L’art d’être Français

Il remplit les salles avec six mois d’avance ; ses spectacles s’enchaînent dans des lieux différents, car les théâtres qui ont des programmes très cadencés sont incapables d’offrir les dates supplémentaires que le public réclame. Fabrice Luchini est une star… Un show-man, un esthète de la langue que des foules viennent écouter dans une grande communion fébrile proche de l’adoration.

Pourquoi cette passion ? La réponse est simple. Cet homme a trouvé ce qui fait la quintessence de la France : l’amour de la langue, la soumission à l’intelligence des écrivains et hommes de théâtre de notre répertoire, le jeu du verbe, l’élégance de l’alexandrin, la pureté de la prose…

Dans un monde actif qui ne prend plus le temps de lire, et dont l’éducation littéraire des écoles a souvent failli à donner le goût des livres, Luchini apparaît comme un phare lumineux, tout en haut des médias qui nous envoie un faisceau propice à la reconnexion de nos neurones endormis. Assister à ses spectacles est comme recevoir une onde électrisante qui réveille notre sensibilité et nous rappelle tous les plaisirs que procure notre cerveau, quand nous prenons la peine de l’activer au contact du beau, de l’élégant et du sublime. Il le fait avec une diction parfaite, une mémoire encyclopédique, un humour à fleur de peau et parfois une arrogance cinglante tenant à la supériorité manifeste de ses pensées par rapport à nos contingences futiles. Il faut entendre le silence cathédral d’une salle de six cent personnes buvant ses paroles religieusement pour comprendre le miracle qu’a su instaurer ce garçon-coiffeur autodidacte sur notre société biberonnée à la fugacité de notre époque sous X, du nom de ce réseau social repris par un grand penseur contemporain. Fabrice en appelle à notre intelligence, à notre francitude, à tout ce qui a constitué le ferment de la France durant les siècles. Il nous apprivoise avec les subtilités de notre langue, si belle, si précise, si envoûtante. Celle qui se fait le mieux ambassadrice de l’âme et des sentiments, celle que nous laissons pourtant trop souvent en jachère pour aller cultiver d’autres terres d’un espéranto mondialisé. Quel éblouissement ! Assurément un spectacle exigeant, mais gratifiant à vous décocher un sourire béat.

Dans ce dernier spectacle, il nous lit du Hugo, le plus grand écrivain Français. Homme de fiction littéraire, de théâtre, poète accompli, polémiste engagé, cet homme a tout fait et a touché à tout avec succès. Pourtant, nous devons bien reconnaître que nous ne connaissons souvent du grand homme panthéonisé que « les Misérables », le plus souvent vus à la télévision ou dans des comédies musicales très médiatisées. Est-ce ainsi qu’on rend grâce à un génie ?

Grâce à Dieu, Luchini est là pour nous faire revivre le vieil Hugo dans et aussi en dehors de son oeuvre. L’homme qu’il a été, ses amours, ses combats, ses épreuves, en particulier la plus douloureuse qui soit, la perte d’une fille. Un moment décrit dans le détail car nous connaissons toutes les péripéties de cet événement fondateur à la source des plus beaux poèmes jamais écrits. Le poète met des mots sur un drame avec un coeur qui déborde de chaque strophe. Nous vibrons à notre tour au souvenir d’une noyade qui remonte à un jour de septembre 1843. Comment mieux magnifier la pérennité des sentiments ?

La soirée se termine avec le plus grand poème de la Légende des Siècles « Booz endormi », un récit biblique que Fabrice nous décortique pour apprécier la juxtaposition exquise des mots, les coups de génie sémantiques du poète, la délicate alchimie du récit, tout ce qui fait de ce poème l’exercice le plus abouti de la création humaine.

Oui Victor Hugo est le plus grand et son fidèle serviteur Fabrice Luchini son ambassadeur attentionné. Le trublion magnifique et irremplaçable de notre époque nous enchante, une nouvelle fois, à l’éblouissement littéraire attaché à notre condition de Français. Bravo l’artiste !

Le désespoir du vide

Ce n’est pas une fiction, et c’est cela qui rend le film si beau, si poignant, comme un cri de douleur qui se répand en échos, d’images en images, de scènes en scènes. Ce duo de pieds nickelés qui pédale jusqu’à Istambul pour revivifier le souvenir d’un disparu est d’une incroyable justesse.

Comment en peut-il être autrement ? Mathias Mlekuz et son pote Philippe Rebbot ne jouent pas, ils ne font que partager leur intimité pour nous associer à leur peine, celle d’avoir perdu un fils et ami, à la suite d’un suicide. Ils le font sans pudeur, avec une sincérité hors norme et surtout une belle fantaisie. C’est drôle, enlevé, touchant. Et surtout d’une grande intelligence émotionnelle, avec des échanges de haut-vol sur la vie, la vieillesse, la mort.

Le spectateur aimerait être du voyage, tant ces deux-là sont hors du temps, perdus dans des pays étrangers, en quête des traces du disparu qui a fait le voyage avant eux. Leur dignité de clowns tristes qui pédalent, pour l’un, en costume-cravate a quelque chose de désespéré. De profondément humain… Ce film ou documentaire – qu’importe la classification – est sans doute un des plus beaux messages d’amour d’un père à son fils. Il triture avec légèreté le désespoir du vide après une disparition. Magnifique !!!

Retour aux sources révolutionnaires

Ce n’est pas le meilleur roman de Dumas. Pas le plus connu non plus. Son titre malvenu est impossible à retenir. Et c’est un pavé qui pèse son poids sur la table de chevet, même en version poche. Ne le cachons pas, « Création et Rédemption » nécessite une petite dose d’abnégation pour s’attaquer à sa lecture.

On est très loin des « Trois Mousquetaires », et pourtant le style est toujours là. Cette dernière oeuvre d’un écrivain vieillissant reste directe, accessible, sans recherche de fioritures littéraires. Les détails nombreux campent bien le récit, et le lecteur se laisse séduire. A une réserve près : l’intrigue est simplette avec cette histoire de médecin altruiste découvrant une jeune fille souillon et quasi arriérée-mentale dans une cabane en forêt. Une jeune femme qu’il va essayer d’élever à une plus haute condition comme un pygmalion attentionné. Les sentiments vont bien sûr se mêler à l’affaire, même si la jeune fille est très jeune ( la minorité des filles n’était alors pas un problème ). Avant un double coup de tonnerre : le seigneur local déclare que c’est sa fille et il vient la récupérer. Le médecin qui réside à Argenton et est très apprécié par tous ses concitoyens, est appelé à devenir représentant de sa région berrichonne à la Convention. La révolution française s’agite. Nous sommes en 1792.

Le lecteur découvre très vite que l’intrigue est un prétexte. L’objet principal du roman est de raconter les hauts faits de la Révolution pendant les deux années décisives que furent 1792 et 1793. J’avoue que ce fut ce contexte historique qui m’a incité à attaquer ce roman. La Révolution, notre Révolution est finalement peu connue de nos contemporains, même si beaucoup s’y réfèrent en permanence, comme à un étalon-mètre de tout engagement politique. Pour ce faire, Dumas a bien étudié la période et s’appuie sur les commentaires éclairés du plus grand historien du siècle, Jules Michelet. Alexandre Dumas, dans ses vieux jours, s’attèle à faire connaître la Révolution à ses contemporains, et par la même occasion, à la postérité.

Nous voilà donc plongés dans les diatribes sans fin des conventionnaires, les luttes d’influence entre Girondins, Montagnards, Cordeliers, et autres Jacobins, les batailles de Valmy et de Jemmapes qui sauvèrent la Révolution de la menace étrangère… Le médecin de la Convention est sur tous les fronts et vit tous les grands moments de l’époque.

Dumas prend plaisir à raconter toutes les péripéties de cette Révolution, avec des préférences marquées pour la personnalité profonde de Danton. A l’inverse, les personnages de Marat, Saint Just, Robespierre ne sortent pas vraiment grandis. Il faut dire que tous ces révolutionnaires ne semblent motivés que par la prise de parole devant leurs pairs, des grands effets oratoires pour prendre le dessus sur leurs adversaires. Avant que n’arrive la terreur en 1793 et l’usage systématique de la guillotine. Tous en seront victimes, les uns après les autres, dans un grand suicide collectif où la meilleure façon de se débarrasser des traitres est de tous les éradiquer. On s’interroge : c’est ce délire paranoïaque sanglant qui constitue les fondements de notre démocratie ? La chose fait peur…. La violence au nom des idées, et surtout de la plus grande pureté des unes par rapport aux autres paraît comme une vraie impasse. D’ailleurs, après l’exécution de Robespierre, la France retrouve une certaine sérénité. La Révolution est passée…

Le roman de Dumas retrouve son cours, avec une petite incertitude finale cousue de fil blanc entre ses deux protagonistes. Le lecteur a passé du temps dans l’atmosphère délétère de notre Histoire dans ses pages les plus sombres. Intéressant, bien qu’un peu lourd à digérer. La vénération de nos révolutionnaires ne semblent pas vraiment fondée. Pourquoi tant de haine entre des hommes qui avaient pourtant tous contribué à faire chuter la Royauté ?

Breaking Bad

C’est la série élue « seconde meilleure série » de l’histoire… Un ami proche m’a confié que c’était même pour lui la meilleure. Je tournais autour de la chose, un peu perplexe : comment adhérer à l’histoire d’un trafiquant de drogue ? Peut-on prendre le parti du « bad », autrement dit du méchant autour de ce qui est un fléau de la société américaine, la drogue et les amphétamines ? Un « héros » qui ne deale pas, mais qui est d’abord un chimiste producteur d’une drogue synthétique redoutable… Le plus simple, après tout, c’est d’essayer un épisode sur Netflix.

Je me souviens bien de cet essai. C’était des images complètement décalées. Glauques au possible. J’imagine que beaucoup ont dû s’arrêter aux premiers épisodes. D’autres ont soupesé la réputation de cette série déjà ancienne qui est apparue au tournant des années 2010 et ont persévéré au-delà des trois premiers épisodes. Bonne pioche !…

Quel scénario !… L’histoire de ce père de famille souffrant d’un cancer qui « cuisine » de la drogue et instaure son trafic avec un jeune junkie au milieu des très dangereux cartels mexicains, est d’une grande puissance narrative. La série joue la carte du sympathique amateur dont la mort annoncée du fait de sa maladie fait sauter les dernières barrières morales. L’acteur Bryan Cranston est parfait dans ce rôle. Ingénu au départ, il se durcit au fil des épisodes pour finir sur un registre manipulateur et inquiétant.

Au delà de circonstances incroyables, mais crédibles, l’aventure se poursuit de manière inespérée. Le succès est joliment mis en valeur, et on oublie presque que l’activité est absolument criminelle. Il faut dire que le scénario est suffisamment bien tourné pour ne pas trop charger la responsabilité des deux héros dans les règlements de compte violents qui accompagnent leur ascension.

Le récit est toujours sur la corde raide. En effet, la femme aimante et le fils du chimiste ne savent rien de ses activités. Pour pimenter la chose, le beau-frère très proche est le responsable du bureau de la DEA, l’organisme anti-drogue à Albuquerque. Ce dernier lutte contre un trafic dont son beau-frère est l’instigateur. Voilà de quoi allumer la mèche d’une belle explosion familiale !

Les quatre premières saisons parlent de la montée en puissance du réseau. La cinquième, sans doute la plus aboutie, est celle de la chute. Cela part dans tous les sens, et les derniers épisodes sont un vrai jeu de montagnes russes. Le héros devient franchement antipathétique, même si son amour pour ses proches le classe parmi les « bons » méchants. Le dernier épisode est d’une grande intelligence émotionnelle. Avec une fin quasi parfaite…

Au final, le bilan est vraiment génial. Même si quelques épisodes se traînent un peu, il y a des accélérations inattendues qui donnent du peps incroyable à l’intrigue. Les acteurs vivent cette histoire à cent à l’heure, et le spectateur exulte à se soucier du sort d’ennemis publics au bien-être général.

Oui assurément, cette série mérite bien son classement. Si on accepte le postulat de l’élargissement temporaire de sa propre échelle des valeurs, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde…

La Berézina d’une nation…

Quelle claque !… Alors que la guerre en Ukraine sombre dans l’oubli et que des trolls pro-russes sont arrivés à nous désintéresser du sort des pauvres Ukrainiens, c’est le moment que choisit Olivier Norek pour raconter une autre guerre, la guerre russo-finlandaise qui s’est déroulée entre novembre 1939 et mars 1940. Un prélude à la seconde guerre mondiale dont on ne savait pas grand chose, sinon que les Finlandais y avaient fait bonne figure.

C’est justice de ressortir ce conflit des boites de l’Histoire, car c’est sans doute la guerre la plus cruelle qui n’ait jamais existé. La lutte inégale entre la petite Finlande et la grande URSS par des températures « à ne pas mettre un ours blanc dehors ». Un froid de gueux , qui était courant dans ces années-là et qui, dans les deux camps, a dédoublé l’ennemi. Le froid pouvait vous endormir en quelques minutes et le contact du métal des fusils pouvait arracher la peau.

Olivier Norek, auteur de polars, a été pris d’une admiration éperdue pour le meilleur sniper finlandais Simo Häyhä; il est sorti de sa zone de confort pour raconter sa guerre, après un gros travail de recherche sur place. Bonne pioche ! A partir du moment où le lecteur accepte de se plonger dans une guerre avec ses aspects les plus glauques , il se laisse totalement emporter par une tension qui dépasse l’entendement. Comment ces hommes, Finlandais comme Russes ont-ils pu accepter cela ?

Le héros Finlandais qui émerge, est un homme simple qui ne veut que défendre sa patrie. Il a un talent incroyable pour tirer à longue distance et va se faire, avec humilité, le plus grand palmarès de l’histoire. Quelle souffrance toutefois ! L’adversaire russe était si nombreux que les hommes étaient remplacés au pied levé. Des Russes dont on prend pitié également, car ils étaient pris en sandwich entre des Finlandais mieux équipés et des commissaires-politiques qui n’avaient aucun respect pour la vie humaine. Les massacres sont saisissants, en particulier lorsque les Russes en échec s’avisent de traverser à pied le Golfe de Finlande sous le feu d’un ennemi qui n’avait qu’à casser la glace. Des passages du livre sont lunaires… La Berézina puissance 10….

La dictature de Staline se fait contre ses soldats. C’est tellement cruel qu’on ne peut s’empêcher de penser que le communisme est le pire des tourments qu’a subi l’humanité. Ce livre est de ce point de vue une bonne mise à jour pour des jeunes lecteurs ( le livre a reçu le Prix Renaudot des Lycéens 2024 ) qui ont parfois oublié les leçons de l’Histoire.

Au final, ce livre est formidable, car il rappelle des vérités passées sous silence, notamment après le succès soviétique en 1945. Il lui manque peut-être le souffle de l’écrivain Norek qui sait habituellement broder une histoire. Mais cette Histoire avec un grand H est tellement forte, tellement incroyable, que le lecteur est tout de suite très impliqué. Il ressent, à la lecture, un mal-être insidieux devant la souffrance d’une nation agressée, il souffre dans sa chair comme ces combattants sans avenir immédiat autre que celui d »être déchiquetés par une balle ou par le froid. Il ressent une admiration sans faille pour ces hommes vaillants qui se sont sacrifiés pour leur pays. A l’heure où le patriotisme est une valeur en chute, c’est touchant de revivre ces moments.

Oui, assurément, la Finlande est une grande nation….

Hommage aux héros italiens…

Un nouveau roman d’Arturo Perez Reverte est toujours un événement. L’auteur du « Tableau du Maître Flamand » et du « Maître d’escrime » est un auteur qui a assurément inscrit en lettres d’or son nom dans le Panthéon de la littérature européenne.

Son nouvel ouvrage me va droit au coeur car il parle des « oubliés » de la seconde guerre mondiale, ces soldats qui ont bataillé jusqu’au bout pour une cause qu’ils savaient perdue. Jean Christophe Buisson en a fait un très beau livre avec « Le Dernier Carré » en évoquant tous ces hommes qui, au fil des siècles, se sont battus pour l’honneur, sans espoir de victoire. Buisson avait oublié dans son livre les plongeurs italiens qui ont en décembre 1942 lancé des attaques très audacieuses en sous-marins de poche contre les navires alliés à l’ancre dans le port de Gibraltar. Un coup d’épée dans l’eau, car quelques mois plus tard, le régime fasciste italien était renversé. Qu’importe ! Il y avait là assurément un réel esprit de chevalerie. De quoi nourrir un roman s’inspirant de ces attaques, en s’affranchissant un peu du vrai déroulé des événements.

Avec son talent et sa capacité à jouer du temps et sa science du récit. Perez Reverte nous plonge dans un récit puissant qui tourne autour d’Elena, une femme espagnole qui se trouve mêlée à ces attaques et finit – un peu par amour – par adhérer à la cause italienne. Les plongeurs sont des hommes simples, placides, tranquilles qui prennent des risques considérables pour aller au plus près des bateaux ennemis et déposer sous leurs coques des charges explosives. Qui fait de la plongée, sait à quel point il est important d’y être détendu. En période de guerre, avec des Anglais qui se défendaient à coup d’explosifs lancées de manière aléatoire dans la baie, ce calme était une vraie gageure. Et pourtant, ils l’ont fait !…

Le livre raconte ces exploits et rend hommage à ces combattants italiens perdus dans la débâcle de leur pays. Des vrais héros qui n’ont fait que leur devoir, en portant haut leurs couleurs alors que les Italiens ont été globalement traités comme de piètres combattants, parfaitement méprisés par leurs adversaires. Cette réhabilitation d’une nation valait bien un livre.

Le livre parle aussi du destin d’une femme, veuve de guerre, qui dans un processus psychologique inconscient, devient espionne au service d’un pays qui n’est pas le sien. L’histoire est belle. Le contexte historique bien rendu. Le lecteur se laisse embarquer dans une histoire peu connue, très éloignée de notre quotidien. C’est un beau roman, sans doute un cran en dessous des précédents, mais ces soldats impassibles des fonds marins méritaient bien d’être rappelés à la mémoire collective. C’était des braves, parmi les plus grands…

Jeu de culbuto dans le Jura

Divine surprise !… Ce film de Franck Dubosc n’est pas une de ces gauloiseries sans âme qui essayent péniblement de nous faire rire, et qu’on oublie aussitôt vue… Ici j’ai ri franchement, car le comique est d’un registre inattendu. L’humour macabre bien sûr, mais aussi surtout une cascade d’événements rocambolesques résultant d’un simple accident sur une route de montagne dans le Jura. La rencontre improbable d’un ours sur la route est à la source de ce jeu de dominos aux effets énormes. Le plantigrade est pourtant absent de cette région, ce qui montre le caractère exceptionnel de la chose. Mais quelle maestria dans la succession des catastrophes !…

Le spectateur est balloté, et rit aux éclats devant des personnages pris dans des événements qui les dépassent, et qui font preuve de toutes les réactions épidermiques de notre époque : l’appât du gain, la perte de valeurs, le combat du local contre l’étranger… Personne n’est épargné dans ce jeu de culbuto dans un village jurassien où le mistigri de la corruption saute de l’un à l’autre. Le film a le côté réjouissant de ces petits en lutte contre les gros pour profiter du gâteau. Toutes les barrières morales explosent devant l’opportunisme généralisé qui touche tout le monde.

C’est une course à la galette savamment assaisonnée par un Dubosc qui touche juste, et qui s’est entouré d’acteurs au sommet de leur art, en particulier une Laure Calamy épatante en maîtresse-femme aux deux pieds bien plantés dans la glaise. Poelvoorde est toujours aussi ébouriffant, tandis que Franck Dubosc est lui beaucoup plus timoré, réservé, très loin de ses stéréotypes habituels. C’est donc un grand éclat de rire, avec un petit arrière-goût acre que cette perte de valeurs n’est pas si éloignée de la réalité.

Il faut finalement mieux en rire, surtout quand le film nous entraîne dans du burlesque pur…

La Guerre des planqués

C’est une excellente idée de replonger dans les années d’occupation au prisme d’un hôtel de luxe où se retrouvent officiers allemands et collabos notoires pendant quatre années de libations et d’acoquinements. Une petite société qui fait « comme avant », en pactisant plutôt « plus » que « moins » avec l’ennemi autour des cocktails dispensés par le discret barman Franck Meier, autrichien d’origine, mais ancien poilu attaché à la France et au souvenir de son ancien chef d’unité, le Maréchal Pétain. Un homme sans relief qui se définit comme « peu courageux », mais n’en est pas moins bon observateur du petit microcosme qui s’agite autour de lui.

Des personnalités du monde des lettres et des arts comme Guitry, Gabrielle Chanel ou Arletty, mais aussi des officiers allemands francophiles comme Ernst Jünger, Hans Speidel et Karl-Heinrich von Stülpnagel ( les deux derniers s’illustrant dans l’attentat contre Hitler en juillet 44 ) qui s’épanchent à tour de rôle dans les vapeurs d’alcool. L’ambiance est quelque peu hors du temps dans ce Ritz, préservé du rationnement et de la faim. Mais la menace rode surtout pour les résidents juifs comme Blanche Auzello, femme de l’ancien Directeur qui reste confinée dans sa chambre. Le barman Frank en est amoureux, et pour ses beaux yeux, il se hasarde à procurer des faux papiers aux Juifs désirant fuir.

Le livre est excellent dans la description de cette population repliée sur elle-même dans sa condition de « profiteurs de guerre », parfois sans vergogne. Même le héros, ce barman sympathique, s’enrichit, mais il a, lui quelques états d’âme. Comme pour se donner bonne conscience, Il aide à faire partir un jeune commis juif. Les soirs s’enchaînent autour de ses bouteilles, et le climat se tend, au fur et à mesure que l’Allemagne enregistre des défaites sur les champs de batailles. La Gestapo plane autour du lieu qui est préservé par les hauts officiers allemands qui aiment y trouver un peu de douceur dans un monde de brutes.

L’auteur Philippe Collin raconte sans prendre parti, notamment autour de ces Français célèbres qui ont accepté la compagnie des « boches ». Certains vont ensuite en souffrir. Mais tous sont assez lucides et quelques échanges, sans doute, puisés dans la réalité, sont joliment piquants.

C’est un roman, mais jouant avec des personnages réels. Le descriptif du contexte est profond, traduisant un beau travail d’enquête préalable. Surtout, cela parle d’une période que beaucoup ont voulu tout de suite oublier. L’amnésie a régné sur ces années noires. Le livre est donc un travail d’historien, avec des personnages historiques se démenant frénétiquement ou passivement dans une situation qui les dépasse. Un bon livre assurément…

Joli pansement social

Le temps a passé, sans que je puisse m’atteler à rédiger ma critique, et dire pourquoi j’ai aimé ce film. Et pourtant, il m’a marqué… Il a cette saveur spéciale des films véhiculant une forte dose d’humanité. Deux frères qui ne se connaissent pas, et s’apprivoisent l’un l’autre alors que tout les sépare. Un don de soi extrême de l’un pour sauver l’autre. Le début d’une complicité qui s’instaure, autour de la musique, plus petit commun dénominateur de ces deux solitaires. Un film tout en légèreté qui fait réfléchir sur l’égalité des chances selon le milieu social. Une tentative de rapprochement au constat que tous deux jouissent des mêmes talents.

Benjamin Lavernhe est une fois de plus d’une grande profondeur, tantôt détaché, tantôt impliqué, il traverse le récit avec conviction, avec des dernières scènes poignantes. Mais c’est surtout Pierre Lottin qui impressionne par sa personnalité brute, entière, qui se laisse finalement emporter par le rêve d’un nouveau départ. L’histoire semble s’orienter vers un dénouement attendu.

Mauvais calcul !… Le réalisateur nous embarque vers une fin incroyable d’intensité où l’émotion est au rendez-vous. « En fanfare » est un film solidaire qui montre que deux mondes éloignés qui s’ignorent, reposent un peu sur les mêmes fondements et peuvent se retrouver. Un film pansement qui cautérise les plaies d’une société déchirée entre happy few et laissés-pour-compte. Cela fait rudement du bien…

Ce cinéma-là aura toujours mes faveurs.

La plus précieuse des marchandises

Une merveille !… Parler d’événements tragiques en dessins animés un peu naïfs, sans beaucoup de paroles et avec le seul poids des images…

Une idée subtile qui fait passer des messages plus sûrement que des images choc dont nous sommes sevrés sur les chaines d’infos. « La plus précieuse des Marchandises » est une petite musique qui vous envoute, et fait passer un vent d’émotions. L’histoire est belle, elle renouvelle la mémoire due à la Shoah, tout en appelant à nos âmes d’enfant et à ce qui fait notre humanité. A l’heure où les peuples s’opposent, où l’anti-sémitisme grandit, elle propage un message de paix, d’amour et de fraternité. Les dessins nous emmènent beaucoup plus loin…

Une merveille, je vous dis….

Gladiator 2, plaisant et fade…

Le premier Gladiator avait marqué les esprits avec une évocation de la Rome Antique déchirée par les jeux de pouvoirs, la corruption et l’abandon des valeurs ayant construit la prééminence de la grande cité sur son époque. La puissance de jeu de Russell Crowe, alors jeune comédien peu connu, avait contribué à un succès mérité du film, le consacrant comme péplum le plus réussi de l’histoire.

Une suite, près de 24 ans après , avait-elle un sens ? Un intérêt commercial, en tout cas, au vu du budget faramineux de ce Gladiator 2 qui vise à nous en mettre plein les yeux. Objectif atteint de ce point de vue, car les scènes de combat et de luttes dans l’arène sont d’une belle intensité.

Hélas, la surprise n’est plus au rendez-vous, le film donne une impression de « redite » par rapport à son illustre prédécesseur, sans apporter grand chose de neuf. On découvre quand même ce tandem d’empereurs, Geta et Caracalla, qui n’a fonctionné que pendant la seule année 211 ap JC. Deux êtres falots, mais d’une cruauté sans nom. La mère Lucilla joue sans passion la femme ballotée par les événements entre un mari général victorieux et un fils perdu qu’elle retrouve dans les troupes de gladiateurs appelées à se faire hacher menu. Quant au personnage de Macrinus, le négociant d’esclave, il occupe tout l’espace avec l’abattage souriant d’un Denzel Washington sans limites. Il s’est donné sans doute un vrai plaisir d’acteur, au prix d’une crédibilité du personnage sans doute un peu écornée. Pour ce qui est du jeune Lucius, esclave et combattant de l’arène, il se dépense sans compter, mais Paul Mescal n’a pas le charisme de Russell CroweLe film divertit bien, malgré tout, surtout quand on repère subrepticement des légionnaires romains noirs dans les troupes d’élite de la garde prétorienne. Le wokisme s’autorise décidément toutes les audaces.

Qu’importe !… Le spectateur est là pour se distraire; le film est une vraie réussite. Pas sûr, cependant, qu’il entre dans les annales des meilleurs films autour d’une époque romaine qui continue à nous épater. Les ambitions humaines y sont tellement fortes que cela rassure sur la moindre nocivité de notre vie contemporaine

Murena, BD d’anthologie….

Les Français aiment les histoires se passant dans la Rome Antique. D’ailleurs, nous allons bientôt avoir droit au cinéma à un « Gladiator 2 », près de 24 ans après le premier. Les combats des légions romaines, les luttes de gladiateurs, les débats musclés au sein du Sénat romain, les jeux du cirque, les jeux de pouvoir, les assauts de la tyrannie contre une des premières démocraties modernes : tout y est pour faire des intrigues de l’époque des récits épiques et haletants. De « Spartacus » à « Ben Hur », de « Quo Vadis » à « La Chute de l’Empire Romain », les films abondent pour décrire cette époque fertile.

Dans ce panorama global, un autre genre a trouvé sa place : la bande dessinée. Bien sûr, il y a le fameux Asterix le Gaulois dont les aventures permettent de rendre compte d’une certaine facette de l’occupation romaine. Dans un registre plus adulte, la série Murena apparaît comme un vrai chef d’oeuvre. Les auteurs Jean Dufaux et Philippe Delaby nous racontent l’histoire de Rome avec des dessins d’un fort réalisme et avec des histoires très charpentées.

Lucius Murena, leur héros, est un homme droit qui construit sa route dans une époque, les années 50 après JC, qui sont très mouvementées. Rome est déjà une ville viciée par les ambitions humaines et les luttes d’influence violentes. Les empereurs romains sont corrompus, le pouvoir pervertit et l’assassinat est élevé au premier rang des réponses à toute opposition politique. Cela bruisse de bruit et de fureur, comme dans les films qui nous ont fait vibrer sur cette période.

La série est une pleine réussite. Les auteurs ont fait un gros travail de recherche pour être dans le ton. Les récits sont très proches de la réalité historique, et s’éloignent aussi des réputations façonnées par les siècles. Ainsi Neron, empereur qui est passé dans l’histoire comme un des pires despotes, se révèle plus nuancé, avec un début de règne marqué sous le sceau d’une certaine popularité.

Cette période d’apogée de Rome est stupéfiante de brutalité. Et les femmes ne sont pas en reste, avec Poppée la grande manipulatrice et Agrippine l’intrigante. Le tout baigné dans des dessins où la ville est reconstituée dans ses moindres détails. Le lecteur apprend plein de choses, au travers de nombreux renvois où les auteurs apportent des détails sur les événements et les personnages.

Murena est assurément une des BD les plus abouties pour s’approcher un peu d’une des grandes ères de notre Histoire.

Quand Cannes s’amuse…

Un film étrange… Il attire l’attention par sa Palme d’Or à Cannes. Il joue de l’iconoclasme avec un récit décalé, du sexe, et des paillettes. Il est à moitié en russe, une langue moins en cours depuis les événements d’Ukraine. Il est totalement dans l’outrance, comme son jeune héros. Un jeune immature qui vit au crochet de son père milliardaire. Il nous emporte dans les délires de jeunes oisifs qui dépensent sans compter, et ont une vie dorée sur tranche qu’ils brûlent par toutes les chandelles.

« Anora » est assurément un film qui ne ressemble à rien, sinon à ces vidéos pimentées qu’on trouve sur les réseaux sociaux pour attirer l’oeil blasé de l’internaute. Son récit est aussi futile, sa débauche d’images frôle la provocation, l’excès, l’overdose de mauvais goût… Pourtant le spectateur se fait happer par cette outrance et par un récit à cent à l’heure, sans temps mort, surtout quand la famille russe et ses représentants arméniens se mêlent du conte de fée à la « pretty woman ». Le délire s’installe, et avec lui, les rires des spectateurs. Cela vire à la comédie loufoque, avec des personnages qui se lâchent et deviennent incontrôlables.

Après tout, pourquoi pas ? Le Festival de Cannes devait s’ennuyer et a donné une prime au film le plus déjanté. Celui qui rappelle sous certains aspects la Palme d’or 2019, autrement dit le film coréen « Parasite ». Ici comme là, les parasites sont à l’oeuvre dans leur vie grand-guignolesque.

Y-a-t-il seulement une morale dans tout cela, ou simplement un fil conducteur ? Non, pas vraiment…. Le mauvais goût et l’absence de tous principes sont la norme, et le spectateur exulte devant ces frasques. Au final, au-delà de la bonne poilade, on sort un peu vide de cette forme de cinéma. Le cinéphile reconnaîtra quand même au réalisateur Sean Baker, un vrai talent. Il nous cuisine avec des ingrédients un peu lourds une choucroute bien garnie qui tient bien à l’estomac.

Dernière leçon du vieux Clint

Le voilà le film-testament du vieux Clint !

Le plus prolifique réalisateur américain. Un homme qui nous a fait rêver en tant qu’acteur, avant de nous emporter dans ses propres histoires souvent bien ficelées. Clint Eastwood a un vrai talent pour saisir l’air du temps, cette poussière invisible qui conditionne nos vies et nos comportements, quand ce n’est pas nos emportements.

Avec « Juré n°2 », il aborde notre envie irrépressible de justice, et en même temps notre propension à parfois nous arranger avec elle. C’est connu, la recherche du bien-être personnel est l’alpha et omega de nos contemporains, quel qu’en soit le prix. Quel qu’en soit le prix, vraiment ? nous interroge le vieil homme de 94 printemps. L’illustration de cette question est lumineuse, avec un scénario d’une simplicité confondante. Le fait divers paraît tellement peu alambiqué qu’on se demande comment un scénario peut tenir sur cette trame. Mais c’est sans compter sur les ficelles d’un réalisateur roué qui introduit des petits rebondissements, tenus mais suffisamment prégnants pour faire monter la pression.

Tout serait plus facile, si l’homme n’était pas doté d’une conscience. Bonne ou mauvaise, elle fait son travail de sape, solidement secondée par les remords d’un côté, et l’envie d’aller au bout des choses, de l’autre. L’étau se resserre donc inexorablement, comme un noeud coulant autour de la jolie tête du héros, joué subtilement par l’acteur inconnu Nicholas Hoult. Il est tellement sympathique que le spectateur prend un peu fait et cause pour lui.

Mais la justice ne se mégote pas. La procureur jouée par une Toni Collette ambitieuse et expéditive, avant de se raviser, se révèle une menace grandissante. Qui va gagner ce jeu du chat et de la souris ?

Le dernier ( vraiment ? ) film de Clint nous renvoie l’image d’une société de compromissions qui a perdu ses repères et ses idéaux. Ce n’est certes pas son meilleur film, mais il met joliment un point final à une filmographie ambitieuse qui nous a toujours dérangés dans nos petits conforts. Un grand Monsieur… Il va nous manquer. Nous avons diablement besoin de Jeremy Cricket dans nos mondes très égoïstes….

Un hommage majuscule

Sa musicalité, sa verve et ses paroles scintillantes ont illuminé son époque. Et toute la postérité derrière elle.  « Monsieur Aznavour », le film, rend un hommage vibrionnant au plus grand compositeur de chansons françaises à parité avec Brel et Brassens.

Un film si touchant qu’il se laissera voir et revoir plusieurs fois, tant il est enchanteur pour replonger dans la douce insouciance du Paris des années 50 et faire revivre des monstres sacrés : Edith Piaf bien sûr ( époustoufflante partition de l’actrice Marie Julie Baup qui éclipse toutes celles passées avant elle dans le rôle ), Trenet, Bécaud, Halliday… Le mimétisme est si total que le passé est brusquement réveillé sous nos yeux émerveillés, avec un Tahar Rahim qui ne joue pas Aznavour ; il est Aznavour. Gestuelle, mimiques, voix suave s’emballant parfois dans les tours, tout y est, pour notre plus grand plaisir…  

La folle exigence du « petit » Charles – petit pour ne pas le confondre avec l’Autre qui dirigeait le pays – pour monter toutes les marches de son rêve, au point de s’y perdre parfois un peu, ce travail insensé, cette volonté de rencontrer toujours son public, tout cela a créé simplement du sublime, de l’humanité brute et désespérée dans des rôles divers de docker rêveur, de vieux chanteur désabusé, de saltimbanques colorés ou d’homo triste. Le film synchronise chaque parole avec les expériences de vie de l’auteur, donnant une genèse à chaque tube. Du grand Art !…

Bravo à Grand Corps Malade, prince du récit parlé, il nous emporte vraiment très loin avec cette histoire. Le meilleur biopic, le plus émouvant, le plus incarné, le plus respectueux… j’en garde les larmes aux yeux pour pouvoir les reverser à l’écoute de Charles Aznavour, le Grand….      

Un film dont on tombe amoureux…

« L’Amour ouf » est un drôle de titre pour un film de 2 h 40 qui se veut très ambitieux et a eu l’honneur d’être sélectionné à Cannes. Un titre un peu racoleur, à destination du jeune public vers lequel il lorgne ostensiblement.

Honnêtement le film n’avait pas besoin de ce subterfuge en verlan. Il se déguste facilement comme une version « à la French » de « Il était une fois en Amerique », le chef d’oeuvre de Sergio Leone. Beaucoup de similitudes avec ce grand classique : le long passage sur l’enfance, une histoire d’amour vibrante, la guerre des gangs, la violence, une image qui imprime la rétine, une musique très prégnante… Et une plongée dans le passé, celui-là pas si lointain puisqu’il s’agit des années 90 avec tous leurs marqueurs ( téléphones, cassettes-audio, voitures, etc… ) qui feront bien rire les ados d’aujourd’hui.

Autant le dire, pour le public un peu âgé, il y a a beaucoup de jouissance à retrouver une époque, l’esprit d’une époque où tout semblait plus léger, avec notamment une pègre fréquentant les églises, des boites de nuit à paillettes, et des jeunes désoeuvrés faisant les 400 coups. L’histoire d’amour naissante est touchante avec deux jeunes acteurs très expressifs. La prison va, cependant, vite séparer les tourtereaux. Pendant douze longues années, ce qui permet ensuite de mettre en selle, que dis-je, sur orbite, François Civil et Adèle Exarchopoulos. Le charisme de ces deux-là n’est pas étranger au succès du film. Ils sont parfaits, incandescents et le spectateur n’a plus que les yeux de Chimène pour leur love-affair. François est ténébreux et Adèle a un naturel fou, comme d’ailleurs dans tous ses films. Le petit truand se laissera-t-il emporter par l’amour ou par le côté obscur de la force ?

Gilles Lelouche réussit parfaitement son coup avec un film fédérateur dont on parlera encore dans vingt ans. La qualité de l’image est, en plus, époustouflante. Bref, un film-fleuve, épopée enjouée du siècle passé. 2h40 de film où on ne voit guère le temps passer. Un succès ? Oui, mais il y a là aussi les constituants d’un éventuel triomphe.

Le Fil, du grand Auteuil

Comme les bons vins, Auteuil se bonifie avec l’âge. Il n’excelle jamais autant lorsqu’il montre sa fragilité, ses faiblesses, ses doutes. Un acteur donc impeccable pour endosser le rôle d’un avocat pénaliste qui, par humanité, se laisse tenter par la défense en avocat d’office d’un père de famille débonnaire soupçonné du meurtre de sa femme. L’intime conviction comme moteur de l’engagement. Une combativité démultipliée pour atteindre une issue désirée intensément.

L’accusé, joué avec sobriété par un Gregory Gadebois, une fois de plus excellent, est tellement touchant. L’avocat réputé mouille donc sa chemise pour défendre son bonhomme qui ne l’aide guère. Les accusés sont souvent de piètres défenseurs de leur cause. Du dur métier d’avocat d’assise.

Le film est une belle plongée dans la justice du quotidien, laborieuse et parfois ingrate. Auteuil qui est aussi à la réalisation, nous emmène dans un procès relevé autour d’une histoire toute simple. Trop simple ? Le dénouement à double détente est assez inattendu. Mais ce n’est pas le plus important. L’histoire se termine. On aura vécu les atermoiements d’un acteur au jeu très habité qui confirme la première place qui est la sienne dans notre cinéma national.

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