C’est une excellente idée de replonger dans les années d’occupation au prisme d’un hôtel de luxe où se retrouvent officiers allemands et collabos notoires pendant quatre années de libations et d’acoquinements. Une petite société qui fait « comme avant », en pactisant plutôt « plus » que « moins » avec l’ennemi autour des cocktails dispensés par le discret barman Franck Meier, autrichien d’origine, mais ancien poilu attaché à la France et au souvenir de son ancien chef d’unité, le Maréchal Pétain. Un homme sans relief qui se définit comme « peu courageux », mais n’en est pas moins bon observateur du petit microcosme qui s’agite autour de lui.
Des personnalités du monde des lettres et des arts comme Guitry, Gabrielle Chanel ou Arletty, mais aussi des officiers allemands francophiles comme Ernst Jünger, Hans Speidel et Karl-Heinrich von Stülpnagel ( les deux derniers s’illustrant dans l’attentat contre Hitler en juillet 44 ) qui s’épanchent à tour de rôle dans les vapeurs d’alcool. L’ambiance est quelque peu hors du temps dans ce Ritz, préservé du rationnement et de la faim. Mais la menace rode surtout pour les résidents juifs comme Blanche Auzello, femme de l’ancien Directeur qui reste confinée dans sa chambre. Le barman Frank en est amoureux, et pour ses beaux yeux, il se hasarde à procurer des faux papiers aux Juifs désirant fuir.
Le livre est excellent dans la description de cette population repliée sur elle-même dans sa condition de « profiteurs de guerre », parfois sans vergogne. Même le héros, ce barman sympathique, s’enrichit, mais il a, lui quelques états d’âme. Comme pour se donner bonne conscience, Il aide à faire partir un jeune commis juif. Les soirs s’enchaînent autour de ses bouteilles, et le climat se tend, au fur et à mesure que l’Allemagne enregistre des défaites sur les champs de batailles. La Gestapo plane autour du lieu qui est préservé par les hauts officiers allemands qui aiment y trouver un peu de douceur dans un monde de brutes.
L’auteur Philippe Collin raconte sans prendre parti, notamment autour de ces Français célèbres qui ont accepté la compagnie des « boches ». Certains vont ensuite en souffrir. Mais tous sont assez lucides et quelques échanges, sans doute, puisés dans la réalité, sont joliment piquants.
C’est un roman, mais jouant avec des personnages réels. Le descriptif du contexte est profond, traduisant un beau travail d’enquête préalable. Surtout, cela parle d’une période que beaucoup ont voulu tout de suite oublier. L’amnésie a régné sur ces années noires. Le livre est donc un travail d’historien, avec des personnages historiques se démenant frénétiquement ou passivement dans une situation qui les dépasse. Un bon livre assurément…