« L’Eté des Quatre rois » se dit un roman. Coquetterie de style de l’auteur, car il s’agit bien là d’une chronique historique. Une excellente même, si vous voulez mon avis, tant on a l’impression de lire un quotidien de l’époque relatant dans le détail les événements de l’actualité. L’actualité d’une quinzaine de jours de l’été 1830 qui ont constitué ce qu’on a appelé plus tard « la révolution de juillet ». Une période assez méconnue, cette révolution-là étant moins riche que celle de 1789 et donc un peu négligée dans les cours d’histoire. C’est pourtant le second coup de boutoir de la République contre la royauté, et le début d’une grande confusion chez les royalistes entre légitimistes et orléanistes, antagonisme qui subsiste toujours près de deux cents ans plus tard. Voilà donc une bonne occasion de replonger dans notre Histoire, d’autant que l’épisode des Gilets Jaunes a montré la propension de notre peuple à s’échauffer très vite. Comme en cette année 1830, révolution-éclair qui n’a pas duré plus d’un mois…
Camille Pascal que j’ai eu la chance de rencontrer, alors que j’étais déjà plongé dans son livre, m’expliquait qu’il a voulu d’abord raconter l’errance d’un Roi, le roi Charles X, poussé à l’abdication et qui va, contrairement à son frère Louis XVI, pouvoir sauver sa peau, en s’échappant avec ses fidèles et quelques troupes loyalistes. Une troupe disparate qui va s’égarer dans la France profonde, sans but, ni objectifs, comme une troupe de saltimbanques, dormant de châteaux en auberges, jusqu’à Cherbourg où le Roi et sa famille vont embarquer, seuls, sur des navires prêtés par l’Angleterre. Ces aventures rocambolesques méritaient vraiment d’être racontées, mais il était difficile de faire l’impasse sur le contexte historique et le déclenchement des événements. D’ou un livre de près de 650 pages, dense et foisonnant où l’historien Pascal s’est amusé à raconter toutes les anecdotes connues de cette période, quitte à les imaginer, en insistant sur les personnages, leurs états d’esprit, leurs actions, les chocs de personnalité, les trahisons, les ressentiments, les bons offices, les fidélités contraintes, le tout dans une débauche de couleurs, de bruissements d’étoffes et d’appels à les « pendre tous à la lanterne ». Un moment de tensions que l’auteur réussit parfaitement à retranscrire…
Certes, cela va parfois un peu trop dans le détail, et le lecteur contemporain peut parfois soupirer. A quoi bon s’égarer dans des sous-récits indigestes qui donnent l’impression d’une course à l’échalote dans l’exactitude historique ? Dans ces moments-là, ce n’est plus guère un roman. Quoi que… Après tout, reproche-t-on à Balzac de noyer le lecteur dans des descriptions sans fin ?
Camille Pascal a surtout eu l’intelligence de mettre en avant quelques célébrités de notre patrimoine culturel : Gilbert de Lafayette, le héros américain devenu âgé qui profitera de cette nouvelle révolution pour faire un dernier tour de piste ; François-René de Chateaubriand, pétri dans une arrogance qui l’isole, mais qui aura une excellente vision de l’impasse royaliste procurée par Louis-Philippe ; Alfred de Vigny, notre poète romantique, viscéralement attaché au Roi et qui attend vainement qu’on le rappelle à ses côtés… La liste n’est pas exhaustive, bien sûr, car ils sont nombreux à avoir vécu ces événements avec passion et opportunisme.
Ce livre se lit avec plaisir, surtout quand on a une fibre développée d’Historien passionné par notre passé en tant que nation. Cette période fut, en effet, un peu folle, avec quatre rois rivalisant pour emporter le trône : Charles X le partant ; Louis XIX, éphémère successeur plutôt « bas de plafond » ; Henri V, le légitime, qui n’avait qu’un défaut, sa grande jeunesse ; et enfin le cousin éloigné Louis-Philippe 1er, qui remportera le sceptre tel un renard dans une basse (très basse)-cour. Mais la place était éminemment éjectable, surtout après s’être soumis au drapeau tricolore qui n’était rien pour les Bourbons, et d’avoir accepté de n’être que « Roi des Français », ce qui revenait à soumettre son trône à leur bon-vouloir.
Les Français sont décidément versatiles, et quand l’habitude est prise de couper la tête des puissants, ils y reviennent facilement… Et de fait, à peine 18 ans après cette seconde révolution, le roi Louis-Philippe devait à son tour fuir dans une retraite jugée par lui « bien pire » que celle du pauvre Charles X.
L’Histoire de France est tellement drôle… Mais Macron devrait quand même se méfier…