« L’homme de Kiev » est une lecture indispensable. Un peu comme « Si c’est un homme » de Primo Levi. Un livre qui traite de l’anti-sémitisme dans la Russie du dernier tsar. Un mal qui était bien enraciné, bien avant l’émergence du nazisme…
Je suis totalement fasciné par le maintien de forts courants anti-sémites dans notre société. On continue à stigmatiser les juifs pour avoir tué Jésus, alors que le christianisme s’étiole dans nos sociétés occidentales. Le mal est ancien, il fait surface au moindre prétexte, et le conflit libano-palestinien n’est souvent qu’un prétexte pour faire ressortir la pieuvre de sa boite. Quel acharnement contre ce peuple !
« L’homme de Kiev », écrit par un auteur juif américain dans les années 60, est un livre coup-de-poing sur ce mal endémique qui était déjà virulent dans les années 1910. Les juifs étaient des boucs-émissaires faciles face aux échecs de la politique tsariste.
Des mouvements nationalistes puissants luttaient contre ces parasites qui polluaient le sang russe. Et c’est de sang justement qu’il est question dans la mise en cause d’un artisan juif, Yakov Bov accusé d’avoir tué un jeune garçon russe, pour puiser son sang et en faire des gâteaux…
La seule erreur de ce juif est d’avoir voulu sortir de son quartier réservé en se faisant passer pour un chrétien et apporter son savoir-faire à un riche exploitant russe. Il connaît un semblant de succès qu’il vit mal comme un imposteur, allant jusqu’à repousser les avances de la filles de son patron. Jusqu’à la découverte d’un petit cadavre et les soupçons qui s’accumulent sur lui.
« L’homme de Kiev » est un livre qui parle d’enfermement. Près des trois quarts du livre se passent dans une prison austère où il ne se passe rien. Le suspect y est enfermé avant son procès qui est reporté de mois en mois, et soumis à une pression psychologique terrible pour qu’il avoue. L’auteur Bernard Malamud nous fait partager les souffrances et les états d’âme de son Yakov, pauvre hère broyé dans la machine impitoyable d’une justice qui ne l’est que de nom. Il réalise au final que son affaire ne le concerne plus, elle concerne la volonté de mettre sur le dos des juifs tout le mal de la société. Et un juif qui ne participe pas à cette vision de la société doit se soumettre ou mourir à petit feu. Terrible, près de 30 ans avant Hitler…
Ce livre n’est pas une lecture facile. Tenir quelques centaines de pages sur un scénario si mince est éprouvant. On sent que l’auteur a voulu transmettre l’évolution psychologique de son héros où percent la souffrance, l’incompréhension, le rejet de soi. Son Yakov symbolise, à lui seul, tous ses compatriotes qui restent mal-aimés et souffrent des pires injustices. C’est puissant et cela reste une forte dénonciation.
Un livre à lire pour dénoncer définitivement le fait qu’un homme ne peut être jugé sur ses seules origines.