Des mots pour le dire…

Le Point de cette semaine titre sur les menaces pesant sur la langue française. Vaste sujet ! L’interview d’Alain Borer dans ce même magazine mérite vraiment le détour. Il a, à mes yeux, parfaitement raison… Au delà des emprunts à l’étranger qui font partie de l’évolution naturelle d’une langue, notre français est envahi par ce qu’il appelle « l’angloglobal » qui vise à se substituer à notre langue par l’invasion de mots qui font plus branchés, plus dans le coup et éclipse gentiment nos propres mots. Ainsi en est-il de « booster » « positive attitude » »low cost » « selfie » « silver economy » « spoiler »… La mondialisation est passée par là et sa conséquence naturelle, la colonisation de l’anglais dans les milieux économiques. Hélas, elle s’élargit aux autres sphères de la société comme une encre noire sur un buvard tendre.

Les tentatives de résistance sont faibles ( « courriel » pour désigner un mail ) car, à l’inverse de nos amis canadiens, nous n’avons pas la passion de notre langue chevillée au corps. Quant on dit à l’étranger que les Français sont arrogants, cela relève sans doute davantage d’un jugement passé lié à notre brillante Histoire, mais moins à la réalité du moment. Aujourd’hui, le Français se couche facilement. La défense de sa langue n’est pas une priorité et il se plie docilement a la dictature du modèle anglo-saxon. La défense de son industrie n’est guère plus en cour, et le combat du made-in-France, même s’il a quelques adeptes disséminés, est le plus souvent considéré comme un combat d’arrière-garde, un peu ringard ( il suffit de voire la colonisation des modèles étrangers dans nos rues, alors que nous avons une forte tradition de concepteurs d’automobiles ). Les seuls domaines où nous retrouvons un semblant de sens national, sont le sport ( sacro-saint football ), la culture ( nous aimerions toujours que notre étoile culturelle brille au firmament ) et les idées, notamment politiques ( là, pour le coup, nous sommes le peuple le plus chauvin de la planète : le peuple de la Révolution porte naturellement les plus beaux idéaux et toutes nos brillantes idées devraient être suivies par l’ensemble des pays, ce qui est loin d’être le cas au demeurant ). Arrogance pas totalement morte… Tout cela est un peu affligeant !…

Mais revenons à notre français et à ses mots. Je suis un défenseur ardent de la langue française, même si j’avoue céder moi-aussi au volapuk des anglicismes, ma seconde langue professionnelle étant l’anglais. Mais, à ma modeste échelle, je me bats… Que de fois me suis-je élevé contre ces abus consistant à parler en anglais dans des réunions ne comportant que des Français ! Combat d’arrière-garde ? Sans doute, mais cela fait un grand bien de le mener…

Et puis, ce blog contient une rubrique « le mot du jour » donnant un coup de projecteur sur un vieux mot français plus guère usité, mais si pratique à l’usage, tant notre langue est précise et pure. Je continue à m’émerveiller sur les mots, leur poésie, leur origine, leur musicalité. J’espère oeuvrer à faire vivre notre langue, si belle, si riche qu’elle se prête à toutes les couleurs de l’arc en ciel des sentiments. Il n’est pas anodin de constater que de nombreux mots étrangers viennent du français, toujours si vivace pour décrire la réalité ( l’inverse est vrai et c’est tant mieux ).

Actuellement je baigne dans une félicité sémantique extraordinaire car je poursuis la lecture de la série « Fortune de France » dont j’ai déjà eu l’occasion de parler dans ce blog. Robert Merle est un vrai magicien des mots. Il nous raconte l’Histoire de France dans les mots de l’époque, des mots méconnus de nous mais qui trouvent la plupart du temps un sens, preuve que la mémoire d’un peuple ne s’efface pas totalement. Nous sommes imprégnés de notre langue, au point de reconnaître la compréhension des mots qui sont sortis de notre usance. C’est un peu magique !…

Voilà un petit échantillon, très concentré et à ma sauce, de ces mots imagés du XVIème siècle qui font tant aimer la langue française :

« Je me ramentevois parfaitement avoir rencontré, à la pique du jour, ce guillaume marmiteux et chiche-face que je déprisais de prime. Il n’appétait qu’à clabauder sans fin, et à rire du plus profond de son gargamel. Il était bien fendu de la gueule et prétendait que son guilleri esbouriffait les mignotes. Je cuide qu’il n’arrivait qu’à mugueter des drolasses et coqueliquer dans le ruisseau. Je me gaussais de lui in petto et quis de lui mon congé, heureux de le laisser à sa parladure qui me tympanisait prou. Je n’avais pas le temps de m’acagnarder avec de tels marauds… »

C’est pas chouette, dit comme cela ?