Voulez-vous passer un moment de palpitation devant une affaire criminelle d’exception ? Certes, vous avez la possibilité de prendre un bon polar ou de voir un film noir. Le résultat sera là, mais il n’y aura pas ce petit supplément d’âme d’une histoire vraie. De celles qui ravivent les souvenirs et le petit fond de voyeurisme qui sommeille en chacun de nous. Des émissions comme « Faites entrer l’accusé » ou plus ancien, les « Histoires vraies » radiophoniques de Pierre Bellemare participaient de ce besoin d’authenticité. Mais, parallèlement, la sur-médiatisation de certaines affaires nous rend distants. Ah quoi bon replonger dans de funestes histoires au long cours !…
Erreur manifeste. Le recul du temps est un bon médiateur pour analyser une affaire qu’on croyait bien connaître. « L’affaire Gregory » est de celles-là…
Le média Netflix a réalisé un documentaire en cinq épisodes sur l’affaire de ce petit garçon découvert noyé, pieds et mains liées, dans une rivière des Vosges un jour d’octobre 1984. Un documentaire tellement passionnant que je me suis « enfourné » les cinq épisodes en une après-midi, soit près de 4h d’images. Je croyais bien connaître cette histoire qui a occupé les médias pendant près de vingt ans, je me suis aperçu que j’étais loin d’en connaître tous les ressorts. Un reportage édifiant sur les faillites de la justice, et les excès du monde des médias face à un fait divers qui, il est vrai, comportait tous les ingrédients du plus grand suspense policier. Même un maître absolu du polar n’aurait pas pu imaginer un scénario aussi tordu.
Une affaire qui fait entrer dans les liens d’une famille nombreuse aux rapports souvent conflictuels. Car l’affaire Gregory est une histoire au long cours. Avant le décès de l’enfant, la famille était soumise à un corbeau qui sapait l’équilibre d’une famille par un harcèlement permanent.
A ce contexte sombre s’ajoute un traitement de l’affaire par la justice totalement aberrant, avec le fameux juge Lambert, « le petit juge » qui ne saura pas échapper aux projecteurs des médias, tout en s’emberlificotant dans son enquête de façon honteuse. Les autorités rajouteront à ce patacaisse avec une guerre police-gendarmerie absolument irréelle. Quant aux médias qui ont flairé dès le départ le caractère « cash-machine » de ce fait divers, ils dépasseront toutes les bornes de la déontologie, en prenant parti ostensiblement pour un camp, en nouant des relations étroites avec les protagonistes, en interférant dans l’enquête et pire que tout, en faisant un travail de désinformation amplifié par le fait que les pigistes étaient communs entre différents journaux, et présentaient leurs thèses sous des pseudonymes différents, donnant à leurs vues personnelles un caractère universel. Une mécanique diabolique…
Tout le monde a failli dans cette affaire. Juge, enquêteurs, avocats, journalistes… Seule la gendarmerie semble avoir été assez intègre, comme le montre le reportage de Netflix.
Il faut replonger dans cette histoire invraisemblable. Elle est l’illustration ultime que les passions humaines ne doivent pas s’immiscer dans des affaires criminelles, sous peine de les faire sombrer. Dans cette affaire, le bilan est lourd : une famille déchirée où la haine est devenu le lien commun; un suspect exécuté par un père en colère ; un juge incompétent et dépassé par le retentissement de l’affaire qui finira, quelques années plus tard, par se suicider ; un juge de substitution mis sous pression qui développera une crise cardiaque… Enfin et surtout, un père et une mère qui auront connu vingt années d’avanies, montrés du doigt, attaqués, soupçonnés, et totalement baladés par une justice en laquelle ils avaient placé leur confiance.
Le film de Netflix est incontournable. Si vous n’êtes pas abonné – comme moi – essayez de profiter de la connexion d’un proche pour voir cette série de reportages. Cela se visionne avec l’étonnement le plus total, comme un grand cauchemar éveillé que nous croyions tous déjà connaître. Sans imaginer à quel point le mal était à l’oeuvre dans cette affaire. Il faut voir l’interview sur-réaliste du flic ayant repris l’enquête ; les commentaires encore passionnés de journalistes ayant joué le jeu de la mise en accusation de Christine Villemin ; le discours plein de parti-pris de l’avocat de Bernard Laroche… Jamais une affaire n’a provoqué une telle guerre de tranchée entre deux camps.
On ressort de ce film avec un immense respect pour Jean-Marie et Christine Villemin, les deux pauvres parents qui ont connu un véritable enfer. Rien que pour les réhabiliter dans notre mémoire, il faut voir le reportage de Netflix.