Ken Follett est un auteur prodigue. Ses romans sont tellement nombreux qu’il est difficile de choisir. En général, je suis toujours sur la défensive face aux « serial writers ». Un roman est d’abord une rencontre entre un écrivain et une histoire. Alors débiter des histoires comme des « petits pains », cela me crispe par principe. L’écriture n’est pas un métier, plutôt une grâce passagère…
Le « Code Rebecca » : j’ai pioché l’idée chez une Babeliote, fan de l’auteur. Un récit d’espionnage dans l’Egypte des années 40, quand Rommel et les troupes de l’Afrika-Korps menaçaient l’occupation anglaise, voilà un scénario qui fleure bon l’aventure. Et puis, c’est un livre dont on a fait un film ( pas une grande réussite au box-office ), signe que le récit était suffisamment riche. Bonne pioche !
Déstabilisant… C’est le ressenti immédiat face à ce livre. Une réaction instinctive parce qu’il parle d’une chose rare, presque tabou, à savoir l’addiction sexuelle chez une jeune femme qui cède aux avances, quand elle ne les provoque pas, de nombreux hommes de passage. Une femme esclave de ses pulsions que le vulgus pecus affuble d’adjectifs injurieux, alors que la version masculine de ces comportements suscite, plus souvent, des commentaires flatteurs, ou au pire, une certaine forme d’indulgence. Après tout, les femmes ont acquis leur indépendance, la liberté vis à vis des choses du sexe et la maîtrise de leur corps. Pourquoi ne seraient-elles pas aussi à l’affût du plaisir à l’état brut ?
Pourquoi se sent-on, malgré tout, un peu gêné par l’histoire d’Adèle ?
Eric-Emmanuel Schmitt est un merveilleux conteur. En général, je ne suis pas très amateur de nouvelles, le lecteur ayant souvent la frustration d’une histoire qui se termine trop tôt. Mais cette fois-ci, les quatre histoires sont parfaitement équilibrées, et le plongeon dans l’histoire qui suit, est vite assez submersif pour oublier l’histoire précédente. Et quel joli cocktail d’histoires !…
Notre auteur lyonnais qui ne cache pas son christianisme, a décidé en quatre merveilleuses histoires de raconter la force du pardon.
Voilà un Goncourt bien étrange… Le plus original qui soit. Très différent de tous ceux qui l’ont précédé. Mais en même temps, ce livre est un travail si finement ciselé, comme un bijou de haute-couture, qu’il aurait été anormal de ne pas le distinguer. Il se lit comme un polar « à l’américaine », avec une longue entrée en matière, fourmillante de personnages, dont on s’aperçoit bientôt qu’ils ont tous vécu un événement commun. Puis l’action se précipite, atteint un paroxysme inattendu, avant de laisser retomber la tension jusqu’au bout du roman. C’est puissant, captivant et déstabilisant…
« Au Soleil Redouté », la référence à la chanson de Brel est explicite, une des ses plus belles, « Les Marquises ». Ces îles perdues du bout du monde dont le poète chanteur était tombé amoureux. Bussi nous y transporte dans un nouveau polar exotique et déroutant, qui s’approche de l’exercice de style.
Beaucoup y ont trouvé des références à Agatha Christie et ses « 10 petits nègres ». Certes, mais je trouve plus pertinent le rapprochement avec « le crime de l’Orient Express » : une même unité de lieu; un confinement géographique; des personnages pris dans la nasse, sans échappatoire; des ramifications souterraines entre les protagonistes; un inspecteur parmi les voyageurs qui enquête…
Dans la région lyonnaise, les aventures du commissaire Abel Severac commencent à être un vrai succès d’édition. Pensez-donc, six romans publiés à ce jour chez les Editions AO, qui se passent chacun dans des arrondissements différents de la ville de Lyon. Cela nous promet donc encore trois opus, et c’est une excellente nouvelle…
Rouge Vaise est le second livre que je découvre après « L’inconnu de la Tête d’Or » que j’avais adoré. Il est vrai, je suis Lyonnais, attaché à ma ville de naissance et suis flatté que l’auteur, Jacques Morize, un Parisien exilé en bord du Rhone, de Saone et du Beaujolais se soit entiché de ma ville de coeur au point de délicatement la magnifier dans chacun de ses romans. Avant d’être des polars délicatement ciselés, les romans de Jacques Morize sont une vraie déclaration d’amour à la ville de Lyon, célèbre pour ses chefs en cuisine, sa rosette, ses grattons et ses bords de fleuve où il fait bon flâner, les yeux rivés sur la basilique de Fourvière.
Je suis toujours épaté quand un auteur contemporain arrive à retranscrire une époque lointaine avec minutie, au point qu’on se sent obligé de vérifier si l’on ne s’est pas trompé sur sa date de naissance. Arriver à raconter les années 1880 en donnant une texture au récit dense et patiemment tricotée relève d’un travail d’historien. Et on sourit à ces retours en arrière qui se situent dans les années 1840 ou encore à celles de la guerre de Crimée. Mais oui, bien sûr, cela a l’air tellement naturel.
Robert Goddard est un écrivain britannique très prolifique. Et on peut le créditer d’un certain savoir-faire pour nous raconter une histoire. C’est long, dense et totalement immersif. Replonger tous les soirs après le bureau dans le Londres des calèches de l’époque victorienne m’a procuré beaucoup de plaisir.
C’est le roman le plus personnel du prince de l’image aux yeux bleus dont le récent décès nous a tous laissés orphelins de son intelligence, de son élégance, de son humour et d’une certaine forme de fulgurance d’esprit « à la française »… Il y raconte avec sa verve habituelle sa propre famille, aristocrates de pères en fils depuis la fin des temps, qui va connaître sa chute au milieu du XXème siècle. Grandeur et décadence d’une famille à qui souriait la vie, et qui se laissait vivre de manière monolithiquement oisive. Jusqu’à ce que l’émergence de la République, les guerres, la modernité triomphante, les changements de moeurs, le droit civil, les combats politiques et enfin la disparition de Dieu fassent voler en éclat une entité collective pour la ramener à des individus luttant pour leur propre survie.
Un livre ethnologique en premier lieu, qui surprend le lecteur dans de multiples aspects. Le livre se veut familial, mais le narrateur, né d’un père mort à la guerre en 1917, est plus âgé de 15 ans que notre cher académicien. Le livre ne contient quasiment aucun dialogue ; il n’est guère autocentré sur ce narrateur dont on ne sait quasiment rien. On ne découvre qu’aux deux tiers de l’ouvrage qu’il s’appelle « Jean ». Et tout ce qui concerne sa vie, est quasiment occulté. Est-ce de la pudeur ? Ou de la distanciation ?
Que ferions-nous si nous avions la possibilité de reprendre notre vie d’adulte à zéro, revenir à nos vingt ans ? Referions-nous les mêmes choix ? A cette question, Marilyse Trecourt, auteur prolixe dans le registre « feel good » s’efforce de répondre avec un roman d’anticipation, « Le bonheur est un papillon ». Sympathique et bien léché. L’auteur que je ne connaissais pas a une superbe capacité à croquer la vie dans les menus détails du quotidien. Elle sait raconter une histoire, nous associer au destin de ses personnages et nous embarquer dans une aventure peu banale, (re)vivre dans un deuxième monde parallèle, avec la possibilité de revenir dans le monde d’origine. Pourquoi pas après tout ? On sent que l’auteur a profité de ce scénario pour reprendre les rails semble-t-il communs à ses nombreux ouvrages, à savoir donner, l’air de rien, des conseils de vie, mettre le lecteur dans un petit cocon ouaté où il se sentira bien. Un livre qui dans son titre comprend le mot « bonheur » a nécessairement de grandes ambitions.
Autant l’avouer, je n’ai guère été emballé par cette lecture qui a été rendue possible grâce à Babelio. Je ne veux pas dire du mal de ce livre qui est d’une grande fraîcheur, avec une dose de naïveté qui lui donne un goût particulier. Cette littérature a assurément…
C’est toujours un exercice fascinant de voir un ami se lancer dans l’aventure d’écrire un livre. Au delà de la personnalité que l’on connaît, on y découvre une autre facette de lui, plus artistique, plus sensible. L’ouverture sur le monde de l’imaginaire déplace les frontières. Les mots qui s’articulent dans un long et sinueux cortège plein de sens, retracent au pointillé les traits de celui qu’on croyait bien connaître. L’image bouge; l’esprit se dévoile; les idées fausses sautent joyeusement de leur coquille…Un homme ne se limite jamais à l’idée qu’on s’en fait.
Fort de cette belle perspective, je me suis attelé à lire « la Mémoire en héritage ». Pour son premier roman, Florent de Cournuaud s’est attaqué à un sujet précieux au quinquagénaire que je suis : la transmission, le passage du relais générationnel, pour perpétuer un souvenir, une mémoire, une entreprise. Honorer les anciens, reconnaître leur apport à notre bien-être du moment, réaliser que nous sommes les maillons d’une chaîne qui nous engage.
« L’homme de Kiev » est une lecture indispensable. Un peu comme « Si c’est un homme » de Primo Levi. Un livre qui traite de l’anti-sémitisme dans la Russie du dernier tsar. Un mal qui était bien enraciné, bien avant l’émergence du nazisme…
Je suis totalement fasciné par le maintien de forts courants anti-sémites dans notre société. On continue à stigmatiser les juifs pour avoir tué Jésus, alors que le christianisme s’étiole dans nos sociétés occidentales. Le mal est ancien, il fait surface au moindre prétexte, et le conflit libano-palestinien n’est souvent qu’un prétexte pour faire ressortir la pieuvre de sa boite. Quel acharnement contre ce peuple !
« L’homme de Kiev », écrit par un auteur juif américain dans les années 60, est un livre coup-de-poing sur ce mal endémique qui était déjà virulent dans les années 1910. Les juifs étaient des boucs-émissaires faciles face aux échecs de la politique tsariste.
« Les Refuges » : ce polar très réussi m’a fait penser à ces poupées russes qui s’emboitent les unes dans les autres, au point qu’on ne sait jamais si on a atteint la dernière. « Les refuges » participent de la même expérience, un récit qui s’imbrique dans un autre, lui-même qui devient le réceptacle d’une autre vision de l’affaire, et ainsi de suite, jusqu’au dénouement final qui prend une hauteur inattendue. C’est puissant, sophistiqué, très travaillé l’air de rien, en un mot, un roman qui surprend, captive et parfois indispose. Une belle réussite…
Comment en dire plus sans altérer le plaisir du lecteur ?
Ce livre fut pour moi l’occasion de découvrir Graham Greene, cet écrivain anglais francophile, ayant été espion dans ses jeunes années. « Un américain bien tranquille » a capté mon attention par ce choix de raconter l’Indochine des années de guerre. On parle si peu de cette période, en dehors du désastre de Dien Bien Phu.
Le roman est très déroutant. Si l’auteur arrive à camper merveilleusement bien le contexte historique et l’ambiance d’un pays qui se désagrège lentement sous les effets de la guerre civile, la trame de l’histoire est futile, voire anecdotique. Deux étrangers, Fowler, un reporter anglais cynique et désabusé et Pyle, un espion américain plein d’illusions, se disputent les faveurs d’une femme indochinoise Phuong, d’une grande beauté, mais personnage un peu falot qui semble ne chercher que le confort de vie qu’offre la compagnie d’un occidental. Une femme désirable qui offre du plaisir et sait bien préparer les pipes d’opium avec lesquels Fowler aime s’enfoncer dans les paradis artificiels. Des évasions virtuelles pour ne pas avoir à envisager un retour au pays auquel l’anglais ne peut se résoudre.
Quels sont les moteurs de succès en littérature ? Voilà une question bien audacieuse. Ils sont innombrables, sans doute. Point de recette, cela serait trop facile. L’aléa merveilleux d’un livre trouvant son public en serait amoindri. Il y a là de l’ordre du mystère, de l’inconnu, de l’inattendu… Du non-quantifiable. Et c’est très bien comme cela.
Enfin… pour se risquer à une hypothèse… si on pouvait détecter un seul point de convergence, l’authenticité serait sans doute la pépite commune à tous les écrits qui plaisent. Bien enfouie dans le creux d’une histoire, c’est elle qui renvoie le lecteur à ses rêves. C’est elle qui rend le lecteur accroc à la musique d’une histoire. Même quand les caractères des personnages ne lui parlent pas.
« Le gang des rêves », titre mystérieux et poétique, est le meilleur qui soit pour définir ce roman italien un peu roublard qui a bien trouvé son public, en Italie et en Europe. Il raconte un nouvel épisode du rêve américain chez des migrants italiens sans le sou. Une mère et son jeune fils, Natale, devenu par le jeu de l’américanisation à marche forcée « Christmas ». Un « nom de nègre », comme il le déplore lui-même, qui ne va pas empêcher le jeune garçon de faire son trou dans la grande pomme. En flirtant avec une vie de gangster qu’il vivra davantage en rêve que dans la réalité. Ce qui va accessoirement le sauver…
Pour écrire ce beau roman, Luca di Fulvio ( une consonance parfaite pour un patronyme dont on se souvient ) s’est inspiré assurément de « Il était une fois en Amérique », somptueusement mis en image par son compatriote Sergio Leone. Continuer la lecture de Di Fulvio sur les traces de Leone→
Quand la lecture appelle la lecture… Ma dernière critique portait sur un merveilleux récit de voyage de Philippe Valery, parti à pied jusqu’en Chine. Là, au coeur de l’Ouzbékistan, il avait rencontré un quidam interrogé sur ce que représentait la France pour lui : « le Comte de Monte Cristo ! » fut sa réponse… Peut-on ne pas bien connaître une oeuvre littéraire qui représente son pays au bout du monde ? Non bien sûr… Et de m’enfiler avec gourmandise ce gros pavé de notre littérature.
Monte Cristo est le roman de la vengeance. Un sujet qui parle à tous, surtout quand il s’enrobe d’une narration foisonnante, riche de péripéties et de digressions où le kaléidoscope tourne abondamment avant de composer une trame romanesque. Continuer la lecture de « Monte Cristo », vénéré des Ouzbeks…→
Les passions humaines sont parfois folles. Mais quand elles se conjuguent avec une froide détermination, cela peut conduire au sublime. Au dépassement de soi, poussé à l’extrême, qui suscite admiration et émerveillement, et en même temps, soulève des questions métaphysiques. Pourquoi se faire mal et se mettre en danger pour mener à bien un rêve impossible ? Il faut être, en effet, bien « frappé » pour envisager de rejoindre la Chine à pied, à partir de Marseille. C’est pourtant ce qu’a fait mon ami Philippe Valery d’août 1998 à octobre 2000. Il l’a raconté dans un livre qu’il m’a offert. Une lecture que j’ai différée pour être dans l’esprit de cette aventure quasi spirituelle. Le confinement dû au coronavirus m’a enfin offert la disponibilité et la maîtrise du temps pour être en phase avec le détachement des contingences propice à une telle lecture. Ce fut un grand et majestueux voyage… Continuer la lecture de Un voyage complètement fou…→