Voilà un Goncourt bien étrange… Le plus original qui soit. Très différent de tous ceux qui l’ont précédé. Mais en même temps, ce livre est un travail si finement ciselé, comme un bijou de haute-couture, qu’il aurait été anormal de ne pas le distinguer. Il se lit comme un polar « à l’américaine », avec une longue entrée en matière, fourmillante de personnages, dont on s’aperçoit bientôt qu’ils ont tous vécu un événement commun. Puis l’action se précipite, atteint un paroxysme inattendu, avant de laisser retomber la tension jusqu’au bout du roman. C’est puissant, captivant et déstabilisant…
Un auteur français qui bat les Américains sur leur propre terrain, cela méritait bien une ovation en forme de cocorico… Ce qui est captivant quand on se pique un peu d’écriture, c’est le travail de titans que l’auteur a entrepris pour rendre son action crédible. Quand il parle des arcanes des services secrets de la machine administrative US ou quand il évoque les différends entre communautaristes religieux, il est toujours dans le bon tempo, le ton juste, le détail qui fleure bon le réel… Le roman est plein de ces accents de vérité qui accréditent un scénario sur le papier invraisemblable. Il y a assurément derrière cet écrit, un travail préparatoire impressionnant. On ne peut s’empêcher de chercher la photo de l’auteur Hervé Le Tellier pour essayer de comprendre, sur son faciès, comment une histoire pareille a pu germer dans sa tête. Interrogations qui restent bien sûr sans réponses…
La seconde partie est la plus intéressante, car elle prend un tour philosophique. Face à un événement impossible qui vous touche au plus profond de votre être, seule la pierre philosophale semble en mesure de vous venir en aide. Vivre en connaissant son avenir immédiat est une vrai gageure métaphysique. Sur ce dernier développement, Le Tellier n’est pas totalement convaincant. La rencontre de chacun avec soi aurait mérité parfois un peu plus de profondeur. Mais ce n’est qu’un roman, et non pas un traité de philosophie. Donc soyons indulgents… D’ailleurs, l’auteur réussit une mise en situation, abyssale de réalisme, des médias américains dans leur façon de façonner et de manipuler l’information pour faire « de la fichue bonne télé ». La scène est sur-réaliste avec des interviewées, sommées de répondre par rapport à ce qui sera le mieux perçu de l’audimat. La charge contre cette télé pervertie est saignante, mais hélas trop bien réaliste…
Finalement, si j’ai mis seulement 3 étoiles, c’est uniquement dû à la profusion de personnages qui nuit à la fluidité du récit. On comprend bien le sens de la chose dans la seconde partie, mais hélas cela fait perdre un peu de l’attention du lecteur. « L’anomalie » est quand même une histoire très étrange, un vrai exercice de style, mené de « main de maître » puisqu’on y croit… Gageons que les Ricains, non rancuniers, sauront reprendre l’histoire pour en faire un film…