
En 2012, quand j’ai lu ce livre la première fois, j’ai reçu une claque comme jamais. Hélas, je ne connaissais pas Babelio et n’ai pu coucher sur le site mes émotions pour les revivre occasionnellement lors d’une relecture de « ma critique » ( si tant est qu’on puisse critiquer un tel témoignage ). Aussi, en redécouvrant le livre dans ma bibliothèque, j’ai replongé… Comme dans un bain d’eau froide. Les sens en éveil. L’épiderme en chair de poule. La curiosité exacerbée. L’envie d’en découdre avec le souvenir d’un grand roman, un des meilleurs de ces dernières années. La re-lecture allait-elle délivrer les mêmes palpitations, sans l’effet de surprise de la découverte ?
Bingo… Je l’ai dévoré, alors que je suis actuellement un peu en manque de concentration et que d’autres livres me prennent plusieurs semaines pour les achever. Cette « nuit » est tellement immersive qu’elle vous capture totalement, pleinement, intensément. Delphine raconte sa famille avec chaleur, empathie, et aussi surtout un tact infini. Cette famille est réjouissante dans toutes ses outrances. Les deux ancêtres enchaînent les naissances avec désinvolture pour construire une famille multicolore dans ses sensibilités. Avec le reflet d’une époque d’après-guerre où une solidarité franche et entière était de mise. le récit est enjoué et provoque une forte identification du lecteur. Surtout qu’il apparaît vite que l’objet est de rendre hommage à Lucile, une des membres de la fratrie et mère de l’auteur. Parler avec émotion de sa mère qui a eu un triste destin, voilà bien la plus belle des motivations pour écrire un livre. J’aurais adoré en faire autant…
J’ai retrouvé très vite ce qui m’avait plu, il y a dix ans. Cette élégance infinie à décrire l’intime, cette retenue à explorer un passé lointain et douloureux, cette réticence à montrer son linge sale au public. Quelle écriture finement ciselée !… Les traumatismes sont juste effleurés, mais ils innervent tout le récit d’un poison émotionnel qui se diffuse insidieusement. Delphine lutte pour explorer les faces sombres de sa famille et rendre grâce, de manière lumineuse, au souvenir d’une mère. Une mère qui a chaviré, sombré, avant de se remettre à flot pour une fin de vie terne et triste. Toute cette famille donne l’impression d’avoir échappé à un naufrage dont on ne mesure gère l’intensité. Les survivants font plus ou moins bloc, et essayent d’oublier les absents, les morts, les suicidés.
Il est impossible d’en dire plus sans divulguer la trame. C’est une histoire qui se lit en silence, l’attention captive et la rate au court-bouillon. Quand en plus cette famille dysfonctionnelle trouve une résonance dans votre propre histoire personnelle, l’émotion est à son comble. Voilà pourquoi je classe ce roman tout en haut. Toujours au sommet de mes plus grandes émotions. Et une troisième lecture n’en changera rien…