Au fil des films, ce garçon prend de la consistance… L’épaisseur d’un réalisateur qui a sa griffe, reconnaissable entre toutes, comme avant lui Hitchcock ou Truffeau. Assurément, Dupontel se bonifie lentement; comme un bon vin bien charpenté, je dirai un Cahors qui vous secoue les papilles de manière inattendue. Il y a là une dose puissante d’euphorisant, un soupçon de cynisme, une belle texture de folie et de poésie. Avec « Adieu les cons » le rationnel s’évanouit pour nous laisser entrer dans un monde parallèle.Tout y est possible, si vous acceptez le lâcher-prise de départ. Cela tourne vite à la fable qui égratigne l’époque avec férocité. La scène du métro qui défile lentement avec un jeu d’ombres et de lumières où une foule dense n’est éclairée que par les éclats des téléphones portables de chacun, voilà une scène d’anthologie….
Dupontel s’autorise tout, pour nous égarer dans nos perceptions de gobeurs blasés d’histoires; il crée même des personnages inutiles comme cet aveugle qui ajoute à la confusion d’un scénario peu linéaire… On y croise une coiffeuse glissant sur un toboggan mortifère, un informaticien névrotique et suicidaire, un obstétricien avec un cerveau en marmelade, des flics aux comportements de barbouzes bas de plafond, un jeune homme psychotiquement timide, et enfin cet aveugle archiviste qui meurt d’ennui… Une tour de babel qui fait un peu surenchère, mais qui constitue le petit monde de Dupontel, assez proche dans ses outrances à celui de « Neuf mois ferme ». On goûte à la chose avec le sourire, en se laissant balloter par un scénario imprévisible. La poésie finit par s’imposer au fur et à mesure que la crédibilité du scénario s’effiloche. Voilà un cinéma inclassable. C’est bon, même si l’aquoibonisme du message peut provoquer des haussements d’épaules.
Pour ma part, j’ai souri, goûté les jeux débridés d’acteurs qui se lâchent, soupiré devant une avalanche d’excès en tout genre, mais aussi, reconnaissons-le, vibré à l’émotion de certaines scènes. C’est un film impossible à juger. On y est ou on n’y est pas. Mais quel réalisateur épatant !