Illusions Perdues de tout temps

« Il devait cesser d’espérer et continuer à vivre », telle est la dernière phrase du film ( du livre ? ) et elle résume bien le caractère désenchanté et le jeu de faux semblant matiné de cynisme dans lequel nous plonge cette superbe évocation du roman de Balzac. Ah que ce roman est contemporain dans sa dénonciation d’un monde vain, qui ne s’attache qu’à l’écume des choses !… J’ai vraiment exulté à certains passages tant ils semblaient adaptés à notre monde contemporain. Rien ne bouge à travers les époques, et notamment la puissance de l’argent, la vacuité des êtres, la vanité, l’égocentrisme, l’absence de morale, le plaisir de salir et de tuer par les mots. Un joli melting-pot de tout ce qui fait la laideur de l’âme humaine, et que Balzac, grand contempteur des travers de son siècle, dénonce avec une volupté exubérante.

Ce film est une bénédiction. Il sort de la poussière un livre que la majorité d’entre nous ne lira jamais pour montrer que tout ce qui fait notre siècle était déjà dans les gênes des précédents. J’ai adoré cette dénonciation de la bêtise, du buzz, des polémiques stériles, de la caricature outrancière pour faire vendre. Un moteur qui fonctionne encore parfaitement, il suffit de voir le traitement de l’actualité par une Elise Lucet, plus engagée dans la stigmatisation que dans l’information. Ah que ce petit monde est beau ! Balzac nous fait vibrer jusque dans chaque scène. Le film est en véritable correspondance avec l’esprit de l’auteur. Il est parfaitement secondé par une distribution éblouissante avec le jeune Benjamin Voisin, magnifique Lucien de Rubempré. Tous les autres acteurs sont à l’unisson, et la jeune Salome Dewaels en Coralie a un jeu fiévreux qui rappelle la phrase de Balzac : « l’humilité de la courtisane amoureuse comporte des magnificences morales qui en remontrent aux anges ».

Bravo à Xavier Giannoli, le réalisateur, d’avoir mis en ébullition d’aussi belle manière le marigot des passions humaines. Cela fait réfléchir, le temps de quelques heures, sur le manque d’innocence qui nous caractérise tous. Avant de replonger dans la bataille, puisque la comédie de l’existence se poursuit sous nos yeux et que nous en sommes les acteurs, engagés involontaires, le plus souvent, mais pris à notre corps défendant dans un tourbillon irrésistible.