La Peur est une série de six nouvelles, tellement achevées qu’elle m’a donné l’envie de passer le reste de ma vie à lire tous les écrits de Stefan Zweig. Oui assurément, c’est le plus grand écrivain mondial. Celui qui reproduit les états d’âme et les pensées secrètes dans une précision des mots qui touche au sublime. J’ai été touché au coeur par la pureté de sa langue, le caractère millimétré de ses intentions, l’éclat de mots inattendus qui s’insèrent parfaitement dans l’intrigue, des entre chocs sémantiques qui vous campent une situation plus vraie que nature. Zweig est l’ambassadeur unique de l’intime, du fugace, de l’instantané…
Les six histoires sont de qualité égale. Mais deux récits m’ont totalement captivé.
Celle de l’attente anxieuse d’un orage pendant un soir caniculaire d’été. Une pure merveille. La terre, le ciel, les plantes, les bêtes, les hommes ont soif et attendent d’être libérés de la fournaise. L’humanité, incarnée par un homme dans un hôtel de villégiature de luxe, se dissout totalement dans la chaleur. Comme la nature, l’homme n’est plus mu que par son instinct, par une énergie vitale qui s’épuise dans l’attente du ciel et de son averse espérée. La montée de sève est trompée par une libération qui ne vient pas. Cet homme dans la force de l’âge laisse vagabonder ses sens, et se met à fantasmer sur une jeune fille à la table voisine. Tout le récit n’est qu’une tension, une crispation, une peur que l’espéré reste une quête vaine. C’est une autre version de « Mort à Venise » dans la campagne autrichienne. Pas plus que chez Thomas Mann, l’homme ne maitrise rien. Il n’est qu’une brindille secouée par les éléments. Juste un constituant de la nature qui attend la pluie.
L’autre récit est tout aussi envoûtant. L’histoire d’une fille de rien, orpheline disgracieuse, que le destin cantonne à être domestique. Une fille renfermée dans sa solitude et son inculture qui ne trouve la grâce que dans l’abrutissement dans les tâches ménagères. Une pauvre hère qui croît voir un coin de ciel bleu dans la satisfaction de son maître. Elle lui voue une fidélité sans bornes, allant jusqu’à commettre pour lui un acte libérateur. Mais elle fait peur par son adoration rustre d’animal de compagnie quêtant en permanence une reconnaissance, un sourire, une caresse. La chute sera brutale…
Dans ce phénomène de peur qui est le lien entre les récits, Zweig montre que la peur fait retrouver des instincts primaires. Soumis à la pression des événements, l’homme n’est plus que nature ou animal. Les acquis de la civilisation ne sont qu’illusion. La peur se montre aussi révélateur de vérité, comme dans le premier récit d’une femme adultère soumis à maître-chanteur. Un récit âpre, tendu; l’histoire de cette femme dans une seringue affective est crispante. Les mots sont tellement au service de l’histoire que le lecteur est presque indisposé à poursuivre sa lecture. Il souffre pour elle.
Surtout, cette femme apprend de la peur que sa vie n’était qu’illusion, routine et méconnaissance de son entourage le plus proche. Une grande leçon de vie… Oui assurément, Zweig est le plus grand….