Vincent Lindon, en début de film, court sur son tapis de salle de sport. Il fait tout pour rester dans la course. Il court, il court au point de passer à côté de sa vie de famille. Une vie de professionnelle de fou que l’on ne souhaite à personne… « Un autre monde » raconte finalement sa sortie de route, alors même qu’il est un bon petit soldat au service de sa boite, filiale d’une boite américaine sans âme.
Voilà un récit poignant qui est très français dans sa trame, avec la dénonciation du sur-travail et des dérives du capitalisme. Une dénonciation très juste, au demeurant, dans le ton et dans la forme, mais qui rend un peu mal à l’aise au pays des 35 h et des vacances multiples. Ce film ne réconciliera pas, c’est sûr, les Français avec le monde de l’entreprise et de l’industrie. Une industrie qui n’existe quasiment plus chez nous, mais ça est une autre histoire qui mériterait un film à part entière.
Pour revenir à ce beau film, il faut reconnaître au réalisateur un vrai talent à tricoter une histoire. La scène première de conciliation en vue du divorce des deux protagonistes est décapante par son intensité. Le spectateur est tout de suite immergé dans la tension. Il n’en sortira pas durant tout le film, avant le coup de pirouette finale d’un homme blessé qui se cabre face à l’obstacle. Du cinéma très puissant au service de la cause qu’il veut défendre. Bravo !…
Vincent Lindon est étonnant dans un rôle de cadre loyal qui essaye de composer entre la dictature de la hiérarchie et ce qu’il lui reste de sens moral. Sandrine Kiberlain a un petit rôle, mais tellement poignant qu’il marque les esprits. Le patron US est plus vrai que nature, avec un discours univoque qui met son auditoire français dans un état de totale sidération. Marie Drucker excelle dans un rôle de caporal-chef qui avance sans état d’âme. Assurément, cet univers professionnel, âpre et glaçant, ne nous est pas totalement inconnu. Ce film est décidément très juste.
Hélas, je n’ai pas totalement adhéré, car je crains que beaucoup chez nous ne retiennent que des idées simplistes : Wall Street est le mal absolu; il faut renverser la table; il faut s’orienter vers je ne sais quel fantasme collectif qui n’a jamais marché nulle part. Alors que la solution est peut être plus proche. Remettre l’humain au centre, partager le succès, favoriser l’emploi chez nous et arrêter d’être libéral dans nos emplettes et dans nos achats de tous les jours. Empêcher le rachat de nos boites pour imposer un modèle qui n’est pas le nôtre. Bref, une autre vision de l’entreprise dont on attend l’épopée, avec le même talent que celui de Stéphane Brisé, le réalisateur d’un « Autre Monde ».