussiens. Hélas, ces hommes se laissent ronger par leur fierté, et un duel en appelle un autre. Dans un pays déshonoré, c’est le seul moyen de tenter d’émerger. Ce qui donne lieu à quatre duels, à l’épée, au pistolet et au sabre qui sont tous superbement chorégraphiés, avec parfois une vraie sauvagerie dans l’assaut. C’est intense, et les films de cape et d’épée à la Jean Marais apparaissent, en comparaison, comme d’aimables jeux d’enfant.

La tension est là, et le jeu intériorisé de Roschdy Zem rajoute à la chose. Un vrai film d’ambiance….

Winter break, une pause régénérante

Quel joli film !… Je n’avais pas autant vibré à un film intimiste américain depuis Green Book. Un condensé d’humain comme on n’en trouve plus guère dans le grand barnum du cinéma américain qui a pourtant inventé Capra et « la vie est belle ».

Certains feront le lien avec « le cercle des Poètes disparus », mais je n’adhère pas à cette référence. Si le décor est bien celui d’une école comme son illustre prédécesseur, Winter Break est moins démonstratif. Le film est fait de petites touches de couleurs comme un tableau impressionniste. Et au fil du récit, des petits événements légers comme des émulsions de peinture construisent le tableau d’une histoire subtile, touchante et pleine de sens. Ce Noël des laissés-pour-compte au sein d’une école bourgeoise est d’une humanité incroyable. Ces délaissés vont oublier leurs différences pour trouver le plus petit commun dénominateur de leur condition humaine.

Avec des ingrédients aussi disparates, la mayonnaise n’était pas garantie. Mais au final, c’est un moment de douce complicité qui émerge entre le professeur bougon, l’étudiant mal dans sa peau, et la cuisinière inconsolable.

Pour incarner ce conte de fée moderne, Paul Giamatti est absolument étonnant de véracité en professeur misanthrope qui se cache derrière des citations latines pour cacher un vrai désarroi. Il mérite l’Oscar dix fois pour ce rôle plus subtil que son côté brut de fonderie ne le laisse à entendre. C’est un rôle tellement intériorisé que l’homme suscite la pitié. Et face à lui la tête à claques d’étudiant révèle une personnalité d’écorché vif, évoluant positivement au fil d’une expérience de vie.

Finalement, à l’image du Cercle des Poètes, le spectateur pourrait être amené à tirer du film une leçon de vie : ne jamais porter des jugements définitifs sur les autres; ne pas mettre les autres dans des boites, car ils risquent d’en sortir comme des polichinelles…. J’aime ce cinéma américain-là. Il pulvérise les images de sagesse, et non de violence. Cela fait du bien….