Les passions humaines sont parfois folles. Mais quand elles se conjuguent avec une froide détermination, cela peut conduire au sublime. Au dépassement de soi, poussé à l’extrême, qui suscite admiration et émerveillement, et en même temps, soulève des questions métaphysiques. Pourquoi se faire mal et se mettre en danger pour mener à bien un rêve impossible ? Il faut être, en effet, bien « frappé » pour envisager de rejoindre la Chine à pied, à partir de Marseille. C’est pourtant ce qu’a fait mon ami Philippe Valery d’août 1998 à octobre 2000. Il l’a raconté dans un livre qu’il m’a offert. Une lecture que j’ai différée pour être dans l’esprit de cette aventure quasi spirituelle. Le confinement dû au coronavirus m’a enfin offert la disponibilité et la maîtrise du temps pour être en phase avec le détachement des contingences propice à une telle lecture. Ce fut un grand et majestueux voyage…
La Chine à pied ? Au moins 9000 kms à travers des régions froides et chaudes, des pays en guerre ( comme les Balkans ou l’Afghanistan ), des pays fermés ( comme l’Iran ), des pays immenses ( comme la Turquie ), insolites ( comme le Turkmenistan ou l’Ouzbékistan ) ou austères ( comme le Pakistan ). Il faut une détermination sans faille pour poursuivre un projet aussi insensé. Surtout quand on s’interdit le moindre trajet en voiture pour ne pas tricher. Il y a là une quête spirituelle, l’expression d’une volonté farouche et d’un besoin d’affirmer son être, au-delà de l’avoir. Pour être notamment fidèle jusqu’au bout à ses rêves.
Philippe nous raconte son voyage de façon simple. Au delà de l’exploit individuel dont il ne tire aucune gloire ( son herbier de photos de voyage ne contient aucune photo du héros ), ce globe-trotter modeste raconte les multiples rencontres qu’il a faites durant son périple. Des gens anonymes, des sans-grades n’ayant pas le sou, petits commerçants généreux, paysans pauvres, bergers et éleveurs bienheureux, enfants déscolarisés au larges sourires, religieux en paix, combattants armés, fonctionnaires corrompus. Tout ce qui constitue notre monde et que nous ne voyons pas car ils sont, le plus souvent, en dehors de nos radars, de nos propres voyages et de nos intérêts. Des gens le plus souvent généreux qui sont heureux d’accueillir un étranger, et offrent gite et hospitalité comme des princes. Une débauche de dons de soi et d’expressions parmi les plus riches qui soient : celles du coeur. On le savait, la marche est la meilleure façon de découvrir un pays. Quand on y consacre, en plus, deux années de sa vie, la moisson peut être incroyablement riche…
Oui, mais quelle aventure ! Philippe s’est mis en danger dans des montagnes solitaires où des loups sont en maraude ; il a évité, de peu, des serpents fatidiques ; il a chuté plusieurs fois ; il a failli se noyer dans un torrent impétueux; il a fait face placidement à des combattants aux intentions obscures ; il a promené sa condition occidentale dans des régions défavorisées où il apparaissait comme une boite de dollars ambulante. Il a eu, au final, une chance incroyable.
Gardons-nous de juger sa témérité avec notre grille de pensée d’aujourd’hui. Tout n’était pas aussi compliqué qu’aujourd’hui au passage du siècle. Surtout Philippe a mis toutes les chances de son côté, en apprenant des bribes de langue ; il est allé au devant de tous, sans arrogance et en étant tout aussi démuni que ses hôtes. C’est un sage, et je suis plus heureux que jamais, à la lecture de ce formidable témoignage, de me compter parmi ses amis.
« Ces sentiers de la soie » sont une vraie réflexion philosophique. C’est un livre à lire pour partir, s’évader et prendre de la hauteur vis à vis de notre confort petit bourgeois. Tous les pays traversés sont beaucoup moins riches que la France. Ils ont pour autant un taux d’optimisme bien supérieur au nôtre. De quoi nourrir notre réflexion, tout en suivant les pas d’un aventurier de la trempe d’Henri de Montfreid ou d’Alexandra David-Neel…