L’Histoire à la 1ere personne du singulier…

Est-il possible de tomber amoureux d’une femme morte il y a 550 ans ? En dehors d’un voyage dans le passé, cela paraît bien improbable. C’est à un tel voyage que nous convie Jean-Christophe Rufin avec « Le Grand Coeur », récit romancé de la vie de Jacques Coeur, le grand argentier de Charles VII. Un récit qui, entre autre, fait la part belle à Agnès Sorel, maîtresse du Roi, mais aussi femme libre avant l’heure. Une femme dont on ne connaît qu’un portrait dans un tableau de Fouquet.

Jean Christophe Rufin a eu la fameuse idée de sortir des oubliettes de notre passé le financier Jacques Coeur, qui a eu un parcours exceptionnel pour son époque, le milieu du XVème siècle. Un entrepreneur pionnier qui a construit une très belle fortune par le jeu du négoce et des échanges de marchandises.

Rufin a un lien particulier avec lui puisqu’il est né à Bourges, cité de Jacques Coeur, et qu’il a rêvé tout jeune devant le Palais du financier. Aussi, il a pris un parti littéraire audacieux : raconter son histoire à la première personne, redonner corps et vie à cet homme plutôt secret dont on sait finalement peu de choses.

C’est une réussite… Ruffin réussit dans un style simple et sans fioritures à rentrer dans un siècle complexe, encore le Moyen Age, mais avec des aspirations de paix et de prospérité économique. Jacques Coeur est le contemporain de Jeanne d’Arc qui va sauver son roi, mais aussi du pape Nicolas V qui ne va rien faire pour sauver Constantinople contre les Turcs. Une période assurément bouillonnante.

Dans ce contexte, Jacques Coeur est un personnage totalement à part. Un business- man avant l’heure, parti de rien, qui deviendra sans doute l’homme le plus riche de son temps, et le créancier de toute la noblesse du moment. Le peu d’informations dont on dispose sur sa personnalité, a laissé le champs libre au romancier. Ruffin en use à bon escient, en faisant de lui un homme dur, complexe mais attachant. Et l’idée de lui prêter une liaison, ou plutôt une secrète vénération pour Agnès Sorel est l’occasion d’approcher une femme étonnante.

Le livre de Rufin se lit facilement. Il n’y a pas le souffle des histoires purement inventées où l’intrigue se veut rebondissante. C’est plus linéaire, avec une vie de labeurs dans un siècle d’intrigues. Jacques Coeur découvre petit à petit que sa réussite va susciter la jalousie du roi et qu’il est à terme condamné. Malgré cela, il reste là, par fidélité et par une certaine lassitude. L’homme finira, tué par des spadassins sur l’île de Chio, après des aventures rocambolesques.

Il est dommage de réaliser que Coeur n’est guère connu au-delà de Bourges et de sa région. Une ville qui était alors le poumon de la France… Ce livre le rétablit pour la postérité, même si c’est sous l’effet de l’imagination féconde d’un grand écrivain. Mais l’esprit est là, et justice est faite pour réhabiliter l’homme qui a cru, avant les autres, que le progrès ne passait pas par les armes, mais par l’échange entre les peuples.

 

Agnès Sorel en vierge par Fouquet