Quand le journaliste demande à Tim Kendall, ancien responsable de la monétisation de Facebook et ex-directeur de Pinterest, ce qui l’inquiète le plus dans le développement exponentiel des réseaux sociaux, il soupire et réfléchit un bref instant avant de répondre. « A très court terme ? La guerre civile. »
Une réponse brutale qui prend un relief particulier, alors que Républicains et Démocrates sont aux Etats Unis à deux doigts de s’étriper, et que chez nous, les exactions d’Islamistes créent des tensions communautaires grandissantes. Comment deux pays aux racines démocratiques profondes ont-ils pu en arriver là ? La faute aux réseaux sociaux, nous dit ce reportage de Netflix, qui mérite à lui seul de s’abonner à la chaîne US ( ou faire comme moi, obtenir quelques heures les liens de connexions d’un abonné ). Sincèrement, cela vaut le déplacement… Jamais je n’avais vu des Américains issus du monde digital tirer, à ce point, à boulets rouges sur le monde qu’ils ont contribué à créer.
Car c’est bien tout le sel de ce film. Il s’appuie sur les témoignages de nombreux geeks de la Silicon Valley, des anciens de Facebook, Google et autres ténors de la tech, qui se sont retirés du circuit, le plus souvent, pour des raisons éthiques. Ce qu’ils racontent, n’est pas nouveau. Mais les dernières évolutions de ces géants des médias semblent confirmer les pires anticipations, de celles qui relevaient encore, il y a peu, du fantasme cinématographique. Par exemple, Steven Spielberg dans son fameux « Minority report »… Connaître tellement notre psychologie personnelle pour anticiper sur le moindre de nos gestes. Une vision de notre société totalement réfrigérante !
Le film démontre bien que ces réseaux sociaux essaient de monopoliser notre attention le plus longtemps possible, en nous abreuvant d’images qui nous plaisent. Plus de trois heures par jour de visionnages sont maintenant monnaie courante, en particulier chez les jeunes. Le film montre d’ailleurs une fiction de jeunes Américains moyens qui sont détruits psychologiquement par la drogue de leur téléphone portable. Et, une fois l’attention captée, notre cerveau devient une machine à absorber des messages publicitaires totalement ciblés sur nos centres d’intérêt. Des publicités, inutile de le dire, très prisées des annonceurs…
Mais la nuisance ne se limite pas à ce matraquage publicitaire. Il y a plus grave. Le reportage montre qu’une recherche sur Google n’a pas les mêmes résultats, selon que vous la formulez à New York ou dans le Midwest. Ainsi, une requête sur le réchauffement climatique débouche, dans un cas, sur des prises de positions en faveur de la Cop21 de Paris, et dans l’autre, sur des thèses complotistes autour du sujet. Si bien que vous tombez rarement sur des thèses qui sont opposées à vos propres conceptions. C’est ce qui est plus incroyable, c’est que les informations sont aussi orientées pour vous plaire.
Le résultat est terrible. Nous sommes tous dans un tunnel d’informations monolithiques qui nous entretiennent dans notre système de pensées, et dans l’illusion que nous avons raison. Aucun élément contradictoire pour appeler à la réflexion et à la remise en cause. Les réseaux sociaux nourrissent l’égocentrisme, et par là-même, l’intolérance. Faut-il s’étonner, dans ces circonstances, que des fermiers de Pennsylvanie voient dans le coronavirus une simple invention complotiste de l’Etat fédéral pour nuire au Président ? Ils sont tellement maternés dans le discours univoque de leurs groupes Facebook, que même une pandémie apparaît comme un nouvel avatar politique. Affligeant et inquiétant…
Si ces thèses sont vraies ( et de nombreux exemples le font craindre ), on comprend mieux le durcissement du débat politique, et la volonté d’en découdre contre ceux qui pensent différemment. Ces derniers sont assurément des gens ineptes, puisqu’ils n’adhèrent pas à la vision du monde dont nous sommes abreuvés.
Bien sûr, ce film est certainement trop négatif, même s’il se termine par un message qui se veut positif. Mais il appelle à la réflexion. Sommes-nous engagés dans une impasse avec ces instruments d’information intrusifs et partiels ? Bravo en tout cas à Netflix d’avoir ouvert le débat de très belle façon…
Belle analyse, qui souligne combien il est important de garder des relations réelles avec de vrais gens dans la vraie vie…
La diversité, qu’elle soit physique ou psychique est indispensable à l’épanouissement de tous. Alors, rencontrons-nous, respectons-nous pour mettre en échec cette stratégie mortifère.