« Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
« Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur le i du verbe aimer;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le coeur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! »
Comment parler aussi bien d’amour ? Peu l’ont fait depuis Edmond Rostand et son chef d’oeuvre « Cyrano de Bergerac ». La pièce la plus jouée du répertoire français, un morceau de bravoure, une subtile histoire d’amour, une tirade d’anthologie qui a irrigué de son panache tout le théâtre depuis sa création en 1897.
Tous les écoliers gardent en mémoire la tirade du nez qui leur a fait aimer la littérature. Ou les merveilleux mots d’esprit d’un Cyrano, quintessence sublime de l’esprit français. Insulter un ennemi en vers, c’est assurément mille fois plus forts que toutes les trouvailles sémantiques du Capitaine Haddock !… Avant tout autre, Rostand nous a fait aimer les mots, et la musicalité des alexandrins.
Alors pourquoi ne pas remonter ce fleuve jusqu’à sa source ? C’est à cette expédition que nous convie Alexis Michalik dans une pièce qui brille de mille feux sur le fronton du théâtre du Palais Royal, « Edmond ».
Quelle pièce !… Un récit de la genèse. Aux sources d’un chef d’oeuvre. Un exercice délicat pétillant d’intelligence qui nous entraine dans une farandole survoltée avec une bande de comédiens en état de grâce. Au milieu d’eux, le dramaturge Rostand est là, en panne d’inspiration, désespéré… C’est rassurant de penser que l’auteur de la plus belle pièce du répertoire a accouché dans la douleur. Le processus de la création – sans doute imaginé ou fantasmé – est passionnant car il est parfaitement crédible. Le spectateur, confiné dans son petit fauteuil d’une salle pleine et surchauffée, est happé par cette naissance qui s’opère dans des scènes électriques qui s’enchaînent encore plus vite qu’un spectacle de boulevard. C’est magique !… Ou comment créer un chef d’oeuvre en captant l’air du temps.
Le tour de force du réalisateur est d’avoir créé une véritable osmose entre ses comédiens. Aucun n’émerge. D’ailleurs deux équipes différentes de comédiens se relaient, d’un soir à l’autre, pour tenir la distance d’une pièce qui restera longtemps à l’affiche, je suis prêt à le parier… Tous ces jeunes et moins jeunes acteurs sont au service d’une aventure commune : rendre le plus bel hommage à l’auteur de notre Cyrano national.
C’est une réussite totale !… A la fin, le monsieur Loyal du spectacle rappelle que lors la première représentation de Cyrano, il y eut quarante rappels et que, de guerre lasse, le régisseur finit par laisser le rideau levé. Cyrano avait touché au coeur tout un peuple qui se reconnaissait dans le panache de son soldat. C’était le début d’une très longue histoire d’amour avec un bijou de notre littérature.
Allez voir ce spectacle… Cyrano est le ferment de notre communauté nationale.