Il était venu parler de la notion de la responsabilité. Il nous a fait un cours de philosophie de très haut vol…
Gaspard Koenig ( 35 ans), normal sup, agrégé de philo, fondateur du Think-tank « Génération Libre » est un pur produit de notre école Républicaine dans ce qu’elle a de meilleur. Une tête bien faite, une pensée limpide qui vous fait aimer les beaux rouages de l’intelligence. Une modestie qui n’est pas feinte, teintée d’une capacité rare à rire de soi.
La responsabilité et le sens des responsabilités. Voilà bien un sujet passionnant. Plus on avance dans cette notion, plus on découvre que c’est une ligne de fracture nette dans le monde politique. Je dirai même un élément primordial autour duquel s’articule tout l’échiquier politique.
Je vais essayer de retranscrire le mieux possible la pensée de Gaspard, en m’excusant d’avance pour les raccourcis et les inexactitudes.
Notre longue tradition chrétienne a ancré la société dans une société de responsabilités. L’homme était responsable individuellement devant Dieu, mais aussi devant les hommes. Puis, au fil des années, mouvement qui s’est cristallisé avec les événements de 1968, on a assisté à un éloge de l’irresponsabilité. « La souveraineté de l’homme sur lui-même » a été largement contestée par les tenants de la révolte. La société elle-même a été considérée comme responsable de beaucoup d’erreurs commises par des individus.
Koenig considère que trois arrêts du Conseil d’Etat ont marqué cette évolution : l’un en 1895 qui a considéré qu’à la suite d’un accident du travail, que l’employeur était responsable, même si aucune faute n’était avérée. L’autre date de bien plus tard, et concerne une requête pour excès de pouvoir présentée par deux particuliers contre l’Etat à la suite de l’obligation du port de la ceinture automobile en 1974. Le conseil a rejeté cette requête et a ipso facto validé l’idée que l’Etat devait protéger l’individu contre lui-même. Enfin, un arrêté plus récent a rejeté la requête de nains qui protestaient contre l’interdiction des « concours de lancer de nains », activité à laquelle ils participaient très librement et qui constituait leur gagne-pain. Le Conseil d’Etat a argué de prétextes moraux, liés à la « dignité de la personne ».
Ainsi, en un peu plus de cent ans, l’Etat a limité la liberté et la responsabilité de l’individu contre des risques exogènes, endogènes et moraux. C’est une forme de négation de l’individu comme être capable d’autonomie.
Gaspard Koenig explique ainsi la naissance d’une société qui se veut assurancielle : elle vise à protéger l’individu contre tous les risques, y compris les formes élevées de la liberté, comme la concurrence qui peut tuer des emplois. La concurrence est une forme de malédiction contre laquelle nous devons être assurés. Ce n’est pas autre chose que défend François Ruffin autour de Whirlpool.
Cette société assurancielle étend ses ventouses à toute l’économie. Avec une logique apparente quand il s’agit du secteur bancaire. Les banques ne pouvant faire faillite, elles ne sont pas responsables. Il importe donc de les étouffer sous une avalanche de réglementations qui ont pour effet d’anesthésier tout sens du risque, qui n’était déjà – il est vrai – guère développé parmi les brasseurs d’argent.
Gaspard Koenig explique d’ailleurs avec humour son combat contre sa banque pour ne pas avoir à dévoiler son patrimoine, alors qu’il n’a aucun engagement auprès d’elle. Il estime que c’est lui, qui a quelques économies placées dans sa banque, qui devrait s’enquérir de l’état de santé de son partenaire. Mais les réglementations européennes entraînent des obligations, souvent inutiles, qui sont accentuées par des ouvertures de parapluies à tous les étages. Un exemple type d’une société déresponsabilisée.
Gaspard Koenig n’a pas trop développé ce point, mais il était transparent dans son discours. Les mouvements populistes – FN et France insoumise – sont ceux qui ont le moins le sens de cette responsabilité individuelle. L’homme est victime de la société. Et c’est l’état qui est responsable de tout. Un Etat dont on a tellement chargé la mule, qu’il est incapable de faire face à tous ses engagements. Et même les mouvements modérés comme le PS se déshonorent pas des pratiques « non-sincères » ( audit de la Cours des Comptes dévoilé cette semaine ) dans les finances publiques. Le sens des responsabilités s’évapore, y compris au plus haut de l’Etat.
Gaspard Koenig finit son discours par des messages plus optimistes. Il court le monde, en quête d’expériences et de nouveaux modèles de société donnant à l’individu les moyens de son autonomie. Au Perou, pays le plus dynamique dans la finance humanitaire des micro-crédits, les gens sont mille fois plus responsables que chez nous, et remboursent leur crédit avec conscience. Au Brésil, des expériences très localisées de revenu universel sont concluantes.
Il va falloir réfléchir pour sortir de nos sociétés aux assurances infantilisantes et chercher un nouveau modèle autour du « self ownership ». Un gros challenge, mais qui sera rendu obligatoire par la prochaine explosion de l’Etat Providence, suis-je tenté personnellement d’ajouter.