« Jusqu’à la garde », voilà un titre magnifique! Un terme d’escrime qui signifie « jusqu’à la protection du poignet », quand l’épée s’enfonce totalement dans l’adversaire.
L’adversaire, il s’agit bien de cela. « L’autre », autrement dit, celui qu’on n’ose plus nommer pendant un divorce. Des divorces saignants, c’est monnaie courante. C’est ce à quoi s’attache ce film dans une composition quasi documentaire. La première scène – point de fioritures ! – se passe chez le juge pour apprécier le principe d’une garde partagée. Les avocats parlent et débobinent les arguments de chaque camp. On ne se parle plus directement. La tension est latente. Le spectateur est englué dans cette histoire lourde dont on devine, dès le départ, que cela finira mal.
Ce film est une vraie réussite par son interprétation hors pair et par un casting bien trouvé. La pauvre Lea Drucker paraît fluette et fragile face au profil lourd, menaçant et à la personnalité monolithique de Denis Menochet. Et l’enfant qui est l’enjeu du conflit joue merveilleusement bien, notamment dans les scènes de tension familiale où on lit l’épouvante sur son visage. Le film est lourd, ancré dans une réalité qu’on ne voudrait pas partager. C’est d’une humanité cuisante…
« Jusqu’à la garde » n’est pas uniquement le porte-drapeau des violences conjugales. Certes, il dénonce la chose avec un réalisme brutal. Il est hautement nécessaire de ce point de vue. Mais j’ai trouvé tout aussi pertinent de comprendre les motivations de l’agresseur, ce père en quête de reconnaissance, qui ne sait pas exprimer ses sentiments, et qui cède à la violence par désespoir. L’incapacité d’aimer est un mal contagieux. De ce point de vue, les positions intransigeantes du grand-père et le mutisme de la grand-mère donnent quelques clefs d’explication à la personnalité du père. Ce père qu’on déteste dès le départ, mais pour lequel on éprouve par moments des bouffées de pitié. Il se bat contre sa nature brutale, s’accroche désespérément à un semblant de normalité, mais trouve nulle part de quoi lisser ses accès de colère. Ce père aime sa femme jusqu’à la garde pour la toucher au coeur d’une façon ou d’une autre.
Ce film mérite le déplacement par sa sobriété et par le jeu exceptionnel des acteurs. Il est le récit d’une réalité inadmissible, la violence faite aux femmes. Il doit être vu, en mémoire des 123 femmes tombées en 2016 sous les coups de leur compagnon…