Anatomie d’une chute (sans rires)

J’ai failli passer à côté de ce film. La sortie intempestive de Justine Triet la réalisatrice lors de la cérémonie de remise de la Palme d’Or à Cannes m’avait passablement énervé. Quand on détourne les micros qui se tournent vers vous pour un autre usage, c’est de l’abus de confiance. Surtout quand on mord la main qui vous a aidée au travers des nombreuses subventions publiques à la création artistique. Il est vrai que l’élégance se perd…

Cela dit, la critique étant bonne, le bouche à oreille positif, j’ai bravé mes réticences. Au final, c’est un bon film, avec une forte densité du scénario et un cheminement de l’histoire parfaitement travaillé. J’ai lu que ce scénario avait été trituré, maturé et repris des dizaines de fois. Le résultat est là, le spectateur se laisse happer par l’histoire, dans un environnement de montagnes qui dépayse. L’ajout de la langue anglaise, dans de larges parties du film, participe à une certaine forme d’enfermement du spectateur, comme un miroir de la lutte de cette Anglaise obligée de se défendre dans une langue qui n’est pas la sienne.

La tension va crescendo, malgré le côté apaisant de l’avocat. Le procès s’ouvre pour juger une femme de meurtre, sans qu’on ait appréhendé la personnalité de la victime, le mari. Tout tourne autour de ce procès, et de l’attaque frontale du procureur contre une étrangère déboussolée. Les jeux sont-ils faits ?

Non. La réalisatrice montre de la compassion pour cette femme, et va la sortir de ce mauvais pas par quelques révélations. Le personnage du mari s’éclaire petit à petit. Il n’est pas reluisant. Un homme mal dans sa peau, jaloux des succès de son épouse. et surtout dépressif. A-t-il mis fin à ses jours ? Le procès donne lieu à des considérations intéressantes sur la création et l’écriture. Une grâce ou une peine selon le cas. Enfin arrive le point culminant, la dispute enregistrée et donc reprise en flash-back, entre les époux qui est d’autant plus percutante qu’elle s’opère sans hausse de voix excessive. Les deux amants affutent leurs griefs à coups de lames de rasoir. La scène est impressionnante de virtuosité. La femme s’y montre plus convaincante et le sentiment se retourne. Le jugement arrive bientôt, conforme aux attentes. La femme retourne à sa vie d’avant, avec son fils, et son avocat plus que complice.

Au-delà de l’histoire bien léchée, le message du film n’est pas très clair. C’est un peu fade, à mes yeux. Heureusement, il y a cette formidable scène de la dispute qui suinte d’authenticité. Reste que les acteurs sont falots. L’homme est hélas sans nuances, ce qui le condamne très vite. Quant à la femme, peut-être est-ce du à sa qualité d’étrangère maitrisant mal la langue française, elle est sans chaleur et laisse le spectateur indifférent à son sort. Je suis sûr qu’un autre choix d’acteurs aurait pu davantage porter le film. En créant un phénomène d’identification d’un côté ou de l’autre qui manque ici cruellement… Au final, une bonne Palme d’Or, mais un film imparfait qui ne mérite pas de donner à sa réalisatrice la tribune politique qu’elle s’est indécemment arrogée.

Mémoire d’un taiseux

J’ai débusqué ce livre dans la petite librairie de Conques, en Aveyron. Une librairie de campagne dans un village de 90 âmes à l’année, cela mérite au moins un petit soutien… Cette déclaration d’amour d’un fils pour son père m’a fait de l’oeil, car ce genre d’écrit me parle. L’hommage à ses géniteurs est toujours en littérature un exercice subtil où un auteur met sur la table ses entrailles et un coeur palpitant. Je ne connaissais pas plus que cela Marc Dugain, mais la photo de couverture m’a fait penser à mon père. Alors, bien sûr, banco !!!…

J’ai été très dérouté par le récit. C’est superbement écrit, dans un style court, dense, tout en tension. L’histoire de cet homme est tellement pleine de péripéties qu’elle aurait pu être un roman. Un roman du siècle, avec un grand-père capitaine au long court ayant combattu aux côtés des Américains pendant la seconde guerre mondiale, un beau-père gueule cassée de la première guerre s’astreignant à une vie normale, une femme ambitieuse ayant fait carrière dans un grand groupe à une époque où la gente féminine était réduite aux fourneaux. Enfin, un père handicapé suite à une poliomyélite qui, à force de volonté, réussit à marcher, pour réussir sa vie d’ingénieur qui le conduira dans des destinations lointaines, jusqu’à être un peu espion au service de la France. Une vie trépidante au coeur du siècle qui fait penser un peu à « la promesse de l’aube » de Romain Gary, autre écrivain qui a su rendre grâce aux générations qui l’ont précédé.

Mais la référence s’arrête très vite. Car là où Gary déborde de vie, de sentiment et d’affect, Dugain raconte ses proches avec une distance qui est parfois totalement sidérante. Quand dans son récit, il en arrive à parler des enfants, de lui-même et de son frère, il parle à la troisième personne du singulier et ne donne jamais les prénoms, se contentant de parler de l’aîné et du cadet. Son père qu’il honore et dont il parle avec empathie dans les premières pages poignantes évoquant la maladie, apparaît au fil de l’histoire davantage comme un personnage de roman.

Ce détachement est troublant, même si l’auteur l’explique en avançant « avoir failli passer à côté de lui ». Il y a certainement beaucoup de pudeur de la part de Marc Dugain, comme s’il s’était attaché à cet exercice de mémoire uniquement pour lui-même et qu’il nous autorisait exceptionnellement à lire par dessus son épaule. En tout cas, cet hommage au père manque de chaleur. Cela m’a troublé…

J’ai eu une autre zone d’inconfort à cette lecture qui est, je le répète, d’une grande puissance. Dugain distille tout au long de ses pages des considérations politiques, certes intéressantes, mais qui ne semblent là que pour disculper ses proches de suspicions le plus souvent anachroniques. Par exemple, ses parents vont vivre en Nouvelle Calédonie et en Afrique et ils ont eu des domestiques, mais l’auteur s’ingénie à vanter leur progressisme, leur anticolonialisme et leur ouverture humaine de gens de gauche. Un courant de pensée qui refait souvent surface dans le récit, mais c’est là l’auteur, plus que son héros, qui exprime ses opinions face aux événements qui ont marqué la vie de son père.

Je respecte, pour ma part, toute forme d’opinion, mais ces digressions m’ont gêné car elles étaient souvent inopportunes. Ses parents exceptionnels n’avaient certes pas besoin d’un brevet de bien-pensance pour paraître très sympathiques au lecteur. Au lieu de cela, j’aurais préféré des élans du coeur plus généreux, des souvenirs intimes, des éclats de rire, des émotions fortes, bref tout ce qui fait le quotidien d’une famille quand on se met en tête de la mettre en scène. Marc Dugain le fait tout en retenue, comme ces hommes silencieux qui n’aiment pas se dévoiler. C’est beau, mais un peu froid. Et je n’attends pas d’un écrivain d’être un taiseux. 

Fleury Michon, jambon espagnol

La France, pays avec une agriculture forte, a su développer des champions de l’agro-industrie. Fleury Michon en fait assurément partie. Société familiale avec une approche responsable, de bons produits, une part de marché élevée face au concurrent Herta, jusqu’à peu filiale du très capitaliste groupe suisse Nestlé, le roi du jambon blanc Fleury Michon était une marque qui avait tout pour elle. Certes, le jambon sous blister n’aura jamais les faveurs des écolos, des gastronomes, sans parler des véganes. Il n’empêche, ce jambon est bon, pratique, et rend des services appréciables au célibataire d’un soir ou pour compléter un petit déjeuner.

Hélas, l’explosion de l’inflation a provoqué une perte des valeurs de cette entreprise. Le jambon est, en effet, un produit très concurrentiel, et peu de choses différencient les produits d’une marque à l’autre. Face à la hausse des coûts, les producteurs sont sous la pression des distributeurs. La guerre est totale… Fleury Michon a perdu sa sérénité. Pour garder un peu de pricing power, ils n’ont pas trouvé mieux que de se fournir très largement auprès de l’Espagne. Les porcs français qui constituaient le coeur de l’offre, se sont vus supplantés par les porcs espagnols, élevés intensivement par une agro-industrie qui est prête à toutes les turpitudes pour gagner des parts de marché.

Ainsi Fleury Michon qui revendiquait son soutien à nos agriculteurs, a transformé son modèle en catimini, pour devenir inféodé à l’Espagne. La société a quand même l’honnêteté de l’afficher, puisque tous ses produits rappellent l’origine de la viande. Une transparence cependant sans conséquence puisque beaucoup de Français ne regardent plus que le prix, et rarement l’origine des produits.

Ce n’est pas mon cas, et je viens de le signifier à l’entreprise. Ma fidélité très ancienne à la marque est remise en question. Quand on voit tous ces agriculteurs qui abandonnent leur métier, on ne peut pas ne pas se sentir concerné. L’équilibre de nos campagnes en dépend.

Je n’ai jamais oublié ce slogan, jugé obsolète pour beaucoup : nos emplettes font nos emplois…

Pink Martini en shaker, please

Le Grand Rex, salle mythique…. Pour un retour dans ce lieu magnifique, le groupe Pink Martini en concert m’a semblé la parfaite adéquation. Un groupe indéfinissable de musique métissée pour une salle à nulle autre pareille !… Bonne pioche ! La soirée fut magnifique…

Une musique veloutée avec un groupe éminemment sympathique. Deux cantatrices plutôt que des chanteuses, tellement leurs voix montent dans les tours ; des hommes qui ne sont pas en reste quand il s’agit de prendre le relais, alors que les deux femmes redeviennent de simples choeurs ; des musiciens absolument épatants, avec des numéros ébouriffants de batterie, de tam tam ou de contrebasse.

Et des chansons ! Plein de chansons qui ont envouté le public de la grande salle de spectacle !… Notamment le fameux « je ne veux pas travailler » qui est une création du groupe, sur un poème d’Appolinaire, excusez du peu… Mais aussi beaucoup de reprises. C’est la signature du groupe qui a un vrai savoir-faire pour reprendre le meilleur du meilleur de notre vécu musical. Dans toutes les langues…

Les tubes s’égrènent en français, en anglais, en espagnol, en portugais… Un vrai camaïeu de mots, de langues, de rythmes. De la belle guimauve subtile et poétique. Jamais je ne me suis senti autant européen qu’à cette musique qui mixe avec bonheur toutes nos origines. Ce soir-là, ces langues diverses se répercutaient sur le toit du Grand Rex dont les étoiles scintillantes évoquaient irrésistiblement notre drapeau européen…

Avant de découvrir, en fin de concert, que ceux qui nous ont fait vibrer sont presque tous Américains !!!… Une délicieuse captation de notre héritage par des money-makers talentueux.