L’auteur de tous les mots…

Sacha Guitry. Voilà un bonhomme incroyable qui aura marqué son époque. Il a traversé le vingtième siècle avec une double passion : celle du théâtre et celle des femmes. 124 pièces de théâtre créées pour mettre souvent en valeur l’une de ses cinq épouses, toutes comédiennes. Une telle gourmandise de la vie est rare…

Pourtant que savons-nous de lui aujourd’hui? Presque rien… Nos contemporains sont bien en peine de citer le titre d’une de ses pièces. Seuls ses aphorismes ont traversé le temps. On se les répète avec connivence, en faisant semblant d’adhérer au machisme et à la misogynie qu’ils traduisent. Ce faisant, on trahit l’esprit de leur auteur car Sacha était loin d’être misogyne. Il était plutôt « contre les femmes; tout contre » pour reprendre une de ses plus fameuses citations. L’examen de sa vie dénonce cette vision trop rapide d’un personnage hostile aux femmes. D’ailleurs comment réduire à si peu de choses la vie foisonnante d’un homme de lettres, d’un homme d’esprit et d’un dramaturge prolifique ? Un homme, français jusqu’au bout des ongles, n’imaginant pas vivre ailleurs qu’à Paris, au point qu’il ne quitta quasiment jamais le pays, même pendant l’occupation allemande, ce qui lui fut fortement reproché.

La sortie du livre de Christophe Barbier « Le Monde selon Sacha Guitry » m’a paru une bonne occasion de me familiariser avec cet illustre inconnu. J’ai découvert le personnage avec plaisir.

L’auteur a souhaité essayer de capter l’esprit de Guitry au travers de ses écrits, et de ses pièces. Une bonne idée, car son oeuvre est si dense qu’on serait bien incapable de tout lire. Le livre illustre donc le rapport au monde de Sacha au travers de nombreux extraits de ses écrits : sa vénération pour son père Lucien Guitry; son rapport au mensonge, à la jalousie, à la politique, au temps, au bonheur et à la mort… Parfois, cela va un peu loin, car l’auteur se cache derrière son modèle, et les morceaux de pièces s’enchaînent, donnant au livre de Christophe Barbier un manque de colonne vertébrale. Mais il se dégage quand même une meilleure compréhension de ce qu’il fut et des moteurs de sa vie.

L’occasion aussi de découvrir ce qu’on pressentait déjà un peu. L’homme est né en 1885, il est de l’avant-dernier siècle ( son parrain de baptême était le tsar Alexandre III ). Par conséquent, sa vision du monde et de la société, ses travaux fameux sur la guerre des sexes, sont un peu datés. C’est compréhensible que nos contemporains ne fassent pas leur miel de ses pièces. Malgré la vivacité d’esprit d’un polémiste talentueux…

Le tort de Guitry n’aura été finalement que de concentrer son talent sur un seul sujet, l’amour et ses conséquences, là où un Molière a su se diversifier sur des sujets gardant toute leur fraîcheur comme l’avarice, l’hypocondrie, la fatuité… Guitry a été tué par l’évolution des moeurs et le coup de force des femmes pour atteindre l’égalité des sexes, phénomène que, pourtant, le plus fameux prétendu misogyne avait su anticiper, comme le livre de Barbier le montre bien.

Au final, ce livre est une lecture pertinente, quoi qu’elle ne révèle pas toutes les subtilités du personnage. On reste un peu sur sa faim. L’auteur commet, en plus, l’erreur, de ne pas faire de chapitre sur les fameux aphorismes du Maître, ce qui aurait donné une jolie conclusion à son exercice de vulgarisation. Il en faudra un peu plus pour approcher l’esprit du plus prolifique de nos auteurs. Mais je me réjouis car j’ai déjà trouvé un petit recueil en ce sens : « Toutes Réflexions faites » par Guitry lui-même… De quoi rire un bon moment !