Oppenheimer, difficile réhabilitation

Les Américains sont sans complexe. Après avoir célébré leur héros, ils s’attaquent aux personnes plus sombres de la mythologie US. Oppenheimer en est une assurément. L’inventeur de la bombe A qui a transformé en confettis les villes d’Hiroshima et de Nagasaki n’est pas vraiment le personnage qu’on a envie d’aimer. Il n’est pas non plus rentré dans l’inconscient collectif au point que son patronyme fait davantage penser à une marque de spiritueux. Pourquoi alors magnifier pendant trois longues heures ce tueur de masse ? C’est avec ces préventions liminaires que l’amoureux fou du Japon que je suis, a abordé ce film ambitieux qui jouit d’une forte adhésion de la communauté cinéphile. Après tout, un film de Christopher Nolan, cela ne se manque pas, ne serait-ce que pour ne pas passer à côté d’une pépite comme le fut l’inénarrable « Inception ».

Le film est long, un peu bavard. Mais il est précis dans la montée de tension qui a présidé à la fabrication de la bombe. La responsabilité très lourde que des scientifiques de haut vol ont très vite senti tomber sur leurs épaules, s’immisce dans le succès technologique, au point de finir par le vampiriser. Cillian Murphy au regard bleu si expressif rend bien le désarroi d’un homme devenu pantin du pouvoir. Il ne saura pas orienter l’usage de la bombe, comme il l’entendait. Après le premier essai « terrifiquement » concluant, le bébé lui est enlevé, laissé entre les mains de militaires sans scrupules.

Malgré son récit ingrat, ce film a fini par me séduire. Certaines scènes sont si puissantes qu’elles explosent dans le champ de la caméra comme des mini-bombes d’humanité bafouée. La scène avec Truman est réfrigérante, comme le procès en miniature que subit le créateur, trop suspect d’accointances communistes. Le groupe de savants ayant accouché de l’arme la plus destructrice de toute notre histoire humaine ne pouvait pas ne pas finir par se détester copieusement. Surtout que les espions rodent, et avec eux, la paranoïa portée à son paroxysme.

Certains passages du film marqueront à jamais les rétines. Comme l’essai lumineux et éminemment brutal de la bombinette en plein désert. La joie obscène des protagonistes est filmée avec une pointe de vitriol. C’est du grand art de scénariste… Le film excelle dans les effets de la suite, quand chacun prend conscience du monde horrible qu’il a contribué à créer. Un monde de peurs, de dissuasion pernicieuse, de paranoïa non plus humaine, mais à la tête même de nos sociétés.

Bref, au-delà de l’exercice de style parfaitement maîtrisé, « Oppenheimer » ne révèle pas le bon côté de l’humanité. En ce sens, je m’interroge toujours de savoir s’il était vraiment nécessaire de faire ce film.