Je suis toujours épaté quand un auteur contemporain arrive à retranscrire une époque lointaine avec minutie, au point qu’on se sent obligé de vérifier si l’on ne s’est pas trompé sur sa date de naissance. Arriver à raconter les années 1880 en donnant une texture au récit dense et patiemment tricotée relève d’un travail d’historien. Et on sourit à ces retours en arrière qui se situent dans les années 1840 ou encore à celles de la guerre de Crimée. Mais oui, bien sûr, cela a l’air tellement naturel.
Robert Goddard est un écrivain britannique très prolifique. Et on peut le créditer d’un certain savoir-faire pour nous raconter une histoire. C’est long, dense et totalement immersif. Replonger tous les soirs après le bureau dans le Londres des calèches de l’époque victorienne m’a procuré beaucoup de plaisir.
Formidable reportage du Figaro Magazine qui raconte un événement futile de quelques pieds nickelés en haut-de-forme. Sur les traces d’Arsène Lupin, l’anarchiste de droite Sylvain Tesson et quelques potes ont entrepris de gravir l’aiguille creuse d’Etretat. Tout cela en tenue vestimentaire de la fin de siècle… Mais pourquoi donc ? diront les pisse-vinaigres raisonneurs de notre siècle. Tout simplement, parce qu’un vieux topo d’escalade relatait qu’une cordée de l’armée allemande avait gravi l’aiguille en 1942. Un événement fâcheux, car « si personne ne l’a reprise depuis, elle est peut-être encore sous domination du Reich »…
L’humour en bandoulière, Tesson & co ont réussi l’ascension pour hisser là-haut le drapeau tricolore. Mais la pochade ne s’arrêta pas là. Ils ont posé là-haut une plaque citant Arsène Lupin et lancé un appel du haut de l’aiguille. Un petit bijou d’intelligence qui dénonce les bêtises et jérémiades d’une société engluée dans le covid. Savoureux et décalé. De l’humour comme je l’aime…
L’amoureux des mots que je suis, ne peut que vibrer à ce petit film où le mot « confinement », mot oublié du dictionnaire, se glorifie tout d’un coup devant son nouveau succès… C’est brillant, subtil et plein d’humour. Karim Duval manie, il est vrai, un humour ciselé comme de la dentelle. C’est beau l’intelligence et la subtilité….
En amour, la guerre ne fait pas de quartiers… Telle pourrait être la conclusion des « Apparences », film dont le nom dévoile déjà un peu le jeu d’ombres et de lumières auquel on va assister. Un récit dans une ville étrangère peu connue, une caméra qui se donne des airs hitchcockiens dès le début avec une Karin Viard qui monte des marches en proie à une indéfinissable tension, des petits détails troublants qui émaillent la montée du doute…
Nous sommes au coeur d’un adultère comme il en existe beaucoup. Mais celui-là ne peut bien se terminer car il s’oppose trop à l’image de bonheur sur papier glacé que donne ce couple pour la galerie des mélomanes de la musique classique ( lui est chef d’orchestre ) et de la petite communauté cancanière des expatriés français dans la ville de Vienne.
C’est un reportage édifiant… On savait que le distributeur, devenu un champion de la logistique, avait des velléités de super-puissance, voire de monopole. Le parcours météorique de son cours de bourse semble d’ailleurs traduire la chose : les investisseurs ont les yeux de Chimène pour une société qui leur promet de sur-dominer le commerce mondial et d’écraser toute forme de concurrence
Ce reportage passionnant donne une vision réfrigérante de la chose. C’est à voir, pour ouvrir la réflexion, nourrir le débat et montrer les conséquences de notre consumérisme débridé qui refuse de voir des facteurs moraux dans l’émergence d’un géant menaçant le jeu de la concurrence. La concurrence est pourtant la base de notre système capitaliste.
Pour ma part, je n’ai jamais commandé sur Amazon. Au vu de ce reportage, je ne peux que m’en féliciter.
Après le littéraire « Mademoiselle de Joncquieres », le très sensible Emmanuel Mouret continue à explorer les rives de la relation amoureuse, et notamment ce petit territoire bavard qu’est le marivaudage, autrement dit, tout ce que le désir et l’amour suscitent chez l’être humain dans la parole et l’échange. Une fois de plus, c’est un langage très écrit, très dense, pétillant d’intelligence, et sans doute moins naturel de nos jours qu’au temps de l’amour courtois. Mais, une fois la chose acceptée, comment ne pas se laisser emporter par ces récits amoureux que deux étrangers se font l’un à l’autre, dans un relâchement total de toute pudeur et distanciation ? C’est subtil et d’un naturel totalement confondant au point que le spectateur se laisse happer dans une douce complicité avec ces personnages pour rentrer dans leur intimité et se laisser balloter à leur suite dans les tourments de l’amour partagé-non-partagé-trompé-oublié-renaissant. J’ai personnellement adoré…
C’est le roman le plus personnel du prince de l’image aux yeux bleus dont le récent décès nous a tous laissés orphelins de son intelligence, de son élégance, de son humour et d’une certaine forme de fulgurance d’esprit « à la française »… Il y raconte avec sa verve habituelle sa propre famille, aristocrates de pères en fils depuis la fin des temps, qui va connaître sa chute au milieu du XXème siècle. Grandeur et décadence d’une famille à qui souriait la vie, et qui se laissait vivre de manière monolithiquement oisive. Jusqu’à ce que l’émergence de la République, les guerres, la modernité triomphante, les changements de moeurs, le droit civil, les combats politiques et enfin la disparition de Dieu fassent voler en éclat une entité collective pour la ramener à des individus luttant pour leur propre survie.
Un livre ethnologique en premier lieu, qui surprend le lecteur dans de multiples aspects. Le livre se veut familial, mais le narrateur, né d’un père mort à la guerre en 1917, est plus âgé de 15 ans que notre cher académicien. Le livre ne contient quasiment aucun dialogue ; il n’est guère autocentré sur ce narrateur dont on ne sait quasiment rien. On ne découvre qu’aux deux tiers de l’ouvrage qu’il s’appelle « Jean ». Et tout ce qui concerne sa vie, est quasiment occulté. Est-ce de la pudeur ? Ou de la distanciation ?
Cela date déjà de 1998. Plus de 20 ans, mais toujours étonnamment moderne… L’album de Manau « La Tribu de Dana » est entré dans l’histoire de la musique. Un album qui garde sa fraîcheur, son inventivité, son rythme celte, et aussi par dessus tout, ses paroles envoûtantes…
Normal, direz-vous, c’est le propre d’un groupe de Rap que de se distinguer par ses paroles. Peut-être… Mais Manau va plus loin. Ce groupe, incarné surtout par son leader Martial Tricoche, auteur des principales chansons, a des textes qui en font un groupe à part. La puissance du verbe est telle qu’on est proche d’un Brel, d’un Brassens, d’un Ferrat, le rythme et la douce folie en plus.
Que ferions-nous si nous avions la possibilité de reprendre notre vie d’adulte à zéro, revenir à nos vingt ans ? Referions-nous les mêmes choix ? A cette question, Marilyse Trecourt, auteur prolixe dans le registre « feel good » s’efforce de répondre avec un roman d’anticipation, « Le bonheur est un papillon ». Sympathique et bien léché. L’auteur que je ne connaissais pas a une superbe capacité à croquer la vie dans les menus détails du quotidien. Elle sait raconter une histoire, nous associer au destin de ses personnages et nous embarquer dans une aventure peu banale, (re)vivre dans un deuxième monde parallèle, avec la possibilité de revenir dans le monde d’origine. Pourquoi pas après tout ? On sent que l’auteur a profité de ce scénario pour reprendre les rails semble-t-il communs à ses nombreux ouvrages, à savoir donner, l’air de rien, des conseils de vie, mettre le lecteur dans un petit cocon ouaté où il se sentira bien. Un livre qui dans son titre comprend le mot « bonheur » a nécessairement de grandes ambitions.
Autant l’avouer, je n’ai guère été emballé par cette lecture qui a été rendue possible grâce à Babelio. Je ne veux pas dire du mal de ce livre qui est d’une grande fraîcheur, avec une dose de naïveté qui lui donne un goût particulier. Cette littérature a assurément…
C’est toujours un exercice fascinant de voir un ami se lancer dans l’aventure d’écrire un livre. Au delà de la personnalité que l’on connaît, on y découvre une autre facette de lui, plus artistique, plus sensible. L’ouverture sur le monde de l’imaginaire déplace les frontières. Les mots qui s’articulent dans un long et sinueux cortège plein de sens, retracent au pointillé les traits de celui qu’on croyait bien connaître. L’image bouge; l’esprit se dévoile; les idées fausses sautent joyeusement de leur coquille…Un homme ne se limite jamais à l’idée qu’on s’en fait.
Fort de cette belle perspective, je me suis attelé à lire « la Mémoire en héritage ». Pour son premier roman, Florent de Cournuaud s’est attaqué à un sujet précieux au quinquagénaire que je suis : la transmission, le passage du relais générationnel, pour perpétuer un souvenir, une mémoire, une entreprise. Honorer les anciens, reconnaître leur apport à notre bien-être du moment, réaliser que nous sommes les maillons d’une chaîne qui nous engage.
« L’homme de Kiev » est une lecture indispensable. Un peu comme « Si c’est un homme » de Primo Levi. Un livre qui traite de l’anti-sémitisme dans la Russie du dernier tsar. Un mal qui était bien enraciné, bien avant l’émergence du nazisme…
Je suis totalement fasciné par le maintien de forts courants anti-sémites dans notre société. On continue à stigmatiser les juifs pour avoir tué Jésus, alors que le christianisme s’étiole dans nos sociétés occidentales. Le mal est ancien, il fait surface au moindre prétexte, et le conflit libano-palestinien n’est souvent qu’un prétexte pour faire ressortir la pieuvre de sa boite. Quel acharnement contre ce peuple !
« L’homme de Kiev », écrit par un auteur juif américain dans les années 60, est un livre coup-de-poing sur ce mal endémique qui était déjà virulent dans les années 1910. Les juifs étaient des boucs-émissaires faciles face aux échecs de la politique tsariste.
« Les Refuges » : ce polar très réussi m’a fait penser à ces poupées russes qui s’emboitent les unes dans les autres, au point qu’on ne sait jamais si on a atteint la dernière. « Les refuges » participent de la même expérience, un récit qui s’imbrique dans un autre, lui-même qui devient le réceptacle d’une autre vision de l’affaire, et ainsi de suite, jusqu’au dénouement final qui prend une hauteur inattendue. C’est puissant, sophistiqué, très travaillé l’air de rien, en un mot, un roman qui surprend, captive et parfois indispose. Une belle réussite…
Comment en dire plus sans altérer le plaisir du lecteur ?
Cette fille a marqué de sa causticité tous les médias. Elle est unique sur scène, et pratique un humour décapant. J’en suis fan sur « Rires et Chansons ». Mais en dehors de ce canal, j’avoue que je ne la connaissais guère. Jusqu’à ce que Canal + me permette par son option « vidéo à la demande » de voir son dernier spectacle « Bonne Nuit Blanche ». Je suis resté totalement scotché !…
Comment fait-elle ? Blanche Gardin nous raconte sa vie durant 80 minutes de manière détachée, comme un récit au café du comptoir. Spontanéité ou écriture très travaillée ? Difficile de trancher… Il n’en reste pas moins qu’elle capte son auditoire dès la première seconde pour ne pas le lâcher jusqu’à la fin. Un show de très grande classe.
L’adolescence et les premiers émois amoureux sont une veine inépuisable pour la littérature et le cinéma. Le coeur qui bat pour la première fois, on n’a jamais connu mieux. C’est un tremblement de terre qui bouleverse la moindre de nos cellules. Un coeur qui sort au forceps de la léthargie de l’enfance pour accoucher du plus beau des sentiments. Un arc-en-ciel émotif qui nous révèle subitement toutes les couleurs de la palette de la vie. Un moment merveilleux ! Toute la suite n’est qu’une vaine tentative de reproduire l’émotion de la première fois, une course après l’éclat et l’irradiation que cela a laissé dans notre coeur.
Ce livre fut pour moi l’occasion de découvrir Graham Greene, cet écrivain anglais francophile, ayant été espion dans ses jeunes années. « Un américain bien tranquille » a capté mon attention par ce choix de raconter l’Indochine des années de guerre. On parle si peu de cette période, en dehors du désastre de Dien Bien Phu.
Le roman est très déroutant. Si l’auteur arrive à camper merveilleusement bien le contexte historique et l’ambiance d’un pays qui se désagrège lentement sous les effets de la guerre civile, la trame de l’histoire est futile, voire anecdotique. Deux étrangers, Fowler, un reporter anglais cynique et désabusé et Pyle, un espion américain plein d’illusions, se disputent les faveurs d’une femme indochinoise Phuong, d’une grande beauté, mais personnage un peu falot qui semble ne chercher que le confort de vie qu’offre la compagnie d’un occidental. Une femme désirable qui offre du plaisir et sait bien préparer les pipes d’opium avec lesquels Fowler aime s’enfoncer dans les paradis artificiels. Des évasions virtuelles pour ne pas avoir à envisager un retour au pays auquel l’anglais ne peut se résoudre.
Christophe est mort comme il a vécu. Dans la discrétion… En plein confinement, touché par le virus qui fait peur… Victime connue d’un mal qui aura fait tomber célébrités comme anonymes. Le dandy aux longs cheveux qui aura gardé jusqu’à la mort une belle gueule de séducteur est parti dans l’indifférence. On ne peut s’empêcher de ressentir une impression d’injustice.
Je me souviens le jour de sa mort avoir voulu écouter sur Spotify quelques-uns de ses succès. Ce n’est plus le cas, aujourd’hui avec l’émotion suscitée par sa mort chez quelques fans, mais en tapant ce jour-là « Christophe » dans le moteur de recherche, c’était Christophe Mae qui était spontanément proposé, et il fallait un peu d’insistance pour tomber sur le bon. Comment mieux symboliser l’oubli dans lequel était tombé l’auteur des « Mots bleus », « Aline » et des « Marionnettes » !
L’or brille à nouveau… Les fonds aurifères ont gagné +40% depuis le 1er avril. Le placement détesté de Warren Buffet revient dans les rayons du supermarché « Finance ». Retour de la relique barbare…
Un gérant aurifère me racontait, il y a quelques années, que l’ensemble de l’or extrait depuis l’origine des temps, s’il devait être fondu en un seul lingot, représenterait un cube de vingt-sept mètres de côté. Réalité ou mythe, peu importe ! L’image était belle pour symboliser le caractère fini du placement. Le même potentiel pénurique que le bitcoin, mais avec, en plus, toute l’histoire affective de l’humanité qui a toujours adoré la vieille relique, de Cléopâtre aux prospecteurs du Klondike.