Melenchon : le personnage intrigue et fascine. Que vaut-il ? Mérite-t-il la popularité qui est la sienne ? Une virée sur son blog m’a permis de mieux appréhender le personnage. J’ai bien sûr quelques a priori, voire des préventions contre lui, mais j’ai essayé de lire sa prose avec objectivité.
Son blog contient toutes sortes d’intervention : à l’assemblée nationale, dans les médias ou des écrits sur l’actualité du mouvement des Insoumis. Il y a de la matière ! On sent que ce blog est un outil de conquête à part entière. D’ailleurs, un bloggeur politique expert reconnaissait que Melenchon était celui qui avait le mieux saisi le type de communication pertinent sur le net. Un langage direct, une forte proximité, une conversation à bâtons rompus qui ne n’assène pas des messages, mais les distille subtilement. Enfin et surtout, une sincérité qui n’est pas feinte et est bien perçue comme telle par les internautes.
Objectivement j’ai été surpris. Surpris de découvrir que j’étais en phase avec lui sur quelques sujets : sa critique de la Société Générale, si elle est avérée ( il fait l’objet d’une procédure pour diffamation ) sonne juste. Ses mots salés contre les murs décrépis du palais de justice sont forts. Son discours sur la mer à l’Assemblée Nationale est un beau plaidoyer écologiste. Ici ou là, dans les écrits ou les interviews, on vibre à son diapason dans la dénonciation de collusions, de pratiques douteuses, d’égoïsmes divers et du manque de sincérité de la classe politique dans son ensemble. Il fait du bien, et le fait d’autant mieux qu’il manie une langue pure, un discours simple et – osons-le mot – juste.
Mélenchon est, en fait, dans la droite ligne du Canard Enchaîné. Un poil à gratter utile ; un observateur sagace de toutes les dérives de la politique ; un dénonciateur de tout ce qui ne devrait pas exister.
Là, en revanche où je ne comprends pas la fascination qu’il suscite, c’est quand il sort de la critique et se hasarde dans la proposition. L’homme ne devient plus très clair. La sixième république, tant vantée, ne peut être une fin en soi. C’est un moyen pour construire un modèle de société. Or ce modèle de société est trouble. Le Vénézuela ? Dans un récent article, Mélenchon se défend pied à pied contre la volonté de ses opposants de le réduire à cette expérience malheureuse. Il n’empêche ! Il ne peut pas éviter de dénoncer la mauvaise connaissance de la situation vénézuélienne par les journalistes. Si ce pays va mal, nous dit-il, c’est aussi en grande partie la faute d’une « opposition d’extrême droite » violente. Comme si la réaction désespérée d’une population qui meurt de faim ( après avoir mangé jusqu’aux animaux de leurs zoo ) n’était pas une évidence. Dans l’esprit de notre leader insoumis, les contre-révolutions n’ont pas droit à la même violence qu’un pouvoir institutionnalisé, exercé par le peuple pour le peuple. Qu’on se le dise !… Ce pays qui crève serait, en plus, soumis à des tentatives de déstabilisation des Etats Unis, en quête de pétrole. Une vieille rengaine d’extrême gauche pour trouver des responsabilités en dehors des frontières, et justifier le nouvel et énième échec d’une expérience communiste. Soit dit en passant, on voit mal pourquoi les Etats Unis qui sont devenus auto-suffisants en pétrole, iraient s’embourber au Vénézuela pour mettre la main sur le pétrole vénézuélien, connu pour être très lourd, cher à exploiter et actuellement très peu compétitif. Mais le politicien préféré des jeunes ne s’encombre pas de telles subtilités. Depuis Cuba, on sait que le Grand Satan américain peut être utilisé à toutes les sauces…
Ce qui gêne dans le discours de Melenchon, c’est le postulat de base. Les dirigeants politiques actuels sont tous mauvais ; les dirigeants du CAC40 sont des pourris ; les capitalistes ne pensent qu’à leurs petites affaires personnelles et se jouent de la collectivité. Dur de construire quelque chose sur de tels fondements. Je suis sidéré du pessimisme des Insoumis et de leur faible croyance en l’homme. Enfin, j’entends par là l’homme qui cherche à vivre, à construire, à entreprendre, à prendre des risques et à ne pas être aux crochets de la société. A l’inverse, la solidarité et l’indulgence règnent dans la coterie de ceux qui n’aiment pas l’économie, qui voient la société sous le seul angle du marxisme et de la lutte des classes, ceux aussi qui ont oublié toutes les leçons de l’histoire. Les échecs récurrents de l’URSS, du Cambodge, de la Roumanie, de la Pologne, de Cuba, du Zimbabwe et maintenant du Vénézuela. Chaque fois, le modèle s’est fourvoyé et a connu une déviation par rapport aux bonnes intentions initiales. Comme le résumait si bien Jean François Revel, « que vaut un courant de pensée qui n’a jamais créé que des perversions de sa propre pensée ? ».
Oui, mais Mélenchon parle bien. Il est sincère, me rétorquera-t-on. Je ne sais pas. Je me souviens juste de sa réaction inadéquate au soir du premier Tour, où il avait montré le visage d’un mauvais perdant. Brutal et plus du tout séducteur… On l’oublie, mais en 1932, Hitler avait remporté 36,7% aux élections. Il plaisait lui aussi à cette époque, et ses talents de tribun d’estrade – très différents de ce qu’on aime aujourd’hui – provoquaient alors un vrai amour autour de sa personne.
Je n’irais pas jusqu’à assimiler notre Melenchon national au dictateur allemand, épouvantail de toute vie politique. Mais ce que je veux dire, c’est que le verbe sans essence est condamné. Ce n’est pas tout de condamner et de détruire, il faut savoir construire. Et s’appuyer sur l’homme dans sa diversité. Fédérer avant de diviser, entraîner dans une direction claire. La comparaison du blog de Jean Luc avec le long interview de notre Président dans le Point de cette semaine, est édifiant. D’un côté, on stigmatise ; de l’autre on mobilise. Mélenchon se discrédite en ne reconnaissant pas à quel point l’approche de Macron est nouvelle dans notre pays : parler, échanger, proposer, revoir sa copie, rediscuter, trouver un compromis… C’est à des années-lumière de tout ce qui a été fait jusqu’à présent. Et le rappel de l’objectif collectif à atteindre qui va bien au delà de la simple Loi Travail remet les pendules à l’heure. Il ne s’agit pas de faire plaisir à telle catégorie ou à telle autre, mais de constituer les conditions pour que tout le monde gagne.
Je ne trouve pas de positivisme dans le discours du leader de la France insoumise. Mélenchon est une belle mécanique, une éolienne qui distille un verbe puissant, souvent provocateur, parfois juste. Mais cette éolienne ne tourne que sous l’effet des vents mauvais. Il ne fabrique pas du bon courant qui donnerait du jus à l’ensemble de notre société ; il ne fait que produire de la tension. A l’image des manifestations à venir – de principe – contre une Loi qui a su pourtant trouver les faveurs de syndicats pourtant peu complaisants vis à vis du pouvoir.
Melenchon séduit surtout des jeunes qui n’ont pas connu autre chose que la crise. Ils sont désabusés et se disent « pourquoi pas ? ». Mais ces jeunes se gardent bien de regarder en dehors de nos frontières pour voir si d’autres s’en sortent mieux. Ou quand ils le font, c’est avec un regard partisan. La vision de l’Allemagne par Melenchon est une mascarade. Selon lui, ce pays serait celui de millions de travailleurs pauvres. Les Allemands seraient malheureux. Pourtant, ces mêmes Allemands sont sur le point d’élire pour la quatrième fois Angela Merkel. A croire que les Allemands sont masochistes !… Non simplement, il y a plus de fierté à travailler qu’à être au crochet de la société comme nos millions de chômeurs à nous. Les Allemands ont bien compris qu’il fallait mieux dépendre de rémunérations d’entreprises bien portantes et bien gérées que d’indemnités d’un Etat au bord de la faillite qui emprunte pour payer ses fonctionnaires.
Tout le monde sent bien que notre système est à bout de souffle. A force de tirer sur la corde, elle va finir par craquer. Soutenir Melenchon, c’est jouer la carte de l’aventure. Un peu comme en 1917 dans la Russie tsariste… Un siècle plus tard, il serait aberrant de reproduire la même erreur.