Michel Bussi est un des meilleurs tricoteurs d’histoires du moment. Il a un vrai talent pour nous emmener avec lui dans des histoires subtiles où les rapports humains sont le sel du récit. Ses personnages suscitent le plus souvent l’empathie et l’adhésion des lecteurs.
Ce nouveau roman est un peu différent des autres. D’abord parce qu’il se passe quasi exclusivement à Rouen, ville bien connue de l’auteur. Mais aussi parce qu’il parle de personnes modestes, une famille de banlieue, qui se bat pour survivre, et n’a pas la vie trépidante des milieux favorisés auxquels l’auteur nous avait habitués. Un quotidien terne arrivera-t-il à capter l’attention du lecteur jusqu’au bout ? Quel scénario alambiqué, cher à l’auteur, va bien pouvoir résulter de la triste condition d’une femme battue par son mari alcoolique ? Elle meurt en début d’histoire poursuivie par cette brute…
Bussi a, toutefois, plus d’un tour dans son sac, et il s’attache à la fille du couple Ophelie qui s’acharne à donner à ce meurtre une autre interprétation, contre toute logique. Une fille qui grandit dans un sentiment de vengeance et souffre d’une maladie de notre époque hélas trop répandue chez des jeunes biberonnés aux réseaux sociaux, appelée par les psychologues le « biais de confirmation ». Autrement dit, la capacité de croire seulement en ce qu’on croit préalablement, et exclure toute opinion contradictoire.
Cette jeune Ophélie, révoltée et profondément humaine dans l’attachement au souvenir de sa mère, suscite, malgré tout, l’empathie du lecteur. Il suit ses aventures Don Quichottesques avec indulgence et bienveillance. Les années passent, et le combat ne cesse pas, malgré les échecs. Bussi finit par ponctuer le récit de quelques indices étonnants qui commencent à nous faire douter. Cette gentille folle n’aurait-elle pas un peu raison ?
Le tour de force de ce roman est finalement de nous faire languir 410 pages sur une histoire toute simple. Il y a là du génie, c’est sûr, mais aussi une maitrise parfaite des relations humaines. On adhère à l’histoire avec ses rebondissements et son dénouement évident, perlé de justice et de préservation de l’avenir. Un joli travail d’artisan… Bussi nous rappelle aussi avec beaucoup d’intérêt les combats des étudiants contre les Lois Juppé de l’automne 1995. Une autre forme de lutte aux ressorts psychologiques également un peu névrotiques. Mais celle-là, on ne peut que regretter son issue. Une victoire à la Pyrrhus qui s’est révélée, bien plus tard, assez négative pour une jeunesse qui défendait des avantages qui ne la concernaient pas.