Catherine Nay est une journaliste qui ne m’a jamais fait vibrer. Je la trouve froide, hautaine, distante, tellement peu chaleureuse qu’on peut la suspecter de misanthropie… Mais il est vrai qu’elle a évolué depuis le milieu des années 60 dans le milieu le plus macho qui soit, celui de la politique dont les acteurs – quasi tous des hommes – sont tiraillés par une libido délirante. Il y a donc dans la retenue de cette journaliste sûrement de l’auto-défense car elle a côtoyé de sacrés cocos.
Son livre de souvenirs est passionnant. Surtout quand son récit correspond aux années où l’on a soi-même éveillé sa conscience politique au contact de l’actualité des années 70 et 80. Le livre nous replonge dans ces années-là avec une aisance incroyable. le récit est fluide, instructif, amusant. Il fourmille d’anecdotes. Mme Nay était au coeur de l’actualité qui se faisait au quotidien, très proche de la droite notamment, puisqu’elle s’était partagé l’échiquier politique avec Michelle Cotta qui couvrait davantage la gauche dans les équipes de l’Express, puis d’Europe n°1.
C’est assurément une femme de droite, mais ses opinions sur les uns et les autres ne sont pas manichéennes. Elle encense ici ( à droite, Chaban-Delmas, Pompidou ) et là ( à gauche, Pierre Mauroy, Maurice Faure ), et quand elle use de la crécelle urticante de la critique, c’est toujours sur la base de comportements et de faits dont elle a été témoin. On peut considérer que ce sont des événements futiles, mais d’un autre côté, elle a eu l’immense privilège d’approcher ces monstres de la politique dans leur intimité. Cela permet sans doute de se faire une vraie opinion de la personnalité des uns et des autres, loin du prisme déformant des médias, des passions politiques et de l’idéologie.
Cela donne un récit assez jouissif qui relate dans le détail les petits calculs de la vie politique, et remet en situation le débat politique d’une époque riche où l’affrontement droite/gauche était brutal, ainsi que celui au sein d’un même camp. Le plus intéressant est assurément la galerie de portraits qui s’en dégage : Olivier Guichard ( dont la carrière a été bloquée par Yvonne de Gaulle pour cause de vie personnelle trop dissolue ) ; Jacques Chirac qui ne sort pas totalement grandi du récit, et VGE qui s’en sort à peine mieux ; Marcel Dassault, personnage surprenant qui est un roman à lui-seul ; Jean-Louis-Servan-Schreiber, chevalier anti-gaulliste acharné qui s’est abîmé ensuite dans des dérives don-quichottesques ; Louis Joxe qui se fait tailler un costard haute-couture dans quelques souvenirs délicieusement assaisonnés, et enfin François Mitterrand qui se fait déboulonner du piédestal de l’histoire par son comportement de monarque, affreusement calculateur, ne méritant guère l’idolâtre qu’il a suscité. J’avoue avoir vibré à ces passages qui correspondaient bien à la vision que j’avais déjà, à l’époque, du personnage.
Mais les souvenirs de Mme Nay sont très loin de se résumer à cette charge anti-mitterrandienne. L’histoire des médias, du journalisme politique, et les aventures entrepreneuriales de l’Express et d’Europe n°1 apportent une forte densité à cette rétrospective politique. C’est comme si un projecteur s’éclairait dans votre mémoire sur une organisation de la société qui vous était familière, mais que vous aviez oubliée. Un petit retour dans le passé au goût de nostalgie, raconté par une grande dame qui mérite sans doute mieux que l’image rapide qu’on a d’elle… Un livre qui vaut le détour…