Visiter le siège parisien de Facebook est un rêve de geek. Une proposition qui ne se refuse pas… Dans la belle course à l’échalote qu’est devenu le monde contemporain, il est urgent de rester dans le coup. Suivre l’accélération brutale du monde et continuer à communiquer avec les jeunes accros au monde digital. Sinon c’est le déclassement, l’inadaptation et le rejet. Pas vraiment acceptable pour un quinquagénaire encore dans la force de l’âge.
Facebook n’a pas encore quinze ans, mais c’est déjà une institution. Un des architectes du monde de demain. Un des quatre GAFA comme on dit dans le monde journalistique friand de ces acronymes qui donnent une illusion de maîtrise. Chez eux comme partout ailleurs, on cherche, d’une façon ou d’une autre, à accrocher son wagon au monde digital.
C’est un privilège de voir de l’intérieur la société qui ne commercialise rien, sinon une part de votre cerveau. A nous, à vous et à moi puisque je me suis mis comme 2.300.000.000 de personnes dans le monde à utiliser cette messagerie universelle. L’expression même de la mondialisation effrénée qui nivelle les différences pour faire de vous un être humain de la planète terre avant d’être français, australien ou pakistanais. Mais un utilisateur heureux car je n’en vois qu’un bout, à savoir le plaisir de rester en contact avec ma tribu.
La visite du site est en tout point conforme à la légende : des grands espaces ouverts, des sofas comme à la maison…
des murs tagés, des salariés qui jouent sur une console, des distributeurs automatiques de souris, claviers et autres gadgets informatiques…
Une cantine in-house pour ne pas avoir à mettre le nez dehors
Seule concession de Facebook à la francitude : la voiture iconique qui accueille le visiteur n’est pas une Chevrolet comme aux Etats Unis, mais une belle Citroën DS aux fauteuils de velours rouge…
Rien ne surprend… On est en territoire connu. La légende de Facebook nous a précédés, avec le film « The Social Network » qui avait marqué les esprits ( j’ai revu ma critique sur Allo-Ciné, je l’avais mal noté, mais c’était avant que je devienne membre bienheureux de la communauté).
Notre hôte nous raconte la légende de Mark Zuckerberg. L’anecdote qui frappe est la grosse enseigne du siège américain : côté pile, le panneau Facebook en bleu et blanc, côté face le sigle de l’ancien occupant des lieux, Sun Micro Systems, boite autrefois leader et disparue depuis… Au salarié du lieu est ainsi rappelé le caractère éphémère de la vie professionnelle et le besoin de rester sous tension pour ne pas disparaître. Mais tout cela n’est-il pas un peu du folklore ? Toute la présentation tend, en effet, à montrer que Facebook compte bien rester là encore dans mille ans.
Les slogans s’enchaînent avec un cas pratique à chaque fois : Focus on Impact, be bold, be open… L’université Facebook prend chaque visiteur dans son cursus. Nous voilà tous éclairés de « l’évangile selon Mark », une profession de foi dans l’avenir qui ne laisse la place à aucun état d’âme. Beaucoup d’entre nous posent des questions sur la morale, l’éthique et les libertés individuelles. Mais c’est sans sujet pour les adorateurs du pouce. Facebook ne s’intéresse pas à l’individu, mais au groupe. Il communiquera à des annonceurs publicitaires vos goûts et vos centres d’intérêt, mais seulement dilués dans un groupe partageant les mêmes passions. En revanche, il sait tellement de choses sur nous qu’il peut offrir une communication ciblée, par exemple les femmes enceintes des Yvelines passionnées de polars. On imagine ce qu’une librairie de Versailles serait prête à payer pour toucher un public aussi captif.
Mais le meilleur est à venir. Avec le travail sur les images opéré par les huit mille ingénieurs de Facebook. L’intelligence artificielle va tout changer. L’ordinateur apprend déjà à lire des photos pour décrire précisément ce qui se passe sur les photos d’Instagram ( filiale de Facebook ). Et bientôt ce sera la réalité virtuelle qui sera à nos portes. Avec ce plaisir immense de voir un objet à l’écran, cliquer dessus et accéder immédiatement à un site marchand permettant de l’acheter.
Que retenir de tout cela ? Facebook est un rouleau compresseur qui donne accès à notre cerveau, d’autant plus facilement que nous lui ouvrons tout grand le portail. Nous sommes devenus des produits à part entière. L’histoire du pouce levé est donc loin d’être terminée. Assurément une bonne affaire pour les intérêts américains. Quant à savoir si tout cela est favorable à la diversité qui fait la richesse de nos sociétés, je n’en suis pas si sûr. Les êtres humains aiment à garder une part de mystère, un jardin intime où ils cultivent leurs différences, leurs doutes, leurs contradictions, leurs obsessions. Facebook retourne toute la terre de ces jardins pour la dévoiler au monde. On ne mesure pas encore bien tout ce que cela va nous apporter. Mais sans doute pas que du bon….