Julian Fellowes, né en 1949, est un touche-à-tout des médias. Le nouveau septuagénaire s’est essayé à beaucoup de choses, notamment le métier d’acteur, de scénariste et de romancier. Avant de remporter un beau succès avec Gosford Park dont on a fait un film, puis surtout de Downton Abbey qui fut un succès planétaire. Le scénariste chéri des plateaux n’a pas oublié d’écrire, et son roman « Passé imparfait » est son troisième livre. Un livre dans la veine de Downton Abbey, mais peut-être plus profond car sociologiquement très piquant.
L’histoire est savoureuse. Un sexagénaire célibataire, romancier à ses heures perdues, reçoit une invitation étrange à venir le voir d’un vieux copain de jeunesse, Damian, dont il s’était séparé violemment au point de le considérer comme un ennemi. Après toutes ces années, que lui voulait-il ? Il découvre un copain, malade en phase terminale qui lui donne une mission : retrouver la fille qui lui a envoyé une lettre anonyme trente années plus tôt pour lui annoncer qu’elle avait eu un enfant de lui. Qui est cette femme ? Damian ne le sait pas. Mais se découvrir un héritier à quelques semaines de sa mort mérite de replonger dans le passé. Cinq filles de leur passé commun peuvent être ces mères potentielles. Malgré leur vieil antagonisme, le vieux romancier accepte par fidélité à leur passé commun.
Ce canevas amusant donne l’occasion de faire revivre la fin des années 60 dans le milieu de l’aristocratie britannique, pétrie de traditions, qui tente de résister au vent frais du changement. Le héros est un pur produit de cette aristocratie, tandis que Damian est un roturier qui tente de s’y introduire pour jouer le rôle du renard dans la basse-cour des « jeunes débutantes ». Cela donne un récit coloré de la vie insouciante d’une jeunesse dont l’horizon se limite à l’oisiveté et à des bals pleins de promesses pour convoler entre soi.
L’auteur Julian Fellowes reproduit la précision chirurgicale de Downton Abbey pour décrire les us et coutumes de l’upper-society. Mais il va plus loin, car son livre parle aussi surtout du temps qui passe, et du constat entre les espoirs promis à une jeunesse dorée sur tranche et la réalité brute et implacable de leur parcours quelques quarante années plus tard. Que sont-ils devenus, ces jeunes avec lesquels on a dansé furieusement durant toute une année ? Un sujet beaucoup plus large que celui de la seule aristocratie… On y retrouve beaucoup de résonances dans notre vie personnelle, car le besoin de redécouvrir des destins personnels est une curiosité communément partagée.
En l’occurrence, Julian Fellows le fait avec beaucoup de finesse. Loin d’être un panégyrique de l’aristocratie et de ses moeurs, le livre est une charge brutale contre le caractère fictif et hors-sol d’une classe sociale tournée davantage vers le passé que vers l’avenir. D’abord séduit par le charme suranné de l’écriture, le lecteur se laisse happer par la violence émotionnelle de ce retour dans le passé.
Le roman est une vraie réussite dans sa construction. Les flash-backs sont pleins de sel, surtout au regard du temps présent. Le personnage principal du romancier dont on ne connaîtra pas son nom, ne se dévoile guère, mais il est détaché du passé et du présent au travers d’un quant-à-soi très british. Enfin, l’histoire se brode autour d’un événement destructeur, un séjour au Portugal, dont on ne connaîtra le contenu quasi jouissif qu’à la fin du roman.
Cette fin est quasi une apothéose, et le roman se révèle alors pour ce qu’il n’était nullement au départ, à savoir une très belle histoire d’amour.
J’ai aimé ce roman extrêmement anglais, mais en même temps, universel dans son rapport au temps qui passe et à des amitiés défuntes. Les personnages féminins sont tous superbement croqués, rendant cette « quête de la femme » très attractive dans une époque lointaine où tout était plus bridé que maintenant. Un joli travail de sociologie et d’évasion romanesque…