COULEURS DE L’INCENDIE

Les romans de Pierre Lemaitre sont une telle perfection romanesque qu’il n’était pas pensable que le cinéma ne se penchât pas à nouveau sur cette belle histoire de Monte-Cristo au féminin. La revanche est un si beau moteur des passions humaines. Déjà « Au revoir, là-haut » avait marqué les esprits avec cette flamboyante gueule-cassée de retour du front qui se venge de tous les planqués de l’arrière qui l’ont envoyé au casse-pipe. Il y avait là matière à un beau scénario, avec l’aide de l’auteur, très impliqué.

Clovis Cornillac, l’acteur, s’applique donc à mettre en images ce fabuleux récit de spoliation d’héritage dans les années 30, au détriment d’une faible femme trop confiante. Il le fait avec beaucoup d’intensité, et le renfort de bons acteurs, tous excellents dans leurs rôles, notamment Olivier Gourmet, en beau-frère couard et Jeremy Lopez en journaliste véreux. L’image est belle, les lieux majestueux à souhait, la reconstitution historique minutieuse, à part quelques détails mineurs comme ces plots anti-voitures devant l’Assemblée Nationale. Le spectateur se laisse happer par un récit fluide, à l’ancienne, où l’objectif est de rester fidèle à la trame du roman. Ça marche !…

Mais, pour l’ancien lecteur du roman, il y manque un petit grain de fantaisie, ce petit truc qu’avait trouvé Albert Dupontel pour magnifier le roman, tout en le dépassant même par un ton décalé et accusateur. En d’autres termes, le film est bon, mais il ne soutient pas tout à fait la comparaison avec « Au revoir, là-haut » que Dupontel avait porté de tout son talent pour en faire sans doute le plus beau film de la décennie. L’histoire n’est certes pas la même, mais la charge contre les ambitieux et les manipulateurs est aussi forte d’un roman à l’autre. En tout cas, les deux films auront touché leur cible s’ils incitent le spectateur à plonger dans les romans. Pierre Lemaitre est l’Alexandre Dumas de notre époque. Ce qui nous ouvre de belles perspectives d’adaptations cinématographiques pour les années à venir. Avec la touche personnelle de chaque réalisateur, bien sûr, et donc un moyen d’identifier l’aisance de chacun dans l’exercice.

On s’en lèche les babines d’avance…