Confessions d’un avocat…

Sa bonne bouille de gros nounours est connue de tous. L’homme est un grand avocat pénaliste. Un des meilleurs. Un homme que l’on devine exigeant quand il se hasarde à venir sur les plateaux télé. Il a une haute vision de sa mission d’avocat de la défense. Aussi, une conception sans concession de la Justice.

Alors, quand Maître Dupond-Moretti se lance sur scène pour parler de son métier, l’occasion est belle d’interrompre le manège de nos préoccupations quotidiennes pour aller écouter un vieux sage qui, comme un philosophe grec, vaticine du haut de son estrade sur la marche de notre société. Un exercice jouissif qui esquinte nos comportements et nous rappelle à nos devoirs.

Quelle belle soirée !… Nous avons écouté « l’artiste » comme lors d’un grand procès, quand vient le temps de la plaidoirie de la défense. La faconde de l’avocat est superbe ; il nous parle de lui, de ses origines, de ses débuts, de ses grandes rencontres tant de grands confrères que de petits malfrats parmi ses clients, de ses affaires, de ses procès… C’est un livre d’histoire de la justice, raconté par un de ses plus grands interprètes.

Mais l’homme ne se satisfait pas de ce rôle de chroniqueur auprès d’un public passif, friand d’émotions judiciaires. Vient vite le temps du réquisitoire. Et là, le public est réveillé en sursaut, pris à partie, houspillé, grondé… La bêtise des réseaux sociaux est mise en exergue. Notre propension à déverser nos jugements sans procès, ni débats contradictoires, dans les débats de société qui montrent du doigt et concentrent l’opprobre sur des hommes qui n’ont pas encore affronté la justice. Ou encore la croisade au nom de la morale qui envahit les organes de presse sans retenue, ni nuances, juste pour faire de l’audimat. Hélas, comme le souligne, Dupond-Moretti, le temps des médias n’est pas celui de la justice.

Le ténor du barreau nous tance pour ne pas hurler avec les loups, prêter notre voix à des  condamnations instantanées. Et de résister aux ligues de vertu auto-proclamées. Il rappelle l’affaire Dominique Baudis, homme politique cloué au pilori pour des choses ignobles, avant d’être déclaré innocent des faits reprochés. Et l’avocat de gauche s’étonne derechef que deux journalistes d’un journal du soir avaient en 2017 en leur possession l’intégralité du dossier Fillon, alors que ce dernier et ses avocats n’y avaient pas accès.

Au final, ce spectacle est un grand catharsis de nos égarements collectifs pour faire évoluer nos comportements. C’est aussi un moment d’intelligence et d’éblouissement de la raison, comme savent si bien en user les as de l’éloquence. Heureusement, le réalisateur a su mettre tout le texte du spectacle dans un livre « Eric Dupond-Moretti à la barre » ( Editions Michel Lafon ). Un petit livre de 95 pages qui se lit comme du petit lait, avec le sourire aux lèvres.

Je ne résiste pas à en extraire trois citations :

« Rien n’est plus facile que de dénoncer un être abject. Rien n’est plus difficile que d’essayer de le comprendre » Dostoïevski

« Lorsqu’un crime est commis, qu’un suspect est arrêté, l’opinion publique, cette prostituée qui tire le juge par la manche, ne considère que ce qu’elle veut ».

« Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel : c’est l’invasion des imbéciles. » Umberto Eco