« Le gang des rêves », titre mystérieux et poétique, est le meilleur qui soit pour définir ce roman italien un peu roublard qui a bien trouvé son public, en Italie et en Europe. Il raconte un nouvel épisode du rêve américain chez des migrants italiens sans le sou. Une mère et son jeune fils, Natale, devenu par le jeu de l’américanisation à marche forcée « Christmas ». Un « nom de nègre », comme il le déplore lui-même, qui ne va pas empêcher le jeune garçon de faire son trou dans la grande pomme. En flirtant avec une vie de gangster qu’il vivra davantage en rêve que dans la réalité. Ce qui va accessoirement le sauver…
Pour écrire ce beau roman, Luca di Fulvio ( une consonance parfaite pour un patronyme dont on se souvient ) s’est inspiré assurément de « Il était une fois en Amérique », somptueusement mis en image par son compatriote Sergio Leone. Le choc des mafias juives et italiennes, des jeunes garçons de la rue plein d’ambitions et un personnage féminin lumineux, Ruth dans le roman, Deborah dans le film, voilà une trame commune qui met tous les cinéphiles, adorateurs du film de Leone, en territoire connu. Pour corser l’intrigue, l’auteur se permet de noircir le tableau avec la mère contrainte de jouer la putain pour faire vivre Christmas ( quelques pages bien glauques à la clef ). Ce dernier est réduit à jouer les utilités auprès des gangs, quitte à créer son propre gang, les Diamond Dogs. Tout semble rouler pour une histoire bien balisée.
Et finalement non… Le scénario tourne dans une direction inattendue. Celle du rêve américain d’une réussite là où on ne l’attend pas. Fidèle à l’idée que dans une ruée vers l’or, mieux vaut être fournisseur de pioches que chercheur de paillettes. Mieux vaut créer la légende que de prendre le risque de la vivre. Un virage rusé qui donne le sourire par la justesse de son propos. Les rêves sont souvent le meilleur des moteurs.
Pour dresser son intrigue, l’auteur nous compose une réalité sociale forte, avec des personnages savoureux. Le récit fourmille de détails, de personnages secondaires, d’anecdotes sur la vie de gangster dans le New York des années 20. Avec une incursion à Los Angeles dans le Hollywood des origines où le cinéma connaît son âge d’or. Un cinéma qui reproduit fidèlement la société violente dans laquelle il a germé, notamment dans sa dimension sexuelle. L’auteur nous raconte que les premiers films muets étaient aussi pornographiques, ce qui n’est pas resté dans l’histoire. Un cinéma qui ne laissait pas, en tout cas, la part belle aux jeunes starlettes, chair à canon des appétences masculines. « Le gang des rêves » raconte aussi ce type de cauchemars.
L’histoire d’amour qui repose sur un viol, est torturée, sinueuse et laborieuse. Mais elle reste pure, donnant une colonne vertébrale à l’intrigue. Quelques petites erreurs, quand même, avec le personnage de « Bill », odieux et brutal, qui n’apporte rien au récit, si ce n’est de la sulfure. Et l’occasion de faire une digression vers le cinéma et Los Angeles. Il y a là une volonté littéraire de faire un peu de surenchère. C’est de bonne guerre, pour épater le lecteur. Après tout, même en littérature, le sexe contribue à faire vendre.
Le roman est globalement un grand succès. Il nous fait voyager dans le temps, et réaliser que nos grands-parents ne vivaient pas dans un monde de bisounours. Une vision européenne de l’Amérique qui enlève un peu du mythe, tout en le célébrant d’une autre façon. Astucieux assurément !