Puissant comme le malheur….

Un livre coup de poing qui se complaît dans un misérabilisme social d’une grande noirceur, tel m’a paru « Né d’aucune femme ». Les critiques dithyrambiques de Babelio avaient éveillé ma curiosité. Cette lecture a été éprouvante…

Tout au long du livre, j’ai pensé à un autre chef d’oeuvre contemporain « My absolute Darling » qui évoquait l’inceste avec complaisance. Ici c’est la vente d’une fille par son père et le viol d’une gamine de quatorze ans, racontés sans temps mort dans un style court, puissant et aussi déprimant que son récit. Certes, je sais que le bonheur ne se raconte pas et ne fait pas recette en littérature, mais je ne peux m’empêcher de me demander quel besoin de différenciation et d’innovation pousse nos auteurs à se repaître ainsi dans le sordide, pour emmener leurs lecteurs jusqu’aux frontières de leur tolérance émotionnelle. L’art se révèle-t-il nécessairement dans le malheur ? Vous avez trois heures pour rendre vos copies…
Quoi qu’il en soit, Franck Bouysse réussit son coup. Son livre est d’une homogénéité absolue. Tout y est sombre, noir, sans espoir, et même ce qui pourrait passer pour un happy ending n’est évoqué que subrepticement, sans vraie volonté de sortir le lecteur de son tunnel émotionnel. Plus fort encore, le style est au diapason. Sobre, condensé, pessimiste, misérabiliste, rien ne permet d’échapper à la chape de plomb qui tombe sur le lecteur et l’entraîne dans les bas fonds de l’âme humaine. Tous les personnages masculins sont faibles, limités, sans volonté, à l’exception du mal incarné par le Maître qui est lui-même affaibli par son besoin irrépressible de générer une descendance. Les femmes sont plus sensées, mais elles restent des marionnettes confinées dans le rôle passif, délégué par une société rétrograde. La nature est elle-même hostile, avec des forêts très denses et des arbres qui n’offrent même pas de recours pour se réfugier. Sur cet aspect, le livre se rapproche beaucoup de « My Absolute Darling ».

Seul éclat au milieu de cette boue, la jeune Rose tente de survivre, avec une vie intérieure très riche et des rêves modestes, forcément très modestes. Elle n’est qu’un jouet du destin, ballotée par des forces supérieures contre lesquelles elle ne peut rien. Même la fuite lui est interdite, parce qu’elle se résout à sa condition. Dieu que tout cela est loin de nous…

Comme « My Absolute Darling », j’ai aimé « Né d’aucune femme », mais je me garderai bien de le relire. La littérature qui n’ouvre pas des fenêtres vers la lumière est oppressante. Cela n’enlève rien à la qualité du livre et à la parfaite maîtrise de Franck Bouysse pour nous irriter dans notre confort petit bourgeois de citadins baignant dans la modernité. Après tout, « les Misérables » d’Hugo sont restés dans l’histoire, de même qu’un film du même nom a remporté le César. Donner de la voix aux petits, aux sans-grades et aux défavorisés est une nécessité… Le faire sans offrir de rédemption au lecteur est un autre choix, celui d’une époque malade qui ne croit plus en son avenir. J’ose espérer que la littérature d’aujourd’hui peut nous offrir mieux…