Quel beau conteur que ce Lemaître ! J’avais adoré « Au revoir là-haut ». Sa suite « les Couleurs de l’incendie » reprend les mêmes personnages, sur la même trame. Celle de la vengeance… « Au revoir là haut » était une géniale opération de rancoeur recuite d’un soldat défiguré à la guerre pour se venger d’une société belliciste. « Les Couleurs de l’incendie » nous raconte les péripéties de sa soeur Madeleine soumise à une bande de hyènes qui la spolie de son héritage. Mais on ne s’attaque pas impunément à un rejeton de la famille Pericourt, et la vengeance sera terrible.
Depuis toujours, les lecteurs adorent les histoires de vengeance. Le rebond des victimes et le châtiment des injustes est un ressort sans fin de la littérature. Ici l’histoire vous happe d’autant plus facilement que la victime est une femme éduquée pour jouer les faire-valoir, une femme qui fait confiance, après avoir perdu son mari ( en prison ) et son père ( décédé ), une femme qui, comme beaucoup à son époque, se cantonne à être une mère, et à jouer les utilités pour le reste. Son fils est handicapé et elle se trouve quasiment sans le sou. Comment ce Monte Cristo au féminin va-t-elle se dépasser pour attaquer ses adversaires sur leur propre terrain ?
A la base de cette histoire jubilatoire, Maître Lemaître nous plonge dans les années 30 avec la maestria qui le caractérise. Tout est historiquement bien campé, s’appuie sur un gros travail de recherche, et donne au récit un goût d’authenticité qui emporte l’adhésion du lecteur. Lire du Lemaître, c’est à coup sûr prendre du plaisir. Comme siroter une fine Champagne devant un feu de cheminée !
L’imagination de l’auteur est fertile. Il crée des personnages secondaires déroutants qui nous emportent sur des sentiers inattendus. La grande bourgeoise déchue pactise avec le sous-prolétariat pour fomenter son coup. L’intrigue captive et surprend. L’écriture est délicate, précise et percutante. Le roman est tout simplement excellent. Nul doute qu’il aurait aussi gagné le Goncourt si le jury ne souhaitait pas bégayer dans ses jugements.
Il faut lire, en particulier, les remerciements finaux. Ils en disent beaucoup sur le gros travail qui précède un livre de cette qualité. Oui assurément l’écriture est une grâce. Mais c’est aussi un travail laborieux pour donner du corps au récit. Un écrivain n’est pas juste un magicien du style. Instructif !