Se perdre aux Marquises…

« Au Soleil Redouté », la référence à la chanson de Brel est explicite, une des ses plus belles, « Les Marquises ». Ces îles perdues du bout du monde dont le poète chanteur était tombé amoureux. Bussi nous y transporte dans un nouveau polar exotique et déroutant, qui s’approche de l’exercice de style.

Beaucoup y ont trouvé des références à Agatha Christie et ses « 10 petits nègres ». Certes, mais je trouve plus pertinent le rapprochement avec « le crime de l’Orient Express » : une même unité de lieu; un confinement géographique; des personnages pris dans la nasse, sans échappatoire; des ramifications souterraines entre les protagonistes; un inspecteur parmi les voyageurs qui enquête…

Déroutant aussi le parti pris d’intégrer le récit dans un jeu d’atelier d’écriture. Cela saucissonne l’intrigue et donne au livre un mouvement permanent. Sans vraie digression littéraire sur la beauté d’une île envoûtante. C’est mon principal reproche à ce livre, le manque de qualité littéraire de l’écriture. Mais je reconnais quand même que Bussi a su capter l’essence des Marquises. Une terre plus austère que paradisiaque, avec une population indolente, foncièrement attachée à ses racines et à son style de vie. Une terre colonisée qui est restée pacifique face à ses colons français, même si la souffrance a été bien réelle.

Exercice de style, disais-je, car le scénario est très alambiqué. Les personnages s’entre-choquent avec un passé qui se dévoile par bribes. Les réactions passives des uns et des autres à une pression croissante suscitent l’étonnement. Troublant certes, mais comment fuir une île coupée du monde, sans police, où l’avion est le seul échappatoire, où les moyens de communication sont réduits ? Où même la télévision n’a été introduite qu’en 1988… On le voit, les Marquises sont un lieu propice au polar angoissant, si un tueur s’avise d’y casser quelques pipes, comme au champ de foire.

Là où Bussi met un point d’orgue à son exercice de style, c’est quand il entreprend en douceur de confondre ses lecteurs qui lisent trop vite, s’accrochent à des détails vestimentaires pour poser leurs repères et finissent par se perdre dans des compréhensions trop rapides. Ces lecteurs se font rouler dans la farine dans un final astucieux. « Au soleil redouté » est un livre qui cherche à vous égarer, vous voilà prévenus…. 

Au final, un joli livre qui se hisse parmi les meilleurs polars, à la hauteur de ses grands ainés agatha christiens. Mais le livre manque d’homogénéité et de fluidité pour en faire un vrai chef d’oeuvre. C’est passé bien près, quand même…