Un premier livre chez Gallimard. La chose est assez rare pour éveiller l’intérêt. L’éditeur réputé se penche rarement sur des manuscrits d’inconnus ( j’en sais quelque chose ! ). Dans ces circonstances, le bon livre est sûrement au programme. Bingo !… Le livre de cette jeune Bretonne « Banc de Brume » est un livre délicat, finement ciselé, qui parle de la notion de continuité familiale, ce maillage entre les générations qui nous précèdent, qui nous a constitués dans les sentiments et l’adn et dont nous sommes les héritiers, autrement dit les poursuivants de l’aventure humaine. Ce fil fragile qui nous relie à nos proches, parents, grands-parents, oncles et tantes, est le plus souvent négligé par les jeunes générations plus tournées vers l’avenir. D’ailleurs, cette quête d’Alice et de son frère Etienne, n’est pas partagée par les deux autres membres de la fratrie qui haussent les épaules. Le passé ne conditionne pas l’avenir pour tous. Mais, pour certains qui se reconnaîtront dans les deux enquêteurs du livre, cette connaissance des « anciens » peut prendre une dimension démesurée, quasi mystique.
L’histoire commence, comme souvent, dans les greniers à feuilleter les vieux albums de photos. Pour y découvrir un oncle et une tante tragiquement décédés quelques jours après leurs mariages. Alice et Etienne ne les ont pas connus. Non seulement ils sont morts avant leur naissance, mais leur vie a été quasi occultée, cachée, mise sous silence, comme un vieux secret trop douloureux pour être évoqué. Le récit est donc la recherche des deux disparus, Olivier et Yvonne, décédés dans le krach de leur petit avion un jour de janvier 1976. Une recherche un peu dérisoire, quelque quarante années après l’événement, mais le covid est là, qui laisse du temps pour enquêter et pour gamberger.
Sophie Berger, l’auteur, réussit à nous embarquer dans ce cheminement intérieur avec brio. Par petites touches, des avancées subtiles, des témoignages inattendus et des conjonctions de bonnes volontés, elle arrive à lever le brouillard savamment entretenu par les anciens sur les circonstances du drame. En 1976, internet était dans les limbes. Aussi la recherche est essentiellement physique, avec des moments d’incertitude, surtout quand il s’agit de retrouver le lieu même du krach, ou le lotissement occupé par le jeune couple avant son accident. La volonté farouche d’Alice se heurte à l’oubli et un cri intérieur qui résonne à toutes les étapes de l’enquête : à quoi bon !!!
La personnalité chaleureuse de l’oncle Olivier apparaît lentement, comme sous le pinceau d’un peintre. Le lecteur se prend à vouloir en savoir plus. Pourquoi ont-ils pris cet avion ? Comment se sont-ils rencontrés ? Pourquoi les images du mariage étaient-elles un peu figées ? Fort opportunément, le récit se déplace en 1976, les quatre à cinq jours qui ont suivi le mariage, avec Olivier et Yvonne qui rayonnent de joie lors des plus beaux ( et des derniers ) jours de leurs vies. Divers témoins apportent chacun des morceaux pour reconstituer le puzzle. Les deux mariés revivent sous nos yeux…
Le livre est une vraie réussite. C’est une immersion profonde dans le monde des sentiments, des ressentis, des conditionnements de l’enfance et des relations familiales compliquées face à un drame inexplicable. Sophie donne à partager toutes les pensées d’Alice dans un style précis, subtil et immergé de mots délicats. Comme des papillons posés sur des souvenirs, ils rivalisent de légèreté. C’est merveilleux d’humanité.
Oui assurément Gallimard ne s’est pas trompé. L’exploration de la famille et de ses secrets est un exercice qui parle à beaucoup. En particulier à tous les sensibles attachés à leurs racines qui se considèrent comme le maillon d’une chaine, et non pas l’individu ultime et égocentré qu’est souvent le dernier rejeton. Quand cet exercice est fait avec une telle grâce, cela touche au sublime…