« Boites de conserve » : triste reflet de l’époque

Un livre référence sur un phénomène de société : les sites de rencontre. Arnaud Poissonnier que j’ai été amené à rencontrer dans ma vie professionnelle, m’a donné envie de lire son livre « Boites de conserve » sur un sujet majeur : comment rencontrer l’amour ? Les nouveaux outils digitaux facilitent-ils la chose ? Pourquoi les sites de rencontres suscitent beaucoup de défiance ?…

Nous voici embarqués dans le quotidien des célibataires en quête de l’âme soeur et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas un voyage tranquille. Face à l’idée simple d’avoir un ( grand ) choix grâce à la technologie, l’usage n’est pas simple et provoque des déviances. Arnaud les explore dans le détail, en partant au départ de sa déception d’utilisateur n’ayant connu que des déconvenues. Très vite, le livre devient une attaque en règle contre les sites qui jouent un jeu malsain, entre l’intérêt économique de garder des clients et l’objectif annoncé de « placer » ses clients et donc de les perdre. L’auteur a bien approfondi son sujet, et ses commentaires sont pleins de sel. Les nombreux témoignages apportent du vécu, et viennent compléter habilement la démonstration. On s’amuse ou on s’effraie devant cette condition humaine se débattant dans son bocal. Les déviances sur l’addiction que cela provoque, ou sur le manque de self-estime que les nombreux rejets occasionnent, sont instructives et attristantes. Ce « jeu » laisse beaucoup de personnes sur le carreau, notamment ( mais pas uniquement ) des femmes qui poursuivent souvent des objectifs plus long terme que des hommes en situation de chasse et de conquêtes d’un soir. Et puis, la malveillance, la mauvaise éducation, la violence parfois s’ajoutent au débat, ce qui peut vite tourner au cauchemar. Comment en est-on arrivé là ?

Arnaud est très pertinent dans ses attaques, les sites étant si peu transparents. Il fait un formidable travail d’information et décortique les tenants et aboutissants de cette « industrie » sur un ton décapant et enlevé. On frissonne à quelques passages qui traduisent la bassesse de la condition humaine, et de certain(e)s de ses représentant(e)s. C’est assez déprimant, même si la lecture est hautement utile. Parfois, on se sent heureux de ne pas être dans la cible. On aurait aimé, quand même, pour balancer le discours, avoir quelques illustrations de rencontres réussies, pour montrer que tout n’est pas totalement noir. Après tout, de nombreux couples dans nos entourages sont issus de ces sites. « 5% » de taux de réussite, nous répond Arnaud tristement…

Au final, Arnaud ne se contente pas de critiquer. Il fait de nombreuses propositions pour améliorer les retours d’expérience. Il en appelle au pouvoirs publics pour réglementer une profession de cow-boys. C’est précieux et marqué du coin du bon sens. Le célibat subi qui a toujours existé, mais qui est plus mal vécu aujourd’hui, est, il est vrai, néfaste à l’harmonie de notre société et à son développement, et pas seulement sur le plan démographique. Il y a une oeuvre de salut public dans cette mission de se faire rencontrer les deux sexes.

Fort bien… Hélas, une fois de plus, on incite un Etat omnipotent à rentrer dans la vie privée des gens, et à réglementer davantage, dans un pays déjà corseté par son administration. Oui, mais c’est cette fois pour la bonne cause !… Sans doute… Mais ne serait-il pas plus efficace d’apprendre à l’école, dès le plus jeune âge, le respect de l’autre, la bienveillance, la volonté de ne pas blesser pour éviter ces comportements déviants qui font de la fréquentation de ces sites parfois un enfer ? La recherche amoureuse ne déroge pas de toutes les inter-relations sociales de la vie où nous pêchons par un égo démesuré, une vanité débordante et un besoin d’instaurer un rapport de force. Reprenons la formation de nos enfants. Ils seront plus équilibrés, devenus adultes, pour trouver l’âme soeur. Un veux pieux ? Oui probablement…. Alors dans un monde imparfait, mieux vaut avoir les yeux ouverts et lire « Boites de conserves ». Vous y apprendrez beaucoup sur nos congénères.

Une nuit noir d’encre

En 2012, quand j’ai lu ce livre la première fois, j’ai reçu une claque comme jamais. Hélas, je ne connaissais pas Babelio et n’ai pu coucher sur le site mes émotions pour les revivre occasionnellement lors d’une relecture de « ma critique » ( si tant est qu’on puisse critiquer un tel témoignage ). Aussi, en redécouvrant le livre dans ma bibliothèque, j’ai replongé… Comme dans un bain d’eau froide. Les sens en éveil. L’épiderme en chair de poule. La curiosité exacerbée. L’envie d’en découdre avec le souvenir d’un grand roman, un des meilleurs de ces dernières années. La re-lecture allait-elle délivrer les mêmes palpitations, sans l’effet de surprise de la découverte ?

Bingo… Je l’ai dévoré, alors que je suis actuellement un peu en manque de concentration et que d’autres livres me prennent plusieurs semaines pour les achever. Cette « nuit » est tellement immersive qu’elle vous capture totalement, pleinement, intensément. Delphine raconte sa famille avec chaleur, empathie, et aussi surtout un tact infini. Cette famille est réjouissante dans toutes ses outrances. Les deux ancêtres enchaînent les naissances avec désinvolture pour construire une famille multicolore dans ses sensibilités. Avec le reflet d’une époque d’après-guerre où une solidarité franche et entière était de mise. le récit est enjoué et provoque une forte identification du lecteur. Surtout qu’il apparaît vite que l’objet est de rendre hommage à Lucile, une des membres de la fratrie et mère de l’auteur. Parler avec émotion de sa mère qui a eu un triste destin, voilà bien la plus belle des motivations pour écrire un livre. J’aurais adoré en faire autant…

J’ai retrouvé très vite ce qui m’avait plu, il y a dix ans. Cette élégance infinie à décrire l’intime, cette retenue à explorer un passé lointain et douloureux, cette réticence à montrer son linge sale au public. Quelle écriture finement ciselée !… Les traumatismes sont juste effleurés, mais ils innervent tout le récit d’un poison émotionnel qui se diffuse insidieusement. Delphine lutte pour explorer les faces sombres de sa famille et rendre grâce, de manière lumineuse, au souvenir d’une mère. Une mère qui a chaviré, sombré, avant de se remettre à flot pour une fin de vie terne et triste. Toute cette famille donne l’impression d’avoir échappé à un naufrage dont on ne mesure gère l’intensité. Les survivants font plus ou moins bloc, et essayent d’oublier les absents, les morts, les suicidés.

Il est impossible d’en dire plus sans divulguer la trame. C’est une histoire qui se lit en silence, l’attention captive et la rate au court-bouillon. Quand en plus cette famille dysfonctionnelle trouve une résonance dans votre propre histoire personnelle, l’émotion est à son comble. Voilà pourquoi je classe ce roman tout en haut. Toujours au sommet de mes plus grandes émotions. Et une troisième lecture n’en changera rien…

Loi Duplomb : la tentation de la facilité

Je suis en colère… Les Français sont une fois de plus adeptes des solutions faciles avec cette mobilisation générale contre la Loi Duplomb. Une approche angélique des problèmes qui ne cherche pas à analyser le problème froidement pour trouver une solution médiane. Non, l’idée est de tuer un produit suspect, quels que soient les effets délétères que cela peut avoir sur le plan économique. L’industrie et le progrès sont nécessairement les artisans d’un monde malfaisant qui ne vise qu’à sacrifier le bien-être de l’humanité au service d’intérêts particuliers. En d’autres termes, tous pourris, surtout dans la chimie. Tuons tous ces industriels et ces paysans dévoyés… Une nouvelle manifestation, s’il en était besoin, de la disparition du mot « nuance » au pays de la « révolution ».

Analysons la question calmement. Pourquoi des politiques prendraient-ils le risque de s’opposer à la vox populi, en réintroduisant en France un produit qui reste accepté par l’ensemble des 26 pays d’Europe ? Sont-ils fous, voire suicidaires au pays des coupeurs de têtes ? Ou ont-ils simplement pondéré ces risques politiques au regard de l’intérêt pour la nation, et notamment notre agriculture très handicapée dans la lutte qu’elle mène contre ses concurrents étrangers. ?

Ces politiques ont du courage. Ce ne sont pas des jouets entre les mains de lobbies. Des hommes et femmes qui veulent rétablir un certain équilibre pour que la France reste dans la course.

Avez-vous remarqué dans les supermarchés ou même dans les marchés de nos villages l’origine des légumes et des fruits qui nous sont vendus ? Ce sont maintenant essentiellement des produits étrangers. Des tomates espagnoles, des abricots italiens, des cerises belges, des pêches portugaises, du jambon allemand ou espagnol… Tout est à l’avenant. Notre agriculture, autrefois la force de la France, est à la dérive, ce qui est stupéfiant dans un pays au climat tempéré qui ne souffre pas trop de déficits hydriques. Alors pourquoi cette perte de compétitivité ? Posons-nous cette bonne question avant de jeter l’anathème à nouveau sur nos paysans…

C’est souvent la conséquence de nos réglementations stupides qui alourdissent le compte d’exploitation de nos agriculteurs. Des coûts qu’ils ne peuvent répercuter, sous la pression des centrales d’achat des grands distributeurs. C’est une lente glissade pour tous ceux qui ont la lourde mission de nous nourrir, et qui finissent pour beaucoup à attenter à leurs jours. Ou simplement à tout abandonner rendant leurs terres à la friche.

Face à cela, nous pourrions être solidaires, en acceptant de payer plus chers nos fruits et légumes, voire notre charcuterie, qui bénéficient d’une haute protection environnementale et gustative. Que nenni !… En dehors de la louable initiative de la marque « C’est qui le patron » qui a trouvé quelques soutiens ( votre serviteur en premier lieu ), les Français continuent à faire leurs emplettes « au prix le plus bas », soit essentiellement avec des produits venant au-delà de nos frontières.

Dans ce contexte, il faudrait réfléchir à deux fois avant de fixer de nouveaux poids aux pieds des forces vives de notre pays. Déjà en 2001, nous avons pris des décisions funestes avec les 35 h. Une superbe avancée sociale, tellement bonne qu’elle n’a été suivie par aucun autre pays d’Europe. Bilan : après 25 ans, notre industrie est au tapis. Le nombre de voitures produites en France est passé de 4 millions en 2001 à 1,8 millions en 25 ans. Regardez la marque de la voiture dans votre garage, elle a peu de chance d’être française, et si elle l’est, cette voiture a été fabriquée, une fois sur deux, à l’étranger… C’est une casse sociale terrible dont nous subissons les conséquences chaque jour avec un mal-être croissant de notre population. Voulons-nous la même chose pour notre agriculture ?

Etre adepte de la Loi Duplomb, ce n’est pas donner un blanc-seing aux neonicotinoïdes en général. C’est juste considérer que ce produit, jugé comme « safe » par l’agence sanitaire européenne et utilisé sans états d’âmes par tous nos voisins, est un moindre mal, avant de lui trouver un substitut. Une démarche raisonnable. Plus en tout cas que de l’interdire, de pénaliser nos agriculteurs et d’importer massivement des produits étrangers qui auront été produits avec son aide.

Défendre des intérêts économiques, c’est aussi défendre la collectivité. Arrêtons de penser que conduire nos paysans à la faillite n’aura pas de conséquences sociales et humanitaires à la même hauteur que tous les scénarios catastrophes que nous brodent nos écolos, une fois de plus, très anxiogènes.

Pour ma part, j’en ai marre de ces Français arrogants qui estiment en savoir toujours davantage sur toutes ces questions sociétales que nos voisins. La France n’est plus le phare de l’occident, ne vous en déplaise. C’est un pays malade qui fait rire ses voisins ou inspire leur pitié, à l’image des Suisses très ironiques sur notre société en crise.

Nous allons tout droit vers le dépôt de bilan. Je vous jure que ce jour-là, la question des neonicotinoïdes vous paraîtra quantité négligeable. Mais ce sera alors trop tard… Essayons d’éviter la chose et de sauver ce qui peut l’être…

« Tata », roman un peu « too much »…

Ce roman m’a passablement indisposé, et j’ai mis donc trois mois pour le finir. Valérie Perrin est pourtant une romancière géniale. J’ai adoré « Changer l’eau des fleurs » et aimé « Trois ». Hélas, dans ce livre « Tata », elle pousse le bouchon un peu loin. 

Expliquons-nous : la signature de Valerie Perrin est un style foisonnant, à la « Claude Lelouch », son compagnon dans la vie. Un style chargé de détails qui donne à ses personnages une densité impressionnante. Ils vivent sous nos yeux, avec leurs pensées, leur passé, leurs sentiments. C’est de la littérature immersive qui vous happe dans un récit proche de la vie. Cela peut être génial, mais comme Lelouch dans ses derniers films, il y a risque d’overdose quand cela prend une dimension trop forte. 

Valerie Perrin est adepte du récit déstructuré, avec des flash-backs incessants. Il faut être très concentré pour cerner vite de quoi, de qui, de quand on parle. Dans « Trois », j’avais déjà évoqué cette impression de voir un kaléidoscope d’images tourbillonnantes pour saisir, à certains moments, quand le cerveau s’ajuste, un morceau de vie. Dans « Tata », la lumière s’apparente davantage à un stroboscope de boite de nuit, des flashs incessants qui figent le récit, pour passer immédiatement à autre chose. Une décomposition de l’intrigue qui vire à l’exercice de style, et devient indigeste. C’est triste, car l’auteur a un talent fou. Elle sait tricoter une histoire et s’appuie sans doute sur des expériences personnelles qui donnent une folle authenticité au récit.

Autre faux pas à mes yeux, « Tata » flirte à nouveau comme dans « Trois » avec le politiquement correct, les états d’âme consensuels, les faits de société un peu parachutés dans l’intrigue qui n’ont d’autres buts que d’être complaisants avec les lecteurs. Cette fois-ci, c’est le drame des victimes d’agressions sexuelles qui est ajouté au scénario, comme si ces passages compatissants étaient des étapes nécessaires pour se faire aimer et provoquer l’adhésion. Mais Valérie n’a pas besoin de ces grosses ficelles pour être aimée…

Le scénario de « Tata » est tarabiscoté, mais il soutient l’attention jusqu’au bout. L’auteur est une sacrée interprète de la vie des petites gens, ici dans une petite ville de Bourgogne. Des passages sont vraiment lumineux… Mais davantage de simplicité ne nuirait pas. Un récit court, musclé, condensé, et sans fioritures sociétales, tel est l’exercice d’atelier d’écriture que je suggérerais pour le prochain roman. Avec bienveillance et respect, pour retrouver simplement les émotions qui ont été les miennes à la lecture de la vie de Violette ( « Changer l’eau des fleurs » ).

Rapaces, bon shoot d’angoisse

C’est toujours attractif de voir des faits de société sous un angle nouveau. « Rapaces » innove en mettant en avant la presse de caniveau, du style « Détective » qui se repaît des faits divers avec un sensationnalisme poussé jusqu’à l’écoeurement. Des journalistes mal-aimés donc qui disent pratiquer « un journalisme d’investigation », tout en subissant le diktat nauséeux de leur comité de rédaction.

Samuel ( très bon Sami Bouajila ) a une haute idée de son métier, et quand il enquête, c’est en complément de la Police. Il veut faire avancer la vérité… Dans un crime abject qui semble être le fait de plusieurs personnes, il a l’imprudence d’associer sa fille Ava ( parfaite Mallory Wannecque ) en stage au sein de son journal. L’enquête avance donc dans la direction d’un crime passé qui présente des similitudes avec le dernier meurtre.

« Rapaces » est assurément un film d’atmosphère. Il distille lentement une tension croissante à partir d’images de campagne, porteuses d’une sourde menace, tel qu’on peut le ressentir dans des régions américaines reculées. Sauf que l’action se passe là dans un village du Nord de chez nous, avec un indicateur d’anxiété croissante représentée par les aiguilles d’une radio CB, de plus en plus dans le rouge au fur et à mesure que l’ennemi est proche. La tension explose tout d’un coup pour atteindre un paroxysme total dans un lieu public. N’en disons pas plus…

Le suspens est très fort, et cela faisait longtemps que je n’avais pas connu dans un film français une telle anxiété. C’est une vraie réussite de vibrer à ce point autour d’images, comme autrefois avec « le salaire de la peur ». Hélas, l’intrigue retombe vite, trop vite… On aurait aimé un dénouement se prolongeant un peu pour continuer à suer sur son fauteuil. En tout cas, « Rapaces » renouvèle bien un genre qu’on ne voit plus guère sur nos écrans. Rien que pour cela, il mérite le détour…

Apophtegme

L’amoureux des belles lettres que je suis, aime défendre des mots oubliés. Mais parfois, c’est un combat perdu d’avance…. Apophtegme, pour désigner une maxime de vie qu’on peut tirer d’un bon mot ou d’une expérience réussie, est un mot difficile. Presque prétentieux. Et sa prononciation « à coucher dehors » n’aide pas. J’ai bien peur que ce mot tiré des oubliettes de nos usages n’y retourne illico presto pour manque de pragmatisme avec le souci de simplification de notre époque. Aphorisme se substituera à lui, sans prétendre à une meilleure popularité.

Titre abscons con, contenu bien tenu

« J’étais rivé vers l’avant, et j’ai eu besoin de regarder en arrière » dit un jeune personnage du film. C’est l’idée de base de ce film chaleureux sans doute le meilleur film de Cédric Klapisch. Un film touchant qui vous prend aux tripes, au rappel que la France est un arbre aux racines profondes, et que ces racines ont contribué à développer les branches vigoureuses et les feuillages verdoyants dont nous profitons aujourd’hui. Encore faut-il en être conscients, alors que nous nous sommes scotchés à des écrans qui symbolisent l’avenir à nos yeux !…

Un héritage inattendu peut être l’occasion de regarder en arrière, et de faire face au passé. Un passé riche, avec des écrivains et des peintres célèbres qui ont marqué leur époque. Mais aussi des inconnus qui croquent dans l’avenir – leur avenir, notre passé – avec joie et désinvolture. Klapisch juxtapose notre époque un peu speed et superficielle avec la fin du XIXème siècle, lente, arriérée, mais aux passions aussi intenses. La digitalisation des images permet des images stupéfiantes d’un Paris qui n’était alors encore qu’un village.

Pour justifier cette quête d’esthétisme, quoi de mieux qu’une recherche généalogique pour identifier une ancêtre méconnue de ses propres descendants ! Rassembler quatre représentants de branche familiale, aussi dissonants que possible, et le tour est joué. La famille au sens large est un élément très fédérateur de nos contemporains, les liens du sang rapprochent au-delà des postures des uns et des autres. Quand, en plus, cet investissement dans le passé nous fait redécouvrir la trace de nos gloires nationales, le film est sûr de nous toucher au coeur. Il y a là un peu de facilité dans le scénario, mais c’est fait avec tant de finesse et de plaisir que le spectateur se laisse porter, avec un sourire béat.

D’autant que les acteurs sont tous formidables, Suzanne Lindon, en premier lieu qui, avec son timide sourire, rentre parfaitement dans les habits d’une femme du temps passé. Tous les autres sont parfaits, on note des seconds rôles étincelants, notamment Sara Giraudeau, Olivier Gourmet, François Berléand, Philippine Leroy-Beaulieu, on ne peut tous les citer.

Ce film est donc une plongée régénérante dans un siècle passé, sans nostalgie aucune, mais avec l’idée innovante que le passé peut nous aider à mieux vivre notre présent. Un film subtil qui a la griffe de ce que notre pays apporte parfois au cinéma mondial : du plaisir, de la distinction, de l’émotion et de la non-violence….

Un balcon en forêt

Quelle plume !… Ce livre, on me l’avait conseillé depuis longtemps, je l’avais acheté, mais je ne l’ouvrais pas. J’attendais d’être dans de bonnes dispositions pour aborder ce que je pressentais comme une oeuvre majeure. Il faut être, en effet, psychologiquement réceptif face à un roman où il ne se passe presque rien, et qui ligote le lecteur dans des descriptions denses d’une nature brute, avec l’aide d’une avalanche de métaphores.

Bref une écriture très travaillée, pour ainsi dire Proustienne, assez éloignée des attentes de notre époque. Ce n’est pas une lecture instinctive. Le livre se sirote donc par petites lampées qui dégagent une explosion de saveurs; comme pour Proust, on le reprend sans volonté de s’insérer dans l’intrigue, juste pour le plaisir fugace du moment. Ce livre doit être lu avec un stabilo-boss pour noter le choc émotionnel que suscitent quelques passages. Du grand Art !…

La Drôle de Guerre, ce moment où tout un peuple s’est figé dans l’attente d’une attaque qui ne venait pas, est un moment de rupture, d’introspection, de communion avec son environnement. Julien Gracq retranscrit merveilleusement cette attente lourde, où faute d’action, les hommes étaient contraints à observer la forêt, dans leur fortin, derrière leur canon-antichar. Et accessoirement de nouer des amours passagères avec des filles locales. La rencontre avec Mona est une pure merveille à la fin du premier quart du livre. Au bout du chapitre, je l’ai repris immédiatement pour revivre cette émotion forte, tant cette rencontre était finement ciselée. Quel talent !…

Mais le personnage de Grange ne reprend pas goût à ce contact régénérant. Il s’enferme dans le néant d’une attente impossible et arpente la forêt les sens en éveil. Le récit se dilue dans la certitude montante d’un échec annoncé. Hélas, le moral n’était pas du côté de nos armées en ces jours du printemps 1940.

L’événement tant attendu survient en tout fin du récit. Mais tout y est elliptique, et l’ennemi est à peine vu. Après tout, ce n’était pas le plus important… La longue attente et le déclin de la foi au sein d’une armée démotivée sont au coeur du récit. Une façon puissante de comprendre la déroute du pays en quelques jours. Avec un talent littéraire qui fait de Gracq un des plus grands auteurs du XXème siècle.

La cuisine en vedette

La grande cuisine est devenue un fait de société, pour ne pas dire une marotte de nos contemporains biberonnés aux Top-Chefs et autres séries télévisuelles. C’est aussi l’expression d’une spécificité bien française, l’art de mettre la nourriture en farandole gustative, et d’encenser les artisans étoilés qui s’appliquent avec volupté à cet art fugace appelé à émerveiller les sens, avant de disparaître à jamais dans des assiettes avidement saucées.

Les cinéastes ont pris la mesure du phénomène et sortent de plus en plus de films gastronomiques. Quand c’est un cinéaste international au tropisme asiatique, Regis Wargnier qui s’attèle à l’ouvrage, l’exotisme a des chances d’être au rendez-vous. Bingo ! Un grand chef disparaît le jour de l’attribution de sa troisième étoile. Une histoire pour le moins mystérieuse… Avec un long détour en Asie des protagonistes en quête de ce chef disparu.

Plus que le scénario assez convenu, ce qui frappe dans le film est la célébration permanente de la France éternelle : dans les premières images somptueuses tournées dans le Moulin de Rosmadec à Pont-Aven; dans la forêt primaire de Brocéliande pour des scènes de chasse ; dans les cuisines animées d’un grand restaurant attendant le verdict du Michelin ; dans les gestes précis des commis ; dans le même cérémonial teinté de mots français au sein d’un grand restaurant taïwannais ; dans la primauté du français dans beaucoup de scènes en Asie… Par ce film, Wargnier rend grâce superbement à notre art de vivre. Il n’en célèbre pas moins aussi la beauté de Taïwan, ce qui produira, à coup sûr, des envies de voyages.

Pour revenir à l’intrigue, la quête du chef disparu se prolonge. Il semble avoir, ici et là, laissé des traces par des plats qui ont sa griffe. Est-il toujours vivant ? Exerce-t-il toujours derrière ses fourneaux ? Même si le mystère se dénoue rapidement, il rebondit à loisir pour virer à ce qui s’apparente à un mythe. La quintessence de l’esprit français, un chef exceptionnel qui a marqué à jamais son art et qui hante les lieux partout où les papilles sont à la fête. Bel hommage, avec des acteurs magnifiques, en particulier la jeune Julia de Nunez qui est une fille stellaire pour son papa Clovis Cornillac. Du bon cinéma, basique et plaisant…

Go !… Même sans connaître…

Le Joueur de Go est un film à recommander aux amoureux du Japon ( ils sont nombreux ). C’est une superbe carte postale du Japon de l’ère Edo (avant 1868, mais il est difficile de déterminer une date plus précise ). Un samouraï banni vit chichement avec sa fille et s’adonne au jeu de Go qu’il maîtrise parfaitement.

Calme, serein, totalement dans le self-control, avare de mots, une présence totalement magnétique, l’homme attire les regards. Il a un détachement à la Clint Eastwood des westerns spaghettis. Il se promène nonchalamment avec son sabre à la ceinture, et tire une gloire de son honnêteté sans faille. Il s’abstient même de gagner, quand il mesure les effets négatifs que pourrait entraîner sa victoire.

Mais, en même temps, deux événements viennent troubler sa quiétude. Il est soupçonné d’un vol auprès d’un riche marchand chez qui il jouait. Et il apprend que l’homme qui l’a fait bannir de son ancien fief, a violenté feu sa femme et mère de sa fille. Il part donc en « croisade » pour rétablir son honneur sur les deux tableaux. Pour gagner du temps, il donne sa fille en gage au bordel du coin, avec le risque qu’elle devienne pensionnaire de l’établissement, s’il ne revient pas à temps. Une course contre le déshonneur est donc en jeu…

Objectivement, l’histoire laisse le spectateur un peu hermétique. L’intrigue n’est pas le coeur du film. Le coeur est plutôt dans les nombreuses parties de Go qui émaillent le récit, dont le spectateur étranger ne comprend mie, faute de connaître les règles. Alors, on s’attache aux décors épatants, aux seconds plans d’arbres en fleurs, aux expressions puissantes des visages et à l’agitation de ce monde de petites gens qui observent les prestigieux adversaires… Des courses en Geta de bois s’enchaînent dans un déhanchement de pingouins de la banquise, les regards se croisent et se jaugent avec détermination, les jetons sont posés sur l’échiquier comme des coups portés à titre fatal… Le Japonais aux sonorités claquantes ajoute au folklore.

C’est un spectacle tellement extraordinaire qu’il laisse sans voix. Malgré les sous-titres, le spectateur en est réduit à suivre le mouvement sans tout comprendre, pris dans un tourbillon incessant. Cela ne ressemble à rien de ce que nous connaissons et c’est bien cela qui fait toute la saveur du film.

Au final, cette histoire de samouraïs rend ce Japon exotique très désirable. Il donne envie de repartir au pays du Soleil Levant, tellement unique, qu’il ne ressemble à aucun autre. Du cinéma qui fait voyager…..

L’art d’être Français

Il remplit les salles avec six mois d’avance ; ses spectacles s’enchaînent dans des lieux différents, car les théâtres qui ont des programmes très cadencés sont incapables d’offrir les dates supplémentaires que le public réclame. Fabrice Luchini est une star… Un show-man, un esthète de la langue que des foules viennent écouter dans une grande communion fébrile proche de l’adoration.

Pourquoi cette passion ? La réponse est simple. Cet homme a trouvé ce qui fait la quintessence de la France : l’amour de la langue, la soumission à l’intelligence des écrivains et hommes de théâtre de notre répertoire, le jeu du verbe, l’élégance de l’alexandrin, la pureté de la prose…

Dans un monde actif qui ne prend plus le temps de lire, et dont l’éducation littéraire des écoles a souvent failli à donner le goût des livres, Luchini apparaît comme un phare lumineux, tout en haut des médias qui nous envoie un faisceau propice à la reconnexion de nos neurones endormis. Assister à ses spectacles est comme recevoir une onde électrisante qui réveille notre sensibilité et nous rappelle tous les plaisirs que procure notre cerveau, quand nous prenons la peine de l’activer au contact du beau, de l’élégant et du sublime. Il le fait avec une diction parfaite, une mémoire encyclopédique, un humour à fleur de peau et parfois une arrogance cinglante tenant à la supériorité manifeste de ses pensées par rapport à nos contingences futiles. Il faut entendre le silence cathédral d’une salle de six cent personnes buvant ses paroles religieusement pour comprendre le miracle qu’a su instaurer ce garçon-coiffeur autodidacte sur notre société biberonnée à la fugacité de notre époque sous X, du nom de ce réseau social repris par un grand penseur contemporain. Fabrice en appelle à notre intelligence, à notre francitude, à tout ce qui a constitué le ferment de la France durant les siècles. Il nous apprivoise avec les subtilités de notre langue, si belle, si précise, si envoûtante. Celle qui se fait le mieux ambassadrice de l’âme et des sentiments, celle que nous laissons pourtant trop souvent en jachère pour aller cultiver d’autres terres d’un espéranto mondialisé. Quel éblouissement ! Assurément un spectacle exigeant, mais gratifiant à vous décocher un sourire béat.

Dans ce dernier spectacle, il nous lit du Hugo, le plus grand écrivain Français. Homme de fiction littéraire, de théâtre, poète accompli, polémiste engagé, cet homme a tout fait et a touché à tout avec succès. Pourtant, nous devons bien reconnaître que nous ne connaissons souvent du grand homme panthéonisé que « les Misérables », le plus souvent vus à la télévision ou dans des comédies musicales très médiatisées. Est-ce ainsi qu’on rend grâce à un génie ?

Grâce à Dieu, Luchini est là pour nous faire revivre le vieil Hugo dans et aussi en dehors de son oeuvre. L’homme qu’il a été, ses amours, ses combats, ses épreuves, en particulier la plus douloureuse qui soit, la perte d’une fille. Un moment décrit dans le détail car nous connaissons toutes les péripéties de cet événement fondateur à la source des plus beaux poèmes jamais écrits. Le poète met des mots sur un drame avec un coeur qui déborde de chaque strophe. Nous vibrons à notre tour au souvenir d’une noyade qui remonte à un jour de septembre 1843. Comment mieux magnifier la pérennité des sentiments ?

La soirée se termine avec le plus grand poème de la Légende des Siècles « Booz endormi », un récit biblique que Fabrice nous décortique pour apprécier la juxtaposition exquise des mots, les coups de génie sémantiques du poète, la délicate alchimie du récit, tout ce qui fait de ce poème l’exercice le plus abouti de la création humaine.

Oui Victor Hugo est le plus grand et son fidèle serviteur Fabrice Luchini son ambassadeur attentionné. Le trublion magnifique et irremplaçable de notre époque nous enchante, une nouvelle fois, à l’éblouissement littéraire attaché à notre condition de Français. Bravo l’artiste !

Le désespoir du vide

Ce n’est pas une fiction, et c’est cela qui rend le film si beau, si poignant, comme un cri de douleur qui se répand en échos, d’images en images, de scènes en scènes. Ce duo de pieds nickelés qui pédale jusqu’à Istambul pour revivifier le souvenir d’un disparu est d’une incroyable justesse.

Comment en peut-il être autrement ? Mathias Mlekuz et son pote Philippe Rebbot ne jouent pas, ils ne font que partager leur intimité pour nous associer à leur peine, celle d’avoir perdu un fils et ami, à la suite d’un suicide. Ils le font sans pudeur, avec une sincérité hors norme et surtout une belle fantaisie. C’est drôle, enlevé, touchant. Et surtout d’une grande intelligence émotionnelle, avec des échanges de haut-vol sur la vie, la vieillesse, la mort.

Le spectateur aimerait être du voyage, tant ces deux-là sont hors du temps, perdus dans des pays étrangers, en quête des traces du disparu qui a fait le voyage avant eux. Leur dignité de clowns tristes qui pédalent, pour l’un, en costume-cravate a quelque chose de désespéré. De profondément humain… Ce film ou documentaire – qu’importe la classification – est sans doute un des plus beaux messages d’amour d’un père à son fils. Il triture avec légèreté le désespoir du vide après une disparition. Magnifique !!!

Retour aux sources révolutionnaires

Ce n’est pas le meilleur roman de Dumas. Pas le plus connu non plus. Son titre malvenu est impossible à retenir. Et c’est un pavé qui pèse son poids sur la table de chevet, même en version poche. Ne le cachons pas, « Création et Rédemption » nécessite une petite dose d’abnégation pour s’attaquer à sa lecture.

On est très loin des « Trois Mousquetaires », et pourtant le style est toujours là. Cette dernière oeuvre d’un écrivain vieillissant reste directe, accessible, sans recherche de fioritures littéraires. Les détails nombreux campent bien le récit, et le lecteur se laisse séduire. A une réserve près : l’intrigue est simplette avec cette histoire de médecin altruiste découvrant une jeune fille souillon et quasi arriérée-mentale dans une cabane en forêt. Une jeune femme qu’il va essayer d’élever à une plus haute condition comme un pygmalion attentionné. Les sentiments vont bien sûr se mêler à l’affaire, même si la jeune fille est très jeune ( la minorité des filles n’était alors pas un problème ). Avant un double coup de tonnerre : le seigneur local déclare que c’est sa fille et il vient la récupérer. Le médecin qui réside à Argenton et est très apprécié par tous ses concitoyens, est appelé à devenir représentant de sa région berrichonne à la Convention. La révolution française s’agite. Nous sommes en 1792.

Le lecteur découvre très vite que l’intrigue est un prétexte. L’objet principal du roman est de raconter les hauts faits de la Révolution pendant les deux années décisives que furent 1792 et 1793. J’avoue que ce fut ce contexte historique qui m’a incité à attaquer ce roman. La Révolution, notre Révolution est finalement peu connue de nos contemporains, même si beaucoup s’y réfèrent en permanence, comme à un étalon-mètre de tout engagement politique. Pour ce faire, Dumas a bien étudié la période et s’appuie sur les commentaires éclairés du plus grand historien du siècle, Jules Michelet. Alexandre Dumas, dans ses vieux jours, s’attèle à faire connaître la Révolution à ses contemporains, et par la même occasion, à la postérité.

Nous voilà donc plongés dans les diatribes sans fin des conventionnaires, les luttes d’influence entre Girondins, Montagnards, Cordeliers, et autres Jacobins, les batailles de Valmy et de Jemmapes qui sauvèrent la Révolution de la menace étrangère… Le médecin de la Convention est sur tous les fronts et vit tous les grands moments de l’époque.

Dumas prend plaisir à raconter toutes les péripéties de cette Révolution, avec des préférences marquées pour la personnalité profonde de Danton. A l’inverse, les personnages de Marat, Saint Just, Robespierre ne sortent pas vraiment grandis. Il faut dire que tous ces révolutionnaires ne semblent motivés que par la prise de parole devant leurs pairs, des grands effets oratoires pour prendre le dessus sur leurs adversaires. Avant que n’arrive la terreur en 1793 et l’usage systématique de la guillotine. Tous en seront victimes, les uns après les autres, dans un grand suicide collectif où la meilleure façon de se débarrasser des traitres est de tous les éradiquer. On s’interroge : c’est ce délire paranoïaque sanglant qui constitue les fondements de notre démocratie ? La chose fait peur…. La violence au nom des idées, et surtout de la plus grande pureté des unes par rapport aux autres paraît comme une vraie impasse. D’ailleurs, après l’exécution de Robespierre, la France retrouve une certaine sérénité. La Révolution est passée…

Le roman de Dumas retrouve son cours, avec une petite incertitude finale cousue de fil blanc entre ses deux protagonistes. Le lecteur a passé du temps dans l’atmosphère délétère de notre Histoire dans ses pages les plus sombres. Intéressant, bien qu’un peu lourd à digérer. La vénération de nos révolutionnaires ne semblent pas vraiment fondée. Pourquoi tant de haine entre des hommes qui avaient pourtant tous contribué à faire chuter la Royauté ?

Breaking Bad

C’est la série élue « seconde meilleure série » de l’histoire… Un ami proche m’a confié que c’était même pour lui la meilleure. Je tournais autour de la chose, un peu perplexe : comment adhérer à l’histoire d’un trafiquant de drogue ? Peut-on prendre le parti du « bad », autrement dit du méchant autour de ce qui est un fléau de la société américaine, la drogue et les amphétamines ? Un « héros » qui ne deale pas, mais qui est d’abord un chimiste producteur d’une drogue synthétique redoutable… Le plus simple, après tout, c’est d’essayer un épisode sur Netflix.

Je me souviens bien de cet essai. C’était des images complètement décalées. Glauques au possible. J’imagine que beaucoup ont dû s’arrêter aux premiers épisodes. D’autres ont soupesé la réputation de cette série déjà ancienne qui est apparue au tournant des années 2010 et ont persévéré au-delà des trois premiers épisodes. Bonne pioche !…

Quel scénario !… L’histoire de ce père de famille souffrant d’un cancer qui « cuisine » de la drogue et instaure son trafic avec un jeune junkie au milieu des très dangereux cartels mexicains, est d’une grande puissance narrative. La série joue la carte du sympathique amateur dont la mort annoncée du fait de sa maladie fait sauter les dernières barrières morales. L’acteur Bryan Cranston est parfait dans ce rôle. Ingénu au départ, il se durcit au fil des épisodes pour finir sur un registre manipulateur et inquiétant.

Au delà de circonstances incroyables, mais crédibles, l’aventure se poursuit de manière inespérée. Le succès est joliment mis en valeur, et on oublie presque que l’activité est absolument criminelle. Il faut dire que le scénario est suffisamment bien tourné pour ne pas trop charger la responsabilité des deux héros dans les règlements de compte violents qui accompagnent leur ascension.

Le récit est toujours sur la corde raide. En effet, la femme aimante et le fils du chimiste ne savent rien de ses activités. Pour pimenter la chose, le beau-frère très proche est le responsable du bureau de la DEA, l’organisme anti-drogue à Albuquerque. Ce dernier lutte contre un trafic dont son beau-frère est l’instigateur. Voilà de quoi allumer la mèche d’une belle explosion familiale !

Les quatre premières saisons parlent de la montée en puissance du réseau. La cinquième, sans doute la plus aboutie, est celle de la chute. Cela part dans tous les sens, et les derniers épisodes sont un vrai jeu de montagnes russes. Le héros devient franchement antipathétique, même si son amour pour ses proches le classe parmi les « bons » méchants. Le dernier épisode est d’une grande intelligence émotionnelle. Avec une fin quasi parfaite…

Au final, le bilan est vraiment génial. Même si quelques épisodes se traînent un peu, il y a des accélérations inattendues qui donnent du peps incroyable à l’intrigue. Les acteurs vivent cette histoire à cent à l’heure, et le spectateur exulte à se soucier du sort d’ennemis publics au bien-être général.

Oui assurément, cette série mérite bien son classement. Si on accepte le postulat de l’élargissement temporaire de sa propre échelle des valeurs, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde…

La Berézina d’une nation…

Quelle claque !… Alors que la guerre en Ukraine sombre dans l’oubli et que des trolls pro-russes sont arrivés à nous désintéresser du sort des pauvres Ukrainiens, c’est le moment que choisit Olivier Norek pour raconter une autre guerre, la guerre russo-finlandaise qui s’est déroulée entre novembre 1939 et mars 1940. Un prélude à la seconde guerre mondiale dont on ne savait pas grand chose, sinon que les Finlandais y avaient fait bonne figure.

C’est justice de ressortir ce conflit des boites de l’Histoire, car c’est sans doute la guerre la plus cruelle qui n’ait jamais existé. La lutte inégale entre la petite Finlande et la grande URSS par des températures « à ne pas mettre un ours blanc dehors ». Un froid de gueux , qui était courant dans ces années-là et qui, dans les deux camps, a dédoublé l’ennemi. Le froid pouvait vous endormir en quelques minutes et le contact du métal des fusils pouvait arracher la peau.

Olivier Norek, auteur de polars, a été pris d’une admiration éperdue pour le meilleur sniper finlandais Simo Häyhä; il est sorti de sa zone de confort pour raconter sa guerre, après un gros travail de recherche sur place. Bonne pioche ! A partir du moment où le lecteur accepte de se plonger dans une guerre avec ses aspects les plus glauques , il se laisse totalement emporter par une tension qui dépasse l’entendement. Comment ces hommes, Finlandais comme Russes ont-ils pu accepter cela ?

Le héros Finlandais qui émerge, est un homme simple qui ne veut que défendre sa patrie. Il a un talent incroyable pour tirer à longue distance et va se faire, avec humilité, le plus grand palmarès de l’histoire. Quelle souffrance toutefois ! L’adversaire russe était si nombreux que les hommes étaient remplacés au pied levé. Des Russes dont on prend pitié également, car ils étaient pris en sandwich entre des Finlandais mieux équipés et des commissaires-politiques qui n’avaient aucun respect pour la vie humaine. Les massacres sont saisissants, en particulier lorsque les Russes en échec s’avisent de traverser à pied le Golfe de Finlande sous le feu d’un ennemi qui n’avait qu’à casser la glace. Des passages du livre sont lunaires… La Berézina puissance 10….

La dictature de Staline se fait contre ses soldats. C’est tellement cruel qu’on ne peut s’empêcher de penser que le communisme est le pire des tourments qu’a subi l’humanité. Ce livre est de ce point de vue une bonne mise à jour pour des jeunes lecteurs ( le livre a reçu le Prix Renaudot des Lycéens 2024 ) qui ont parfois oublié les leçons de l’Histoire.

Au final, ce livre est formidable, car il rappelle des vérités passées sous silence, notamment après le succès soviétique en 1945. Il lui manque peut-être le souffle de l’écrivain Norek qui sait habituellement broder une histoire. Mais cette Histoire avec un grand H est tellement forte, tellement incroyable, que le lecteur est tout de suite très impliqué. Il ressent, à la lecture, un mal-être insidieux devant la souffrance d’une nation agressée, il souffre dans sa chair comme ces combattants sans avenir immédiat autre que celui d »être déchiquetés par une balle ou par le froid. Il ressent une admiration sans faille pour ces hommes vaillants qui se sont sacrifiés pour leur pays. A l’heure où le patriotisme est une valeur en chute, c’est touchant de revivre ces moments.

Oui, assurément, la Finlande est une grande nation….

Hommage aux héros italiens…

Un nouveau roman d’Arturo Perez Reverte est toujours un événement. L’auteur du « Tableau du Maître Flamand » et du « Maître d’escrime » est un auteur qui a assurément inscrit en lettres d’or son nom dans le Panthéon de la littérature européenne.

Son nouvel ouvrage me va droit au coeur car il parle des « oubliés » de la seconde guerre mondiale, ces soldats qui ont bataillé jusqu’au bout pour une cause qu’ils savaient perdue. Jean Christophe Buisson en a fait un très beau livre avec « Le Dernier Carré » en évoquant tous ces hommes qui, au fil des siècles, se sont battus pour l’honneur, sans espoir de victoire. Buisson avait oublié dans son livre les plongeurs italiens qui ont en décembre 1942 lancé des attaques très audacieuses en sous-marins de poche contre les navires alliés à l’ancre dans le port de Gibraltar. Un coup d’épée dans l’eau, car quelques mois plus tard, le régime fasciste italien était renversé. Qu’importe ! Il y avait là assurément un réel esprit de chevalerie. De quoi nourrir un roman s’inspirant de ces attaques, en s’affranchissant un peu du vrai déroulé des événements.

Avec son talent et sa capacité à jouer du temps et sa science du récit. Perez Reverte nous plonge dans un récit puissant qui tourne autour d’Elena, une femme espagnole qui se trouve mêlée à ces attaques et finit – un peu par amour – par adhérer à la cause italienne. Les plongeurs sont des hommes simples, placides, tranquilles qui prennent des risques considérables pour aller au plus près des bateaux ennemis et déposer sous leurs coques des charges explosives. Qui fait de la plongée, sait à quel point il est important d’y être détendu. En période de guerre, avec des Anglais qui se défendaient à coup d’explosifs lancées de manière aléatoire dans la baie, ce calme était une vraie gageure. Et pourtant, ils l’ont fait !…

Le livre raconte ces exploits et rend hommage à ces combattants italiens perdus dans la débâcle de leur pays. Des vrais héros qui n’ont fait que leur devoir, en portant haut leurs couleurs alors que les Italiens ont été globalement traités comme de piètres combattants, parfaitement méprisés par leurs adversaires. Cette réhabilitation d’une nation valait bien un livre.

Le livre parle aussi du destin d’une femme, veuve de guerre, qui dans un processus psychologique inconscient, devient espionne au service d’un pays qui n’est pas le sien. L’histoire est belle. Le contexte historique bien rendu. Le lecteur se laisse embarquer dans une histoire peu connue, très éloignée de notre quotidien. C’est un beau roman, sans doute un cran en dessous des précédents, mais ces soldats impassibles des fonds marins méritaient bien d’être rappelés à la mémoire collective. C’était des braves, parmi les plus grands…

Jeu de culbuto dans le Jura

Divine surprise !… Ce film de Franck Dubosc n’est pas une de ces gauloiseries sans âme qui essayent péniblement de nous faire rire, et qu’on oublie aussitôt vue… Ici j’ai ri franchement, car le comique est d’un registre inattendu. L’humour macabre bien sûr, mais aussi surtout une cascade d’événements rocambolesques résultant d’un simple accident sur une route de montagne dans le Jura. La rencontre improbable d’un ours sur la route est à la source de ce jeu de dominos aux effets énormes. Le plantigrade est pourtant absent de cette région, ce qui montre le caractère exceptionnel de la chose. Mais quelle maestria dans la succession des catastrophes !…

Le spectateur est balloté, et rit aux éclats devant des personnages pris dans des événements qui les dépassent, et qui font preuve de toutes les réactions épidermiques de notre époque : l’appât du gain, la perte de valeurs, le combat du local contre l’étranger… Personne n’est épargné dans ce jeu de culbuto dans un village jurassien où le mistigri de la corruption saute de l’un à l’autre. Le film a le côté réjouissant de ces petits en lutte contre les gros pour profiter du gâteau. Toutes les barrières morales explosent devant l’opportunisme généralisé qui touche tout le monde.

C’est une course à la galette savamment assaisonnée par un Dubosc qui touche juste, et qui s’est entouré d’acteurs au sommet de leur art, en particulier une Laure Calamy épatante en maîtresse-femme aux deux pieds bien plantés dans la glaise. Poelvoorde est toujours aussi ébouriffant, tandis que Franck Dubosc est lui beaucoup plus timoré, réservé, très loin de ses stéréotypes habituels. C’est donc un grand éclat de rire, avec un petit arrière-goût acre que cette perte de valeurs n’est pas si éloignée de la réalité.

Il faut finalement mieux en rire, surtout quand le film nous entraîne dans du burlesque pur…

Blog de Bernard ; traits d'humeur sur l'actualité