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Gladiator 2, plaisant et fade…

Le premier Gladiator avait marqué les esprits avec une évocation de la Rome Antique déchirée par les jeux de pouvoirs, la corruption et l’abandon des valeurs ayant construit la prééminence de la grande cité sur son époque. La puissance de jeu de Russell Crowe, alors jeune comédien peu connu, avait contribué à un succès mérité du film, le consacrant comme péplum le plus réussi de l’histoire.

Une suite, près de 24 ans après , avait-elle un sens ? Un intérêt commercial, en tout cas, au vu du budget faramineux de ce Gladiator 2 qui vise à nous en mettre plein les yeux. Objectif atteint de ce point de vue, car les scènes de combat et de luttes dans l’arène sont d’une belle intensité.

Hélas, la surprise n’est plus au rendez-vous, le film donne une impression de « redite » par rapport à son illustre prédécesseur, sans apporter grand chose de neuf. On découvre quand même ce tandem d’empereurs, Geta et Caracalla, qui n’a fonctionné que pendant la seule année 211 ap JC. Deux êtres falots, mais d’une cruauté sans nom. La mère Lucilla joue sans passion la femme ballotée par les événements entre un mari général victorieux et un fils perdu qu’elle retrouve dans les troupes de gladiateurs appelées à se faire hacher menu. Quant au personnage de Macrinus, le négociant d’esclave, il occupe tout l’espace avec l’abattage souriant d’un Denzel Washington sans limites. Il s’est donné sans doute un vrai plaisir d’acteur, au prix d’une crédibilité du personnage sans doute un peu écornée. Pour ce qui est du jeune Lucius, esclave et combattant de l’arène, il se dépense sans compter, mais Paul Mescal n’a pas le charisme de Russell CroweLe film divertit bien, malgré tout, surtout quand on repère subrepticement des légionnaires romains noirs dans les troupes d’élite de la garde prétorienne. Le wokisme s’autorise décidément toutes les audaces.

Qu’importe !… Le spectateur est là pour se distraire; le film est une vraie réussite. Pas sûr, cependant, qu’il entre dans les annales des meilleurs films autour d’une époque romaine qui continue à nous épater. Les ambitions humaines y sont tellement fortes que cela rassure sur la moindre nocivité de notre vie contemporaine

Murena, BD d’anthologie….

Les Français aiment les histoires se passant dans la Rome Antique. D’ailleurs, nous allons bientôt avoir droit au cinéma à un « Gladiator 2 », près de 24 ans après le premier. Les combats des légions romaines, les luttes de gladiateurs, les débats musclés au sein du Sénat romain, les jeux du cirque, les jeux de pouvoir, les assauts de la tyrannie contre une des premières démocraties modernes : tout y est pour faire des intrigues de l’époque des récits épiques et haletants. De « Spartacus » à « Ben Hur », de « Quo Vadis » à « La Chute de l’Empire Romain », les films abondent pour décrire cette époque fertile.

Dans ce panorama global, un autre genre a trouvé sa place : la bande dessinée. Bien sûr, il y a le fameux Asterix le Gaulois dont les aventures permettent de rendre compte d’une certaine facette de l’occupation romaine. Dans un registre plus adulte, la série Murena apparaît comme un vrai chef d’oeuvre. Les auteurs Jean Dufaux et Philippe Delaby nous racontent l’histoire de Rome avec des dessins d’un fort réalisme et avec des histoires très charpentées.

Lucius Murena, leur héros, est un homme droit qui construit sa route dans une époque, les années 50 après JC, qui sont très mouvementées. Rome est déjà une ville viciée par les ambitions humaines et les luttes d’influence violentes. Les empereurs romains sont corrompus, le pouvoir pervertit et l’assassinat est élevé au premier rang des réponses à toute opposition politique. Cela bruisse de bruit et de fureur, comme dans les films qui nous ont fait vibrer sur cette période.

La série est une pleine réussite. Les auteurs ont fait un gros travail de recherche pour être dans le ton. Les récits sont très proches de la réalité historique, et s’éloignent aussi des réputations façonnées par les siècles. Ainsi Neron, empereur qui est passé dans l’histoire comme un des pires despotes, se révèle plus nuancé, avec un début de règne marqué sous le sceau d’une certaine popularité.

Cette période d’apogée de Rome est stupéfiante de brutalité. Et les femmes ne sont pas en reste, avec Poppée la grande manipulatrice et Agrippine l’intrigante. Le tout baigné dans des dessins où la ville est reconstituée dans ses moindres détails. Le lecteur apprend plein de choses, au travers de nombreux renvois où les auteurs apportent des détails sur les événements et les personnages.

Murena est assurément une des BD les plus abouties pour s’approcher un peu d’une des grandes ères de notre Histoire.

Quand Cannes s’amuse…

Un film étrange… Il attire l’attention par sa Palme d’Or à Cannes. Il joue de l’iconoclasme avec un récit décalé, du sexe, et des paillettes. Il est à moitié en russe, une langue moins en cours depuis les événements d’Ukraine. Il est totalement dans l’outrance, comme son jeune héros. Un jeune immature qui vit au crochet de son père milliardaire. Il nous emporte dans les délires de jeunes oisifs qui dépensent sans compter, et ont une vie dorée sur tranche qu’ils brûlent par toutes les chandelles.

« Anora » est assurément un film qui ne ressemble à rien, sinon à ces vidéos pimentées qu’on trouve sur les réseaux sociaux pour attirer l’oeil blasé de l’internaute. Son récit est aussi futile, sa débauche d’images frôle la provocation, l’excès, l’overdose de mauvais goût… Pourtant le spectateur se fait happer par cette outrance et par un récit à cent à l’heure, sans temps mort, surtout quand la famille russe et ses représentants arméniens se mêlent du conte de fée à la « pretty woman ». Le délire s’installe, et avec lui, les rires des spectateurs. Cela vire à la comédie loufoque, avec des personnages qui se lâchent et deviennent incontrôlables.

Après tout, pourquoi pas ? Le Festival de Cannes devait s’ennuyer et a donné une prime au film le plus déjanté. Celui qui rappelle sous certains aspects la Palme d’or 2019, autrement dit le film coréen « Parasite ». Ici comme là, les parasites sont à l’oeuvre dans leur vie grand-guignolesque.

Y-a-t-il seulement une morale dans tout cela, ou simplement un fil conducteur ? Non, pas vraiment…. Le mauvais goût et l’absence de tous principes sont la norme, et le spectateur exulte devant ces frasques. Au final, au-delà de la bonne poilade, on sort un peu vide de cette forme de cinéma. Le cinéphile reconnaîtra quand même au réalisateur Sean Baker, un vrai talent. Il nous cuisine avec des ingrédients un peu lourds une choucroute bien garnie qui tient bien à l’estomac.

Dernière leçon du vieux Clint

Le voilà le film-testament du vieux Clint !

Le plus prolifique réalisateur américain. Un homme qui nous a fait rêver en tant qu’acteur, avant de nous emporter dans ses propres histoires souvent bien ficelées. Clint Eastwood a un vrai talent pour saisir l’air du temps, cette poussière invisible qui conditionne nos vies et nos comportements, quand ce n’est pas nos emportements.

Avec « Juré n°2 », il aborde notre envie irrépressible de justice, et en même temps notre propension à parfois nous arranger avec elle. C’est connu, la recherche du bien-être personnel est l’alpha et omega de nos contemporains, quel qu’en soit le prix. Quel qu’en soit le prix, vraiment ? nous interroge le vieil homme de 94 printemps. L’illustration de cette question est lumineuse, avec un scénario d’une simplicité confondante. Le fait divers paraît tellement peu alambiqué qu’on se demande comment un scénario peut tenir sur cette trame. Mais c’est sans compter sur les ficelles d’un réalisateur roué qui introduit des petits rebondissements, tenus mais suffisamment prégnants pour faire monter la pression.

Tout serait plus facile, si l’homme n’était pas doté d’une conscience. Bonne ou mauvaise, elle fait son travail de sape, solidement secondée par les remords d’un côté, et l’envie d’aller au bout des choses, de l’autre. L’étau se resserre donc inexorablement, comme un noeud coulant autour de la jolie tête du héros, joué subtilement par l’acteur inconnu Nicholas Hoult. Il est tellement sympathique que le spectateur prend un peu fait et cause pour lui.

Mais la justice ne se mégote pas. La procureur jouée par une Toni Collette ambitieuse et expéditive, avant de se raviser, se révèle une menace grandissante. Qui va gagner ce jeu du chat et de la souris ?

Le dernier ( vraiment ? ) film de Clint nous renvoie l’image d’une société de compromissions qui a perdu ses repères et ses idéaux. Ce n’est certes pas son meilleur film, mais il met joliment un point final à une filmographie ambitieuse qui nous a toujours dérangés dans nos petits conforts. Un grand Monsieur… Il va nous manquer. Nous avons diablement besoin de Jeremy Cricket dans nos mondes très égoïstes….

Un hommage majuscule

Sa musicalité, sa verve et ses paroles scintillantes ont illuminé son époque. Et toute la postérité derrière elle.  « Monsieur Aznavour », le film, rend un hommage vibrionnant au plus grand compositeur de chansons françaises à parité avec Brel et Brassens.

Un film si touchant qu’il se laissera voir et revoir plusieurs fois, tant il est enchanteur pour replonger dans la douce insouciance du Paris des années 50 et faire revivre des monstres sacrés : Edith Piaf bien sûr ( époustoufflante partition de l’actrice Marie Julie Baup qui éclipse toutes celles passées avant elle dans le rôle ), Trenet, Bécaud, Halliday… Le mimétisme est si total que le passé est brusquement réveillé sous nos yeux émerveillés, avec un Tahar Rahim qui ne joue pas Aznavour ; il est Aznavour. Gestuelle, mimiques, voix suave s’emballant parfois dans les tours, tout y est, pour notre plus grand plaisir…  

La folle exigence du « petit » Charles – petit pour ne pas le confondre avec l’Autre qui dirigeait le pays – pour monter toutes les marches de son rêve, au point de s’y perdre parfois un peu, ce travail insensé, cette volonté de rencontrer toujours son public, tout cela a créé simplement du sublime, de l’humanité brute et désespérée dans des rôles divers de docker rêveur, de vieux chanteur désabusé, de saltimbanques colorés ou d’homo triste. Le film synchronise chaque parole avec les expériences de vie de l’auteur, donnant une genèse à chaque tube. Du grand Art !…

Bravo à Grand Corps Malade, prince du récit parlé, il nous emporte vraiment très loin avec cette histoire. Le meilleur biopic, le plus émouvant, le plus incarné, le plus respectueux… j’en garde les larmes aux yeux pour pouvoir les reverser à l’écoute de Charles Aznavour, le Grand….      

Un film dont on tombe amoureux…

« L’Amour ouf » est un drôle de titre pour un film de 2 h 40 qui se veut très ambitieux et a eu l’honneur d’être sélectionné à Cannes. Un titre un peu racoleur, à destination du jeune public vers lequel il lorgne ostensiblement.

Honnêtement le film n’avait pas besoin de ce subterfuge en verlan. Il se déguste facilement comme une version « à la French » de « Il était une fois en Amerique », le chef d’oeuvre de Sergio Leone. Beaucoup de similitudes avec ce grand classique : le long passage sur l’enfance, une histoire d’amour vibrante, la guerre des gangs, la violence, une image qui imprime la rétine, une musique très prégnante… Et une plongée dans le passé, celui-là pas si lointain puisqu’il s’agit des années 90 avec tous leurs marqueurs ( téléphones, cassettes-audio, voitures, etc… ) qui feront bien rire les ados d’aujourd’hui.

Autant le dire, pour le public un peu âgé, il y a a beaucoup de jouissance à retrouver une époque, l’esprit d’une époque où tout semblait plus léger, avec notamment une pègre fréquentant les églises, des boites de nuit à paillettes, et des jeunes désoeuvrés faisant les 400 coups. L’histoire d’amour naissante est touchante avec deux jeunes acteurs très expressifs. La prison va, cependant, vite séparer les tourtereaux. Pendant douze longues années, ce qui permet ensuite de mettre en selle, que dis-je, sur orbite, François Civil et Adèle Exarchopoulos. Le charisme de ces deux-là n’est pas étranger au succès du film. Ils sont parfaits, incandescents et le spectateur n’a plus que les yeux de Chimène pour leur love-affair. François est ténébreux et Adèle a un naturel fou, comme d’ailleurs dans tous ses films. Le petit truand se laissera-t-il emporter par l’amour ou par le côté obscur de la force ?

Gilles Lelouche réussit parfaitement son coup avec un film fédérateur dont on parlera encore dans vingt ans. La qualité de l’image est, en plus, époustouflante. Bref, un film-fleuve, épopée enjouée du siècle passé. 2h40 de film où on ne voit guère le temps passer. Un succès ? Oui, mais il y a là aussi les constituants d’un éventuel triomphe.

Le Fil, du grand Auteuil

Comme les bons vins, Auteuil se bonifie avec l’âge. Il n’excelle jamais autant lorsqu’il montre sa fragilité, ses faiblesses, ses doutes. Un acteur donc impeccable pour endosser le rôle d’un avocat pénaliste qui, par humanité, se laisse tenter par la défense en avocat d’office d’un père de famille débonnaire soupçonné du meurtre de sa femme. L’intime conviction comme moteur de l’engagement. Une combativité démultipliée pour atteindre une issue désirée intensément.

L’accusé, joué avec sobriété par un Gregory Gadebois, une fois de plus excellent, est tellement touchant. L’avocat réputé mouille donc sa chemise pour défendre son bonhomme qui ne l’aide guère. Les accusés sont souvent de piètres défenseurs de leur cause. Du dur métier d’avocat d’assise.

Le film est une belle plongée dans la justice du quotidien, laborieuse et parfois ingrate. Auteuil qui est aussi à la réalisation, nous emmène dans un procès relevé autour d’une histoire toute simple. Trop simple ? Le dénouement à double détente est assez inattendu. Mais ce n’est pas le plus important. L’histoire se termine. On aura vécu les atermoiements d’un acteur au jeu très habité qui confirme la première place qui est la sienne dans notre cinéma national.

Le Roman de Jim

La paternité est-elle une affaire de gênes ou une affaire d’actes ? Telle est la question que pose ce très joli film qui offre un rôle en or à Karim Leklou. Le rôle d’Aymeric, un homme débonnaire, un gentil, un velléitaire qui se laisse emporter par les événements, sans tentative de les maîtriser. Un bon gros nounours capturé par Florence, femme fantasque qui le prend comme compagnon, alors qu’elle est très enceinte d’un autre. Il se laisse faire, subjugué par ce corps déformé qu’il apprivoise au travers de son appareil-photo. Il mitraille, comme s’il voulait retenir l’instant. L’intimité est si fugace !…

Plus que d’amour, c’est de complicité qu’il s’agit, un confort face aux aléas de la vie. Contre toute attente, c’est une situation qui dure et qui permet au nounours de devenir papa auprès du petit Jim. Un papa attentif, serviable, aimant qui travaille à faire grandir cette jeune pousse. Jusqu’au jour, où le père génétique, Christophe, refait surface, ravagé par la disparition des siens…. Florence se laisse happer par la détresse du père de son fils. Et Aymeric se voit rétrogradé à plus grand chose….

Ce qui peut choquer et déplaire dans ce film est la passivité d’Aymeric, un homme qui subit sans se révolter. Plus que la perte de sa femme, il souffre de l’éloignement de « son fils ». Mais que pèse une paternité affective face à la dictature du sang ? Heureusement Aymeric va se consoler auprès d’Olivia ( Sara Giraudeau ), une femme solaire qui lui fera oublier les coups vaches de Florence.

« Le Roman de Jim », adapté d’un livre à succès, traite avec légèreté du trio amoureux autour du sort d’un enfant. Grâce notamment à la personnalité effacée du personnage joué avec justesse par Karim Leklou. Face à lui, Laetitia Dosch est inconséquente, puis un brin machiavélique, et Bertrand Belin, joyeusement découvert dans « Tralala » joue bien l’homme à terre. Les hommes sont faibles dans ce film. Les femmes y paraissent plus solides, à l’image de Sara Giraudeau, toujours parfaite dans son rôle.

Au final, un petit film qui fait réfléchir sur le rôle fragile du père adoptif dans les couples recomposés..

Mon coeur a déménagé, du Bussi au coeur tendre

Michel Bussi est un des meilleurs tricoteurs d’histoires du moment. Il a un vrai talent pour nous emmener avec lui dans des histoires subtiles où les rapports humains sont le sel du récit. Ses personnages suscitent le plus souvent l’empathie et l’adhésion des lecteurs.

Ce nouveau roman est un peu différent des autres. D’abord parce qu’il se passe quasi exclusivement à Rouen, ville bien connue de l’auteur. Mais aussi parce qu’il parle de personnes modestes, une famille de banlieue, qui se bat pour survivre, et n’a pas la vie trépidante des milieux favorisés auxquels l’auteur nous avait habitués. Un quotidien terne arrivera-t-il à capter l’attention du lecteur jusqu’au bout ? Quel scénario alambiqué, cher à l’auteur, va bien pouvoir résulter de la triste condition d’une femme battue par son mari alcoolique ? Elle meurt en début d’histoire poursuivie par cette brute… 

Bussi a, toutefois, plus d’un tour dans son sac, et il s’attache à la fille du couple Ophelie qui s’acharne à donner à ce meurtre une autre interprétation, contre toute logique. Une fille qui grandit dans un sentiment de vengeance et souffre d’une maladie de notre époque hélas trop répandue chez des jeunes biberonnés aux réseaux sociaux, appelée par les psychologues le « biais de confirmation ». Autrement dit, la capacité de croire seulement en ce qu’on croit préalablement, et exclure toute opinion contradictoire.

Cette jeune Ophélie, révoltée et profondément humaine dans l’attachement au souvenir de sa mère, suscite, malgré tout, l’empathie du lecteur. Il suit ses aventures Don Quichottesques avec indulgence et bienveillance. Les années passent, et le combat ne cesse pas, malgré les échecs. Bussi finit par ponctuer le récit de quelques indices étonnants qui commencent à nous faire douter. Cette gentille folle n’aurait-elle pas un peu raison ?

Le tour de force de ce roman est finalement de nous faire languir 410 pages sur une histoire toute simple. Il y a là du génie, c’est sûr, mais aussi une maitrise parfaite des relations humaines. On adhère à l’histoire avec ses rebondissements et son dénouement évident, perlé de justice et de préservation de l’avenir. Un joli travail d’artisan… Bussi nous rappelle aussi avec beaucoup d’intérêt les combats des étudiants contre les Lois Juppé de l’automne 1995. Une autre forme de lutte aux ressorts psychologiques également un peu névrotiques. Mais celle-là, on ne peut que regretter son issue. Une victoire à la Pyrrhus qui s’est révélée, bien plus tard, assez négative pour une jeunesse qui défendait des avantages qui ne la concernaient pas. 

Goldfrapp, la pop planante

La musique a ce pouvoir magique de parfois vous traverser la peau pour vous atteindre en plein coeur. Vous vibrez de tous vos pores à un rythme ou à une mélodie pour en devenir accroc, shooté, sous emprise… C’est totalement délicieux. Cet assujettissement auditif amène des milliers de fans à débourser des fortunes pour assister au concert de leurs idoles. Ou à écouter en boucle leurs disques dans un extase débridé de leurs émotions. Nous avons tous un peu besoin de cela… C’est ainsi que des Celine Dion, et plus récemment Taylor Swift ont entraîné des foules d’aficionados dont l’amour tourne à la dévotion.

Devant le succès planétaire de ces artistes, leur talent peut être considéré comme une qualité objective. Sans doute, mais l’adhésion à une musicologie est une autre affaire. S’il est vraisemblable qu’écouter et réécouter des tubes contribue à ancrer un référentiel affectif qui accentue l’amour pour un interprète, comment expliquer qu’à la première audition, des chansons peuvent susciter l’enthousiasme ou vous laisser froid.

Bien sûr, certains tubes sont tellement puissants qu’ils emportent tout sur leur passage, comme une vague de tsunami. Ainsi « Billie Jean » de Mickael Jackson était tellement incontournable que je me souviens parfaitement du jour de 1983 où je l’ai entendu la première fois, dans une boite de nuit sur la côte de l’Aber Wrac’h dans le Nord de la Bretagne. J’ai eu l’impression, ce jour-là, de vivre une émotion musicale d’une telle intensité qu’elle est restée gravée dans mon inconscient. A jamais…

Mais quid des interprètes moins consensuels ? J’avoue avoir du mal à m’emballer pour Taylor Swift, même si je mets du mien pour comprendre ce qui provoque un tel raz-de-marée d’amour. Et je m’efforce d’écouter pour ne pas passer pour un boomer en dehors du coup.

Après tout, on peut admettre que les préférences musicales soient des affaires personnelles. Et s’il y a du nombre autour d’un interprète, point n’est besoin de vibrer par pur mimétisme si la voix, le timbre, le rythme, les paroles ne vous emportent pas. J’ai parfois honte de dire que j’échangerais volontiers trois albums de Celine Dion contre un de Gil Caplan. La voix de cette femme – très loin dans les charts de ventes de disques – et ses mélodies harmonieuses m’électrisent totalement.

Ce qui m’amène à raconter mon émotion permanente pour un groupe britannique d’électro-pop peu connu Goldfrapp, auteurs de nombreux albums et notamment du magnifique que je classe dans mon top five, si ce n’est à la première place : l’album « Felt Mountain » .

Une vraie splendeur !… Tout l’album est une réussite totale. Sur un registre planant, proche d’un autre groupe que j’adore, le groupe Portishead avec des clins d’oeil appuyé à l’univers d’Ennio Moricone. Bref, le genre de musique à écouter dans le noir après une journée de travail, ou dans la voiture alors que tout l’équipage est endormi. J’en raffole !… Cet album me tire presque toujours la larme à l’oeil. Pourtant cette musique ne passe sur aucun média, et le groupe ne semble connu que de quelques passionnés.

Quelle étrangeté que ces goûts musicaux… Il en faut certes pour tous les goûts. Mais tant qu’Allison Goldfrapp continuera à sortir des albums, je serai un homme heureux.

De l’or sur le plumard…

Je gère de l’argent, et donc suis fan de l’or. L’or est une valeur qui s’apprécie en elle-même, sans référence à une banque centrale, ni à des niveaux de taux. Elle est là depuis la nuit des temps, et sera encore là dans longtemps. Une valeur sûre et durable…

La course pour l’or est une activité humaine qui se poursuit invariablement, même quand des bitcoins essaient – sans succès – de faire diversion. Des Pharaons jusqu’à Albert Spaggiari, des pionniers du Klondike jusqu’aux arpenteurs contemporains avec leur poêle à frire, d’Harpagon à l’Oncle Picsou, du FMI jusqu’aux banques centrales, ils vénèrent tous le veau d’or, même s’ils s’en défendent. L’appât du gain, la valeur immuable du métal jaune, le caractère irrésistible de ce qui brille, et de ce qui fait briller les yeux des femmes, tels sont les moteurs collectifs de l’espèce humaine. Une matière première jouissive à exploiter pour un romancier.

Mes deux polars sont donc des histoires d’ors. Deux histoires différentes, à vingt années d’écart, mais dans la même région, et avec les mêmes personnages. La quête de l’or dans des mines hypothétiques ou dans le magot d’un fuyard maudit, offre un canevas réjouissant pour broder une poursuite haletante qui emportera le lecteur loin dans les montagnes ou dans les neiges éternelles. Car si la course derrière les lingots permet de découvrir des paysages majestueux aux éclats éblouissants de naturel, les certitudes peuvent bien être amenées à s’effriter au long du parcours : Et si la vraie richesse sur cette basse-terre se trouvait ailleurs ?

Profitez de l’été pour vous faire une opinion… L’été est une période propice pour laisser vagabonder son esprit dans le plumard ouaté qui vous offre sa douceur sans le tic tac horripilant d’un réveil. Lisez mes deux ors, « L’Or du Paradis » le premier roman dans la chronologie ( années 30 ), puis « L’Or du Maudit » ( années 50 ), tous deux disponibles sur le site des Editions AO.

Ils vous feront voyager, et ce n’est pas une promesse en l’air.

Catalogue de l’étrange…

Ce livre m’a fait penser aux histoires extraordinaires de Pierre Bellemare. Des histoires étonnantes de tueurs précoces ou de disparitions mystérieuses qui éveillent la curiosité du lecteur; il est vrai que le crime et les enquêtes non-élucidées font partie des ressorts de l’intérêt public. Il suffit de voir l’intérêt que suscitent les grandes histoires criminelles, de l’affaire Dominici à l’histoire du petit Gregory. Ou plus récemment la disparition du petit Emile…

L’auteur Esther Hervy a pris le parti d’évoquer des histoires moins connues, mais tout aussi troublantes, du début du XXème siècle jusqu’à nos jours. Des enfants qui assassinent, des personnes ordinaires qui pètent les plombs, des disparitions incompréhensibles… On le savait, l’homme est capable du pire, mais parfois il dépasse les bornes de l’entendement et de l’horreur. Certaines histoires rendent mal à l’aise.

Le début du livre m’a déplu par un côté un peu racoleur. Mais au fil du récit, on comprend mieux l’objectif de l’auteur, de raconter non pas seulement les péripéties des drames et des enquêtes qui s’éternisent parfois sur plusieurs années, mais aussi de donner des clefs de compréhension au lecteur qui peuvent être, selon les cas, juridiques, psychologiques, sociétales, ou autres. Après chaque cas, Esther Hervy prend un peu de hauteur pour expliquer comment un tel enchaînement des faits a pu être possible, et quelles conséquences cela a eu sur la société. Une approche intéressante qui s’éloigne totalement du côté glauque de la presse populaire du type « Détective »…

Les affaires Brandon Swanson, de Yuba City et de Lars Mittank sont particulièrement incroyables. On réalise que même à notre époque, des personnes peuvent se volatiliser, sans laisser de trace. Ou mourir dans des conditions mystérieuses très loin de toute rationalité. 

Une lecture plaisante, même s’il manque la voix chaude de Pierre Bellemare que j’aimais écouter enfant à la radio. C’était un redoutable raconteur d’histoires…

Un Monte-Cristo plus noir

Un ami qui randonnait à pied au coeur de l’Ouzbékistan, a rencontré un paysan qui, interrogé sur ce que représentait la France pour lui, répondit instantanément : « le Comte de Monte Cristo ! »…

On comprend qu’avec un rayonnement planétaire, la tentation ait été grande de dépoussiérer les nombreuses versions filmées d’un des meilleurs romans d’aventure jamais édité. Grande réussite de ce point de vue, avec un Pierre Niney qui incarne très bien l’Edmond Dantes de nos lectures lointaines. Le film est tendu comme un arc autour de cette vengeance sublime d’un pauvre hère devenu extrêmement riche par un coup du destin que seul Alexandre Dumas sait nous tricoter. On passe un excellent moment de cinéma avec des acteurs parfaits dans leur partition et un scénario assez fluide, malgré les différents chapitres de l’histoire. Tout au plus, peut-on regretter quelques ellipses qui nous font passer à côté de l’origine de certains personnages. Il faut dire aussi que le roman est un pavé, un pavé qu’on déguste à petits feux sur une durée bien supérieure aux près de 3h du film.

Hélas, le réalisateur a cédé à la mode de la violence, en changeant les ingrédients de la vengeance. Dumas avait été pourtant parfait, avec des vengeances bien agencées où Dantes ne faisait qu’exploiter les défauts de ses ennemis, un peu comme ces lutteurs asiatiques qui exploitent simplement le mouvement de l’adversaire. Du cousu main de l’auteur, mais peut être moins visuel que le parti pris du film.

Le film est donc magnifique, mais il s’éloigne trop de l’esprit de Dumas. Le Dantès d’origine est un personnage très charismatique qui attire les regards et en profite pour tirer les ficelles. Niney est plus sombre, plus englué dans son désir de vengeance. Et plus violent… Un reflet de notre époque, certes, mais ce n’est pas l’homme qui a fait rêver des millions de lecteurs, jusqu’aux confins de l’Ouzbékistan.

Relisons le roman, nous ne perdrons pas notre temps….

Le tableau volé

Le cinéma a le pouvoir de nous déplacer dans des univers inconnus et de nous faire rêver à d’autres destins que ceux que nous avons choisis. « Le Tableau volé » est un film sans autres ambitions que de nous plonger dans le monde de l’Art, de ses professionnels, de ses clients, et de toute la galaxie qui l’entoure.

Reconnaissons qu’il le fait très bien, avec un scénario bien huilé et parfaitement crédible : quand une situation héritée devient une source d’émerveillement. Un tableau connu qui refait surface, après la disparition des accapareurs issus de la guerre. Une avalanche d’argent qui tombe sur un jeune garçon incrédule qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Mais avant cette fin, il y a un savoureux préambule : le commissaire-priseur blasé joué avec brio par un Alex Lutz cinglant ( très loin de ses one-man shows comiques ) ; ses relations tendues avec une jeune assistante mystérieuse ( troublante Louise Chevillotte ) ; l’ex-femme Lea Drucker détachée et complice qui ne veut pas renoncer à l’état amoureux ; l’avocate apporteuse d’affaires qui reste fidèle à son éthique…

Bref, un petit monde qui s’agite autour d’un tableau qui peut donner un formidable coup de boost à la carrière de chacun. Mais il faudra avant cela échapper aux peaux de bananes et aux coups tordus, car le milieu n’est pas, à proprement parler, un monde d’enfants de coeur. Le film est plaisant par ce côté instructif. Mais il va plus loin grâce à la jeune actrice Chevillotte très impénétrable dans ses relations compliquées avec son père, joué par l’inattendu Alain Chamfort. Les acteurs sont tous parfaits et le spectateur en sort conforté dans l’envie de fréquenter davantage les salles de ventes. Ne serait-ce que pour s’initier aux plaisirs des beaux objets… C’est là un des atouts incontestables de ce joli film.

Callipyge

Un mot qui fait aimer la langue française. Une langue qui a réponse à tout, y compris pour raconter la propension des hommes à se retourner sur les fesses des femmes. Des fesses charnues, bien équilibrées, attirantes en diable et voilà leur maîtresse aussitôt qualifiée d’un mot bien évocateur, callipyge. Un mot bien pratique pour dissimuler les attirances masculines.

Voyage dans l’Iran du Shah

Une pièce qui tient l’affiche depuis près de 350 représentations ne peut que susciter l’intérêt. Le bouche à oreille est, en outre, un puissant stimulant, surtout quand la pièce revient à Paris, après un périple dans nos provinces. Avec les trois acteurs d’origine, et trois petits nouveaux qui sont tellement impliqués qu’on les croit associés de la première heure.

Cette pièce est un vrai tour de force de mise en scène. Les plans s’enchaînent comme au cinéma, avec des jeux de scènes absolument géniaux. Il faut dire que l’histoire se passe sur deux temps : en Iran de 1974 à 1979, période de fin de règne du Shah, puis d’émergence d’une autre dictature, celle des Mollahs ; dans les Alpes enfin, à Avoriaz au tournant du siècle dans un chalet de villégiature…

Ils sont six sur scène, et passent d’un rôle à l’autre avec brio. C’est tellement vrai que j’ai cru jusqu’à la fin, qu’ils étaient sept. Six personnages pour raconter l’histoire d’une famille francophile qui vit mal les années de dictature d’un pays auquel elle est fondamentalement attachée. Cela parle persan, cela chante persan et l’humour se blottit dans quelques scènes intimes pour donner au récit une belle authenticité. Le tourbillon des scènes emporte le spectateur dans les destin de ces personnages, où les moindres circonstances font fi des contraintes liées au manque d’espace d’une scène de théâtre par des jeux de lumière ou des trouvailles scénaristiques qui donneraient le sourire même au plus blasés d’entre nous.

C’est au final une aventure extrêmement humaine à laquelle nous convie l’auteur Aïda Asgharzadeh. Elle conte avec chaleur l’émigration des siens, l’acclimatation au pays d’adoption, mais aussi la profonde tendresse qu’elle ressent pour tous les Iraniens d’ici et de là-bas. Tout cela est très loin des images agressives dont nous submergent les médias. Rien que pour cela, ces « Poupées persanes » méritent le détour. Elles ont provoqué, en tout cas, l’enthousiasme collectif du groupe de cinq que nous étions. Assurément, un très bon spectacle….

Un brouillard délicat

Un premier livre chez Gallimard. La chose est assez rare pour éveiller l’intérêt. L’éditeur réputé se penche rarement sur des manuscrits d’inconnus ( j’en sais quelque chose ! ). Dans ces circonstances, le bon livre est sûrement au programme. Bingo !… Le livre de cette jeune Bretonne « Banc de Brume » est un livre délicat, finement ciselé, qui parle de la notion de continuité familiale, ce maillage entre les générations qui nous précèdent, qui nous a constitués dans les sentiments et l’adn et dont nous sommes les héritiers, autrement dit les poursuivants de l’aventure humaine. Ce fil fragile qui nous relie à nos proches, parents, grands-parents, oncles et tantes, est le plus souvent négligé par les jeunes générations plus tournées vers l’avenir. D’ailleurs, cette quête d’Alice et de son frère Etienne, n’est pas partagée par les deux autres membres de la fratrie qui haussent les épaules. Le passé ne conditionne pas l’avenir pour tous. Mais, pour certains qui se reconnaîtront dans les deux enquêteurs du livre, cette connaissance des « anciens » peut prendre une dimension démesurée, quasi mystique.

L’histoire commence, comme souvent, dans les greniers à feuilleter les vieux albums de photos. Pour y découvrir un oncle et une tante tragiquement décédés quelques jours après leurs mariages. Alice et Etienne ne les ont pas connus. Non seulement ils sont morts avant leur naissance, mais leur vie a été quasi occultée, cachée, mise sous silence, comme un vieux secret trop douloureux pour être évoqué. Le récit est donc la recherche des deux disparus, Olivier et Yvonne, décédés dans le krach de leur petit avion un jour de janvier 1976. Une recherche un peu dérisoire, quelque quarante années après l’événement, mais le covid est là, qui laisse du temps pour enquêter et pour gamberger.

Sophie Berger, l’auteur, réussit à nous embarquer dans ce cheminement intérieur avec brio. Par petites touches, des avancées subtiles, des témoignages inattendus et des conjonctions de bonnes volontés, elle arrive à lever le brouillard savamment entretenu par les anciens sur les circonstances du drame. En 1976, internet était dans les limbes. Aussi la recherche est essentiellement physique, avec des moments d’incertitude, surtout quand il s’agit de retrouver le lieu même du krach, ou le lotissement occupé par le jeune couple avant son accident. La volonté farouche d’Alice se heurte à l’oubli et un cri intérieur qui résonne à toutes les étapes de l’enquête : à quoi bon !!!

La personnalité chaleureuse de l’oncle Olivier apparaît lentement, comme sous le pinceau d’un peintre. Le lecteur se prend à vouloir en savoir plus. Pourquoi ont-ils pris cet avion ? Comment se sont-ils rencontrés ? Pourquoi les images du mariage étaient-elles un peu figées ? Fort opportunément, le récit se déplace en 1976, les quatre à cinq jours qui ont suivi le mariage, avec Olivier et Yvonne qui rayonnent de joie lors des plus beaux ( et des derniers ) jours de leurs vies. Divers témoins apportent chacun des morceaux pour reconstituer le puzzle. Les deux mariés revivent sous nos yeux…

Le livre est une vraie réussite. C’est une immersion profonde dans le monde des sentiments, des ressentis, des conditionnements de l’enfance et des relations familiales compliquées face à un drame inexplicable. Sophie donne à partager toutes les pensées d’Alice dans un style précis, subtil et immergé de mots délicats. Comme des papillons posés sur des souvenirs, ils rivalisent de légèreté. C’est merveilleux d’humanité.

Oui assurément Gallimard ne s’est pas trompé. L’exploration de la famille et de ses secrets est un exercice qui parle à beaucoup. En particulier à tous les sensibles attachés à leurs racines qui se considèrent comme le maillon d’une chaine, et non pas l’individu ultime et égocentré qu’est souvent le dernier rejeton. Quand cet exercice est fait avec une telle grâce, cela touche au sublime…