« L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.
A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en dessus s’affaissent sur les cieux d’en dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner. » Francis Ponge – « le parti pris des choses »
Ce texte qui a été décortiqué par nombre de grammairiens et autres professeurs de français, ne pouvait pas échapper à un amoureux des mots, qui adore, en plus, les huîtres et se cache souvent derrière le pseudo de « l_huitre ». C’est une simple « histoire de perle » aime-t-il à commenter sans la moindre modestie.
Comment ne pas aimer l’huître de Ponge ? C’est une huître charnue, riche, et charmeuse, au style finement ciselé. Une huître qui sait se défendre, et inscrit souvent à son trophée doigts, mains et plaies rougies du sang de l’agresseur. Mais si vous la laissez tranquille, elle peut être d’une placidité à toute épreuve. Elle vous baillera le bon soir ou d’ennui, laissant à voir ses trésors, le temps d’un instant, comme une jeune fille effrontée. Vous n’aurez de cesse, alors, de vous munir d’une zeste pour aller sus à l’impudique. Tout sera bon pour faire tomber ses défenses : un couteau, un opinel, un objet pointu que vous avez sur vous pour faire levier et casser les muscles d’une pudeur presque vaincue. En cas de succès, vous aurez la vue la plus charmante, une verdure d’organe sous une membrane laiteuse, et baignant dans un lit d’eau iodée, une chair tremblante qui se rétracte aux premières giclées citronnées. Alors seulement après cette dure approche, la belle s’offrira à vous. Vous approcherez deux lèvres suaves de sa coupe, vous couperez le cordon d’un petit coup sec et avalerez la pulpeuse avec un léger déglutissement sonore, comme un dernier signe de respect pour sa formidable résistance. N’hésitez pas à renouveler l’expérience. On y prend vite goût… Les huîtres, j’en suis fou !!!